Un article du Dossier

Le marché automobile, une croissance trompeuse

Les ventes de voitures neuves affichent une belle croissance cette année ; mais celle-ci est trompeuse, uniquement tirée par le renouvellement de la flotte des voitures de location. Chez les particuliers, la demande s’oriente fermement vers des petites voitures, même si le luxe et les voitures 4x4 continuent de plaire.

Malgré la situation économique et sécuritaire précaire, le marché des voitures neuves est en hausse de 7,6 % à fin août 2012, à 23 012 véhicules vendus. Même les ventes de voitures utilitaires progressent, de 8,05 %, à 1 516 véhicules. Cette croissance est le fait exclusif des agences de location, qui, forcées par la loi de renouveler leur flotte tous les trois ans, ont acheté 3 248 voitures à fin août 2012, en augmentation de 115,4 % par rapport à l’année dernière, considérée il est vrai comme une mauvaise année. Pourtant, les concessionnaires se plaignent d’un manque à gagner sur ce segment. « La recommandation des pays de la région de ne pas venir au Liban à la suite des événements sécuritaires du premier semestre ainsi que la survenue de ramadan en été ont affecté à la baisse la demande des agences de location », témoigne Jade Ayoub, directeur marketing de Rymco (Nissan, Infiniti, GMC, Geely). « Nous avons eu 20 % d’annulation de commandes cet été », appuie Naji Heneiné, directeur commercial de Bassoul-Heneiné (Renault, BMW; Mini, Alfa Romeo, Dacia).
Cette situation de tension se reflète sur la demande de voitures pour particuliers, qui stagne à 19 128 voitures (-0,3 %), pendant que celle des taxis diminue de 7,8 %, à 636 voitures.

Les petites voitures ont la cote

« Il y a eu une croissance du marché en volume, mais pas en valeur », explique Jade Ayoub. La demande s’est en effet reportée vers les petites voitures moins chères. « Environ 90 % des immatriculations sont des petites voitures à bas prix (environ 11 000 dollars) », selon Samir Homsi, président de l’Association des importateurs d’automobiles. Le japonais Nissan, longtemps numéro deux du marché libanais, a d’ailleurs été pénalisé cette année par son manque de petites voitures pas chères (la Micra commence à 15 900 dollars) et s’est vu devancer en termes de ventes par le coréen Hyundai.
La hausse du prix de l’essence, entamée il y a plusieurs années, n’est pas étrangère à ce phénomène. Avec un galon qui a dépassé par moments les 40 000 livres à la pompe, et ce malgré la diminution des droits d’accise en février 2011, et en l’absence d’une politique de transports publics adéquate, le budget transport des consommateurs libanais a explosé. Le duo de tête des marques proposant des modèles bon marché, à savoir les coréennes Kia et Hyundai, a accaparé 44,4 % du marché. « C’est malheureusement le signe d’une paupérisation du pays », note Naji Heneiné.

Les voitures de seconde main n’attirent plus

La montée en puissance des petites voitures s’est faite au détriment des voitures importées de seconde main : celles-ci ne représentent plus que 52 % du marché total de voitures, à 24 994 véhicules. En 2009, elles représentaient 68 % du marché. Il semblerait que les discours des concessionnaires, qui vantent depuis des années les mérites des voitures neuves, moins chères et moins consommatrices d’essence, commencent à porter leurs fruits. Sans compter que « les taux d’intérêt bancaires et les taux d’assurance, couplés aux garanties du constructeur et à la maintenance, sont plus avantageux pour les voitures neuves que pour les voitures de seconde main », ajoute Anthony Boukhater, codirecteur général de A.N. Boukhater (Mazda). Les crédits automobiles sont en effet plus indispensables que jamais pour soutenir le marché. « La majorité de nos ventes se fait à crédit, très peu de gens achètent au comptant », témoigne Martine Atallah, coordinatrice marketing chez Century Motor Company (Hyundai). Les taux d’intérêt pour les crédits automobiles pour du neuf avoisinent les 4 %, là où pour le marché de seconde main ils tournent autour de 7 %.
« Selon nos prévisions, d’ici à la fin de l’année, le marché automobile de seconde main chutera de 15 %. Celui du neuf augmentera de 8 % et le marché total diminuera de 5 % », commente Anthony Boukhater.

Un marché des 4x4 et du luxe soutenu

Dans ce cadre morose, la demande pour les voitures de luxe et les 4x4 se maintient. Des marques comme Audi (+8,2 %), BMW (+48,2 %), Land Rover (+50,7 %), Maserati (+54,5 %), Mini (+75 %) affichent des taux de croissance insolents. « Mais l’année dernière était mauvaise pour le luxe, souligne Nabil Bazeji, PDG de G.A. Bazerji & Sons (Suzuki, Lancia, Maserati, Maruti), il y a un effet de rattrapage cette année. »
Ces marques, toutes européennes, ont également été poussées par un euro plus faible que l’année précédente, même s’il reste élevé. Des mesures de couverture du risque de change, prises par les maisons mères ou les concessionnaires, permettent également de diminuer l’effet taux de change.
Du côté des 4x4, 4 089 SUV ont été vendus à fin août 2012, représentant 17,8 % du marché, en légère augmentation par rapport aux deux années précédentes (17 %). Mais contrairement à ce que l’on pourrait penser, ce sont les 4x4 les moins chers qui poussent ce segment vers le haut. « Kia est la première marque de 4x4 au Liban », affirme Assaad Dagher Hayek, à la tête du groupe Hayek Dagher (Kia, Peugeot, Citroën, Seat, Saab et Mitsubishi).
« Ce sont les voitures de prix moyen (entre 20 000 et 80 000 dollars) qui souffrent cette année. Les petites voitures et les voitures de luxe se portent bien », explique Nabil Bazerji.

Des investissements continus

Dans ce contexte de crise et de concurrence accrue, les concessionnaires de voitures ont multiplié investissements et offres commerciales pour attirer les consommateurs : chez Mazda par exemple, pour pallier la cherté relative des voitures (car facturées en yen), le concessionnaire offre maintenant jusqu’à cinq ans de garantie pour un kilométrage illimité. Kia a inauguré un nouveau showroom en janvier 2012, Peugeot renouvelle le sien d’ici à la fin de l’année, Mazda a doublé sa couverture du territoire libanais en passant à huit concessions, Hyundai en a ouvert deux récemment. « Nous avons maintenant 24 showrooms au total au Liban », précise Martine Atallah.
 

Guerre des monnaies

« Le marché automobile libanais reflète la guerre des monnaies mondiale, avec un dollar et un won faibles pour encourager les exportations américaines et coréennes, et un euro et yen forts », analyse Anthony Boukhater, codirecteur général de A.N. Boukhater (Mazda). Les voitures coréennes (+13,8 %) et américaines
(+10,1 %) affichent en effet des croissances bien supérieures à celles des européennes (+5,5 %) et japonaises, qui elles chutent de -1,8 %.  Pour contrer ce désavantage compétitif, certaines marques de voitures européennes et japonaises ont construit des usines dans des pays liés au dollar : c’est le cas de Renault par exemple. « Le groupe PSA a lui aussi investi dans des zones non euros, mais il faut attendre encore deux ou trois ans avant de voir les premières livraisons », commente Assaad Dagher Hayek, à la tête du groupe du même nom.

 

dans ce Dossier