Un article du Dossier
Gaz naturel : la ruée vers l'or bleu
Gravement fragilisée par la crise grecque, Chypre pourrait voir son paysage économique modifié par les nouvelles ressources gazières récemment découvertes au large de ses côtes.
Chypre s’est positionnée relativement tôt dans la course aux hydrocarbures qui se déroule dans le bassin du Levant. En 2006, la société norvégienne Petroleum Geo-Services (PGS) a réalisé des études sismiques en 3D au large de ses côtes ; conduisant à une division des 51 000 km2 de la zone maritime située au sud de l’île en 13 blocs d’exploitation d’hydrocarbures. Un premier appel d’offres a été lancé en février 2007, dans le cadre duquel Noble Energy a obtenu une licence d’exploration sur le bloc 12. La compagnie texane qui opère aussi en Israël a annoncé en décembre 2011 que des forages exploratoires avaient permis la découverte d’un gisement de gaz naturel d’excellente qualité, baptisé Aphrodite, dont les réserves pourraient dépasser les 200 milliards de m3. À la suite d’un deuxième appel d’offres, Chypre a annoncé en octobre dernier avoir accordé quatre autres licences d’exploration, d’une durée maximale de sept ans à des majors dont le français Total, l’italien Eni ou le russe Novatec. Les huit autres blocs mis aux enchères devraient être attribués graduellement d’ici à fin 2013.
Le calendrier de l’exploitation n’a pas encore été fixé, mais on sait que les licences porteront sur 25 ans. Pour autant, Nicosie compte bien garder la main sur le secteur en confiant la majorité des parts des futurs consortiums à la compagnie nationale des hydrocarbures actuellement en cours de constitution. Dans un premier temps, ce gaz devrait être destiné au marché intérieur afin de réduire la consommation de pétrole importé qui alimente les centrales thermiques de l’île. Mais à l’horizon 2020, Chypre compte bien devenir exportateur ; une perspective plus qu’ambitieuse compte tenu de l’inexpérience et du manque de moyen de ce petit État.
Des besoins financiers considérables
Pour pouvoir doter le pays des infrastructures nécessaires à la concrétisation de ces espoirs, la République insulaire doit pouvoir trouver des fonds à la hauteur des investissements en jeu, notamment en ce qui concerne le transport du gaz exploité. La solution la plus évidente consisterait à associer l’un de ses voisins à l’effort, mais les alternatives sont minces : les relations exécrables qu’entretient Nicosie avec son voisin turc – qui ne reconnaît pas la République de Chypre depuis la partition de l’île en 1974 – interdit tout raccordement à son réseau gazier. Envisagée un moment, la construction d’un gazoduc jusqu’à la côte grecque se heurte quant à elle à des difficultés liées à l’ampleur du projet et à la situation financière des deux pays. Le Liban et la Syrie ne sont pas des options à ce stade. Reste donc Israël : les deux États ont conclu des accords frontaliers et envisagent la possibilité d’exporter leur gaz vers l’Union européenne à partir de terminaux de liquéfaction situés sur l’île. Les discussions sont encore en cours, mais il semble difficile d’imaginer un partenariat équitable : l’investissement pour une chaîne de liquéfaction représenterait à lui seul l’équivalent de la moitié du PIB annuel chypriote…
D’autant que le coût des infrastructures est loin de constituer la seule préoccupation financière de Nicosie. Le gouvernement a déjà affirmé compter sur ses ressources gazières pour soutenir une économie fortement ébranlée par la crise : après que l’île a connu en 2009 sa première récession depuis 30 ans, ses banques ont déjà dû effacer deux milliards d’euros de titres de dette grecque auxquels elles avaient souscrit et l’État n’a plus accès aux marchés financiers en raison des dégradations successives de sa note souveraine. En attendant la commercialisation de son gaz, Chypre mise donc sur cette source d’attractivité nouvelle pour stimuler la générosité de ses partenaires internationaux. Si une aide de l’Union européenne a été sollicitée officiellement en juin dernier, elle impliquerait sans doute des mesures drastiques d’austérité et une remise en cause de son laxisme fiscal. Du coup, les Chypriotes envisagent également des soutiens moins regardants. En première ligne, la Russie avec qui l’île entretient depuis longtemps de profondes relations diplomatiques et commerciales : après avoir bénéficié en 2011 d’un premier prêt à faible intérêt de 2,5 milliards d’euros, Nicosie a formulé une demande d’un montant de cinq milliards d’euros en juillet dernier. Même si Moscou n’a pas encore pris sa décision, la somme ne devrait pas l’effrayer outre mesure : la problématique de l’accès aux mers chaudes a toujours été au cœur de sa politique étrangère et le pays n’a cessé de manifester son intérêt pour les gisements gaziers de la Méditerranée.
Comme pour fournir une preuve ultime des immenses espoirs que Nicosie fonde sur l’exploitation commerciale de ses ressources offshore, le ministre du Commerce Neoclis Sylikiotis n’a pas hésité à déclarer qu’elles « pourraient jouer un rôle catalyseur dans les négociations sur la réunification du pays ! ». Un enthousiasme loin d’être partagé par Ankara…
Le calendrier de l’exploitation n’a pas encore été fixé, mais on sait que les licences porteront sur 25 ans. Pour autant, Nicosie compte bien garder la main sur le secteur en confiant la majorité des parts des futurs consortiums à la compagnie nationale des hydrocarbures actuellement en cours de constitution. Dans un premier temps, ce gaz devrait être destiné au marché intérieur afin de réduire la consommation de pétrole importé qui alimente les centrales thermiques de l’île. Mais à l’horizon 2020, Chypre compte bien devenir exportateur ; une perspective plus qu’ambitieuse compte tenu de l’inexpérience et du manque de moyen de ce petit État.
Des besoins financiers considérables
Pour pouvoir doter le pays des infrastructures nécessaires à la concrétisation de ces espoirs, la République insulaire doit pouvoir trouver des fonds à la hauteur des investissements en jeu, notamment en ce qui concerne le transport du gaz exploité. La solution la plus évidente consisterait à associer l’un de ses voisins à l’effort, mais les alternatives sont minces : les relations exécrables qu’entretient Nicosie avec son voisin turc – qui ne reconnaît pas la République de Chypre depuis la partition de l’île en 1974 – interdit tout raccordement à son réseau gazier. Envisagée un moment, la construction d’un gazoduc jusqu’à la côte grecque se heurte quant à elle à des difficultés liées à l’ampleur du projet et à la situation financière des deux pays. Le Liban et la Syrie ne sont pas des options à ce stade. Reste donc Israël : les deux États ont conclu des accords frontaliers et envisagent la possibilité d’exporter leur gaz vers l’Union européenne à partir de terminaux de liquéfaction situés sur l’île. Les discussions sont encore en cours, mais il semble difficile d’imaginer un partenariat équitable : l’investissement pour une chaîne de liquéfaction représenterait à lui seul l’équivalent de la moitié du PIB annuel chypriote…
D’autant que le coût des infrastructures est loin de constituer la seule préoccupation financière de Nicosie. Le gouvernement a déjà affirmé compter sur ses ressources gazières pour soutenir une économie fortement ébranlée par la crise : après que l’île a connu en 2009 sa première récession depuis 30 ans, ses banques ont déjà dû effacer deux milliards d’euros de titres de dette grecque auxquels elles avaient souscrit et l’État n’a plus accès aux marchés financiers en raison des dégradations successives de sa note souveraine. En attendant la commercialisation de son gaz, Chypre mise donc sur cette source d’attractivité nouvelle pour stimuler la générosité de ses partenaires internationaux. Si une aide de l’Union européenne a été sollicitée officiellement en juin dernier, elle impliquerait sans doute des mesures drastiques d’austérité et une remise en cause de son laxisme fiscal. Du coup, les Chypriotes envisagent également des soutiens moins regardants. En première ligne, la Russie avec qui l’île entretient depuis longtemps de profondes relations diplomatiques et commerciales : après avoir bénéficié en 2011 d’un premier prêt à faible intérêt de 2,5 milliards d’euros, Nicosie a formulé une demande d’un montant de cinq milliards d’euros en juillet dernier. Même si Moscou n’a pas encore pris sa décision, la somme ne devrait pas l’effrayer outre mesure : la problématique de l’accès aux mers chaudes a toujours été au cœur de sa politique étrangère et le pays n’a cessé de manifester son intérêt pour les gisements gaziers de la Méditerranée.
Comme pour fournir une preuve ultime des immenses espoirs que Nicosie fonde sur l’exploitation commerciale de ses ressources offshore, le ministre du Commerce Neoclis Sylikiotis n’a pas hésité à déclarer qu’elles « pourraient jouer un rôle catalyseur dans les négociations sur la réunification du pays ! ». Un enthousiasme loin d’être partagé par Ankara…