Divers projets de musée d’art contemporain et moderne sont régulièrement à l’ordre du jour. Le ministère libanais de la Culture a récemment lancé The House of Arts and Culture, financé par des fonds omanais et destiné à être un « incubateur de la créativité artistique du pays » ; la famille Douaihy a fait don de sa collection à l’AUB à la condition expresse que l’université construise un musée d’ici à 2020 ; et Solidere affirme aussi vouloir construire un musée, mais en est encore au stade d’étude.
« Le marché de l’art fonctionne bien lorsqu’à côté des artistes, cinq acteurs principaux y sont présents, explique Pascal Odile, directeur artistique de Beirut Art Fair : les galeries, les collectionneurs, les maisons de vente, les musées et les critiques d’art. »
Au Liban, les deux derniers acteurs font cruellement défaut. Le pays ne dispose par de formations de critique d’art et, de manière plus générale, de formations axées sur les métiers de gestion de l’art : seule l’Université Saint-Joseph a récemment inauguré un master en “curation” (un anglicisme pour désigner le travail de conservateur).  Mais surtout, le marché a besoin d’un musée d’art moderne et contemporain « qui aurait la force de frappe suffisante pour organiser des expositions à but non lucratif », commente Nadine Begdache. Il y a bien le musée Sursock, seul musée d’art moderne et contemporain de la ville, actuellement en rénovation, mais sa collection n’est pas suffisamment fournie et surtout il dispose de fonds limités. Il organise depuis des dizaines d’années son Salon d’automne, qui contribue à lancer de jeunes artistes libanais : une photographie du Libanais Joe Kesrouani, prix du jury en 2011-2012, a par exemple été adjugée à 6 500 dollars lors de la vente aux enchères de Nada Boulos en juin dernier.
Au Liban, le ministère de la Culture n’a, de notoriété publique, pas de moyens. C’est donc le secteur privé qui a pris la relève : Nadine Begdache a par exemple longtemps organisé des ateliers pour enfants en marge des expositions de sa galerie. Et sa mère Janine Rubeiz avait créé Dar el-Fan, le premier centre culturel libanais en 1967. L’académie Ashkal Alwan offre des formations artistiques ; Nadine Mokbel, l’épouse du collectionneur Johnny Mokbel, a écrit un livre pour enfants retraçant l’histoire des grands artistes libanais ; Ayyam a monté un programme d’incubation pour artistes qui encourage une dizaine de jeunes de la région et distribue 100 000 dollars en bourse pour aider les artistes prometteurs à faire leurs études aux États-Unis. C’est une photographe libanaise, Lara Atallah, qui en a été la première bénéficiaire.
Par ailleurs, deux espaces à but non lucratif ont vu le jour : le Beirut Art Center créé par Lamia Joreige et Sandra Dagher en 2009, qui donne la priorité à des artistes libanais, et le Beirut Exhibition Center qui a déménagé ses locaux en 2010 au BIEL. Le BAC « organise également une exposition annuelle de projets inédits ou en cours, sélectionnés par un jury », explique Sandra Dagher.
Mais ce n’est pas encore suffisant : « Aujourd’hui, les plus belles œuvres sont dans des maisons, s’inquiète le collectionneur Johnny Mokbel. Si l’État ne les récupère pas lorsque leurs propriétaires les vendent, elles seront achetées par des collectionneurs internationaux et sortiront du pays, et il sera compliqué de les récupérer. » Il cite l’exemple des pays européens où la loi stipule que lorsqu’un particulier veut vendre une œuvre d’art du pays, les institutions culturelles nationales bénéficient d’un droit de préemption.
 

L’AUB acquiert la collection Saliby

En juin 2012, l’ophtalmologue Samir Saliby a fait don de sa collection privée à l’AUB (l’Université américaine de Beyrouth) dont il est un ancien. Composée de quelque 65 tableaux de son ancêtre Khalil Saliby, mais aussi de César Gemayel, Omar Ounsi, Saliba Douaihy et Mustapha Farroukh, entre autres, cette donation a pour contrepartie la création par l’AUB du musée d’art moderne et contemporain “Rose et Chahine Saliby”, du nom des parents du généreux bienfaiteur. Une partie de la collection est exposée pour le moment dans un espace temporaire près de la rue Bliss.
L’université se donne jusqu’à 2020 pour inaugurer le musée : « Il faut le situer dans l’enceinte de l’AUB, mais avec une entrée directe de l’extérieur, commente Peter Dorman, président de l’AUB. Nous devons encore réfléchir au financement et au concept du musée, ainsi qu’à sa politique d’acquisition. »
C’est la première fois au Liban qu’un individu offre sa collection à une institution et l’université espère que cela va créer un précédent : « D’autres collectionneurs nous ont déjà contactés pour voir si nous serions intéressés de reprendre leurs œuvres. »
L’AUB mettra la collection à la disposition des étudiants, chercheurs et curieux du monde entier : elle a d’ailleurs déjà prêté quatre œuvres à l’Institut du monde arabe (IMA) à Paris pour l’exposition “Le corps découvert”.
Khalil Saliby (1870-1928) est considéré comme un des fondateurs de l’art moderne libanais. Il a étudié, travaillé et exposé ses œuvres à Paris, Edinburgh et New York, ainsi qu’au Liban. Il a été tué avec sa femme devant l’AUB pour un obscur conflit avec des voisins de son village portant sur l’accès à l’eau.