Un article du Dossier
Gaz naturel : la ruée vers l'or bleu
La rentabilisation des investissements nécessaires à l’exploitation des gisements du bassin levantin de la Méditerranée dépend en partie des prix du gaz au moment de sa commercialisation. Comment vont évoluer ces prix ? Entretien avec Thierry Bros, analyste senior “marché gazier européen et GNL” à la Société générale et auteur de l’ouvrage “After the US Shale Gas Revolution” (éd. Technip, 2012).
Existe-t-il un marché mondial sur lequel se déterminent les prix du gaz ?
Contrairement à d’autres hydrocarbures comme le pétrole, il n’y a pas un, mais plusieurs marchés du gaz au niveau mondial. Les trois principaux marchés, le nord américain, l’européen et l’est-asiatique, ont des particularités propres à leur zone géographique et au mode de transport. Cela se traduit par de grands écarts de prix.
Le marché américain a été successivement bouleversé avec l’essor de la production locale de gaz de schiste qui a profondément accentué la concurrence et entraîné une baisse des prix considérable, le million de BTU (NDLR : British Thermal Unit, l’unité de mesure internationale du gaz) se négociant aux alentours de 3 dollars, c’est-à-dire à un prix légèrement inférieur au coût marginal de production.
Le marché européen, lui, voit coexister différentes structures de “pricing”. Aujourd’hui, 55 % des ventes de gaz réalisées sur la place européenne se font sur la base d’une indexation pétrole, et encore ce chiffre inclut le Royaume-Uni où les marchés spots sont plus présents. Aujourd’hui, le gaz européen indexé se vend actuellement à 14 dollars le million de BTU contre 10 dollars sur le marché spot.
Le marché asiatique fonctionne lui exclusivement autour de contrats à long terme, même si le GNL est le principal mode d’approvisionnement, et les prix y sont plus chers : entre 16 et 17 dollars le million de BTU.
Cette forte hétérogénéité des prix va-t-elle perdurer ? Ne va-t-on pas assister à une baisse générale des prix à moyen-long terme ?
Je ne pense pas que l’on va assister à une unification de ces différents marchés, du moins d’ici à 2020. Pour que les prix soient bas partout, il faudrait que tout le monde produise du gaz non conventionnel et que celui-ci soit vendu dans un système ouvert et concurrentiel, cela fait tout de même beaucoup de conditions à remplir…
Il est vrai qu’à long terme, l’exploitation massive des gaz non conventionnels pourrait en partie modifier cette situation. Les États-Unis par exemple seront sans doute un jour amenés à exporter du GNL. Pour autant, il faut tenir compte des coûts induits de la chaîne de liquéfaction : en partant d’une base qui resterait à 3 dollars aux États-Unis, on pourrait obtenir à terme un gaz qui se vendrait à 9 dollars le million de BTU en Europe (soit la somme du prix américain et des 6 dollars correspondant aux coûts de liquéfaction, transport et regazéification). On pourrait donc à terme avoir des marchés corrélés aux coûts d’arbitrage, mais cela risque de prendre du temps et on restera de toute façon loin d’un prix mondial unique.
Et s’agissant du gaz en eaux profondes du Levant, dans quelle mesure l’exploitation de ces immenses ressources peut-elle bouleverser le marché ?
Difficile de se prononcer sur ce point. D’abord parce que dans la meilleure des hypothèses, ce gaz ne devrait pas se retrouver en grandes quantités sur le marché avant 2020. D’autant que les projets d’exploitation de ce gaz vont être en concurrence avec ceux des États-Unis, du Canada, de l’est de l’Afrique… Les investisseurs vont donc être amenés à tenir compte de la difficulté des projets, des différents coûts de production et des royalties demandées par les États pour faire leurs arbitrages. De plus, contrairement aux États-Unis par exemple, la plupart des pays concernés sont de nouveaux entrants dans le secteur et ne doivent pas seulement investir sur le transport, mais aussi en amont en créant les structures d’extraction et de liquéfaction.
Enfin parce que la crise économique actuelle a considérablement modifié les enjeux. Aujourd’hui, plus aucun producteur ne peut se dire : « On a trouvé un gisement immense et on va l’exploiter quel que soit son coût puisque l’acheteur paiera. »
Concernant le gaz méditerranéen, la vraie question va donc être : « Comment produire à un coût acceptable pour l’acheteur sans pour autant dissuader les investisseurs ? » Pour y répondre, il faudra tenir compte d’un certain nombre de paramètres comme la capacité d’investissement des acteurs, un interventionnisme étatique capable de garantir a minima un cadre juridique et fiscal stable, la résolution du problème de tracés des frontières qui rend pour l’instant certains champs intouchables, etc. Cela fait beaucoup d’inconnues…
Contrairement à d’autres hydrocarbures comme le pétrole, il n’y a pas un, mais plusieurs marchés du gaz au niveau mondial. Les trois principaux marchés, le nord américain, l’européen et l’est-asiatique, ont des particularités propres à leur zone géographique et au mode de transport. Cela se traduit par de grands écarts de prix.
Le marché américain a été successivement bouleversé avec l’essor de la production locale de gaz de schiste qui a profondément accentué la concurrence et entraîné une baisse des prix considérable, le million de BTU (NDLR : British Thermal Unit, l’unité de mesure internationale du gaz) se négociant aux alentours de 3 dollars, c’est-à-dire à un prix légèrement inférieur au coût marginal de production.
Le marché européen, lui, voit coexister différentes structures de “pricing”. Aujourd’hui, 55 % des ventes de gaz réalisées sur la place européenne se font sur la base d’une indexation pétrole, et encore ce chiffre inclut le Royaume-Uni où les marchés spots sont plus présents. Aujourd’hui, le gaz européen indexé se vend actuellement à 14 dollars le million de BTU contre 10 dollars sur le marché spot.
Le marché asiatique fonctionne lui exclusivement autour de contrats à long terme, même si le GNL est le principal mode d’approvisionnement, et les prix y sont plus chers : entre 16 et 17 dollars le million de BTU.
Cette forte hétérogénéité des prix va-t-elle perdurer ? Ne va-t-on pas assister à une baisse générale des prix à moyen-long terme ?
Je ne pense pas que l’on va assister à une unification de ces différents marchés, du moins d’ici à 2020. Pour que les prix soient bas partout, il faudrait que tout le monde produise du gaz non conventionnel et que celui-ci soit vendu dans un système ouvert et concurrentiel, cela fait tout de même beaucoup de conditions à remplir…
Il est vrai qu’à long terme, l’exploitation massive des gaz non conventionnels pourrait en partie modifier cette situation. Les États-Unis par exemple seront sans doute un jour amenés à exporter du GNL. Pour autant, il faut tenir compte des coûts induits de la chaîne de liquéfaction : en partant d’une base qui resterait à 3 dollars aux États-Unis, on pourrait obtenir à terme un gaz qui se vendrait à 9 dollars le million de BTU en Europe (soit la somme du prix américain et des 6 dollars correspondant aux coûts de liquéfaction, transport et regazéification). On pourrait donc à terme avoir des marchés corrélés aux coûts d’arbitrage, mais cela risque de prendre du temps et on restera de toute façon loin d’un prix mondial unique.
Et s’agissant du gaz en eaux profondes du Levant, dans quelle mesure l’exploitation de ces immenses ressources peut-elle bouleverser le marché ?
Difficile de se prononcer sur ce point. D’abord parce que dans la meilleure des hypothèses, ce gaz ne devrait pas se retrouver en grandes quantités sur le marché avant 2020. D’autant que les projets d’exploitation de ce gaz vont être en concurrence avec ceux des États-Unis, du Canada, de l’est de l’Afrique… Les investisseurs vont donc être amenés à tenir compte de la difficulté des projets, des différents coûts de production et des royalties demandées par les États pour faire leurs arbitrages. De plus, contrairement aux États-Unis par exemple, la plupart des pays concernés sont de nouveaux entrants dans le secteur et ne doivent pas seulement investir sur le transport, mais aussi en amont en créant les structures d’extraction et de liquéfaction.
Enfin parce que la crise économique actuelle a considérablement modifié les enjeux. Aujourd’hui, plus aucun producteur ne peut se dire : « On a trouvé un gisement immense et on va l’exploiter quel que soit son coût puisque l’acheteur paiera. »
Concernant le gaz méditerranéen, la vraie question va donc être : « Comment produire à un coût acceptable pour l’acheteur sans pour autant dissuader les investisseurs ? » Pour y répondre, il faudra tenir compte d’un certain nombre de paramètres comme la capacité d’investissement des acteurs, un interventionnisme étatique capable de garantir a minima un cadre juridique et fiscal stable, la résolution du problème de tracés des frontières qui rend pour l’instant certains champs intouchables, etc. Cela fait beaucoup d’inconnues…