Un article du Dossier
Immobilier : le ralentissement se poursuit
Le ralentissement du marché immobilier, qui avait commencé en 2011, s’est accentué en 2012. Baisse des ventes immobilières, diminution des permis de construire, stagnation des prix… tous les indicateurs pointent dans la même direction, même s’il ne convient pas vraiment de parler de “crise”. La construction de plus petites surfaces n’a pas suffi à relancer le marché et la demande syrienne n’a pas été à la hauteur des attentes. La situation sécuritaire a également pesé sur la confiance des acheteurs. Peut-on tout de même être optimiste pour 2013 ?
Impossible de se balader dans les rues de Beyrouth sans s’exposer au vacarme incessant des grues et des pelleteuses. De nouveaux projets sortent chaque jour de terre et les démolitions de vieilles demeures pour bâtir des immeubles neufs sont monnaie courante. Paradoxalement, cette frénésie masque une réalité moins rose : en 2012, les principaux indicateurs du marché immobilier étaient en berne. À commencer par le nombre de transactions immobilières, qui a reculé de 10,1 % par rapport à l’année 2011, une année déjà marquée par une baisse des ventes de 11 %. Si les années 2006 à 2010 ont certes connu des taux de vente exceptionnels, le ralentissement des transactions, entamé à la fin de l’année 2010, semble bien se confirmer sur la durée. Autres indicateurs de l’activité immobilière, même s’ils ne donnent pas nécessairement une photographie exacte du marché : les permis de construire et les livraisons de ciment. L’administration libanaise a octroyé en 2012 des permis de construire pour une surface de 14 680 917 m², soit une réduction de 10,8 % par rapport à l’année 2011. Et les livraisons de ciment ont baissé pour la première fois de 4,3 % en 2012, après une hausse continuelle depuis plus de dix ans.
La multiplication d’appartements invendus
Le ralentissement du marché entraîne de facto une multiplication des appartements invendus, en particulier dans les grandes surfaces. « Près de 50 % de projets qui proposent des superficies supérieures à 300 m² n’ont pas écoulé toutes leurs unités depuis 2010 », soutient Jade Zoghaib, directeur associé de l’agence immobilière JSK Real Estate. « Encore deux ans après la fin de la construction, il reste en moyenne 20 à 30 % de stock disponible dans les projets qui ont été lancés pendant la période du boom immobilier », confirme Guillaume Boudisseau, consultant immobilier chez Ramco. Même les plus grands promoteurs de la capitale sont touchés par ce phénomène.
Une situation qui s’explique par le changement rapide des besoins de la demande, à laquelle l’offre n’a pas pu s’adapter immédiatement. Pendant le boom immobilier, les promoteurs ont construit de grandes superficies, plutôt destinées aux Libanais expatriés, et pour des budgets dépassant le million de dollars. « Les prix de l’immobilier ayant triplé entre 2007 et 2010, les acheteurs se sont progressivement orientés vers de plus petites surfaces. Ce qui compte désormais, ce n’est plus de trouver une surface idéale, mais une surface convenable dans le budget qu’on s’est fixé », explique Marc Geara, promoteur immobilier à Achrafié. Dans la capitale, le budget moyen varie entre 400 000 et 600 000 dollars, alors que dans les périphéries de Beyrouth, il oscille plutôt entre 200 000 et 300 000 dollars. Les nouveaux projets lancés depuis 2011 ont davantage pris en compte les aspirations de la demande, proposant des superficies plus modestes. « Les petites surfaces sont légèrement moins rentables pour les promoteurs, qui doivent construire davantage de cuisines ou de salles de bains, mais comme la demande est plus forte, le taux de rotation est bien meilleur », poursuit Marc Geara. Selon une étude du Crédit libanais réalisée en juin 2012, les unités entre 100 et 150 m² constituaient déjà 46 % du nombre de superficies construites en 2011, contre 26 % en 2009. Les promoteurs essaient aussi de proposer des concepts architecturaux novateurs – comme la construction de lofts incluent une dimension environnementale ou offrent davantage de services à leurs clients.
Les prix font de la résistance
Pourtant, le marché ne redécolle pas, car même pour les petites surfaces, les prix restent élevés – généralement au-dessus de 4 000 dollars le m² à Beyrouth – et les négociations de l’ordre de 10 à 15 % dans les grandes surfaces ne suffisent pas à décider les acheteurs. C’est que les promoteurs rechignent encore souvent à baisser leurs grilles de prix. La valeur moyenne des transactions est toujours en hausse : +3,8 % sur l’année 2012, selon des chiffres communiqués par Bank Audi en janvier 2013. Ce statu quo sur les prix peut s’expliquer par plusieurs facteurs : la plupart des promoteurs financent la construction de leurs projets par des préventes et des fonds propres, une partie d’entre eux seulement ayant recours à des emprunts bancaires. Ils ne sont donc pas pressés de vendre leurs stocks d’appartements restants à la fin de la construction, car ils constituent souvent leur marge de profit. D’autre part, même si les prix des terrains se sont stabilisés depuis 2011, ils restent encore élevés. « Les promoteurs qui envisagent de lancer de nouveaux projets ont besoin de liquidités provenant de la vente de leurs précédents appartements », affirme Ayssar Abillama, promoteur et PDG de Injaz Holding.
Les acheteurs, de leur côté, ne sont plus disposés à accepter n’importe quel prix, comme au cours des années de boom, et prennent le temps de repérer le produit qui leur convient. En outre, la situation sécuritaire au Liban, qui s’est détériorée en 2012 – avec un nouvel assassinat politique et de nombreux débordements liés au conflit en Syrie – n’a pas créé un climat propice aux achats. Les expatriés libanais sont venus moins fréquemment au Liban et hésitent à investir, en attendant de suivre l’évolution de la situation. Quant à la demande des étrangers, elle a encore continué de baisser de 9,5 %, avec seulement 1 385 ventes immobilières en 2012. Les ressortissants du Golfe ont globalement suivi les consignes de leurs gouvernements respectifs de ne plus se rendre au pays du Cèdre.
Nouvelle impulsion de la Banque centrale
Pour donner un nouveau coup de pouce au secteur immobilier, la Banque centrale a décidé en janvier 2013 d’injecter 1,46 milliard de dollars dans l’économie libanaise, en prêtant des fonds aux banques commerciales à un taux d’intérêt de 1 % jusqu’à décembre 2013. Environ 60 % de ces fonds (820 millions de dollars) seront affectés aux crédits immobiliers, afin de relancer la demande, le reste des prêts étant dirigé vers des secteurs productifs. « Certaines banques ont lancé des campagnes marketing proposant des taux à partir de 3 %, ce qui équivaut à des taux d’intérêt négatif si l’on prend en compte l’inflation. Le taux plafond a été fixé à 6 % par la Banque centrale », explique Nassib Ghobril, directeur du département de recherche économique à la banque Byblos. Seule limite, les crédits immobiliers ne pourront pas dépasser le plafond de 530 700 dollars pour acquérir un appartement. Ce nouveau package de la Banque centrale constitue le prolongement du mécanisme enclenché en juin 2009 et qui avait permis d’encourager les crédits au logement, en accordant des subventions sur les crédits consentis en monnaie locale, à travers des exemptions de réserves obligatoires. « En 2012, les banques ont fini par épuiser toutes leurs réserves obligatoires et la Banque centrale a décidé de continuer à soutenir la demande d’achat de logements. Mais si le mécanisme de 2009 a eu beaucoup d’effets, il n’est pas sûr que cette nouvelle stratégie fonctionne aussi bien, car la conjoncture n’est plus la même. Le niveau de confiance des ménages a considérablement baissé », estime Nassib Ghobril.
Demande syrienne ?
La demande d’achats pourrait être également relancée en 2013 par la clientèle syrienne. De l’avis de nombreux promoteurs, il existe bien une demande syrienne, mais qui ne s’est pas vraiment concrétisée en 2012. « On a observé quelques transactions dans des produits de luxe au centre-ville de Beyrouth, mais cela n’est pas significatif. La demande est plutôt concentrée vers le Metn et le Kesrouan », explique l’agent immobilier Walid Moussa. « Il existe une demande syrienne à Ras Beyrouth pour un budget variant entre 700 000 et un million de dollars », note Guillaume Boudisseau.
Cependant, pas de quoi affoler les compteurs. « La plupart des Syriens aisés ont déjà acheté des appartements à Beyrouth avant la crise en Syrie et ceux qui n’en possédaient pas préfèrent investir dans le Golfe ou en Europe, où la stabilité est plus forte », assure Massaad Farès, directeur général de Prime Consult. Jusqu’ici, la quasi-totalité des familles syriennes a préféré louer des appartements, à Beyrouth ou dans toutes les autres régions libanaises. « Nous recevons plusieurs demandes pour des locations chaque jour, pour des budgets allant de 100 à 3 000 dollars par mois. Les propriétaires exigeaient la première année un an de paiement en avance, mais la seconde année sont plus flexibles et acceptent de se faire payer en deux fois. Dans certaines régions, les loyers ont augmenté de plus de 20 % suite à l’arrivée de la demande syrienne », explique Jade Zoghaib.
Si les Syriens aisés réfugiés au Liban ont eu recours à la location en 2012, c’est qu’ils comptaient sur un retour proche en Syrie. La poursuite des combats pourrait cependant changer la donne. « Les Syriens commencent à réaliser que la situation ne va pas s’améliorer prochainement, et que l’instabilité pourrait se prolonger des années. Ils pourraient convertir leurs locations en achats, soutient Élie Harb, directeur de l’agence immobilière Coldwell Banker. Mais pour observer un réel impact sur le marché immobilier, il faudrait un exode massif de Damas. »
La multiplication d’appartements invendus
Le ralentissement du marché entraîne de facto une multiplication des appartements invendus, en particulier dans les grandes surfaces. « Près de 50 % de projets qui proposent des superficies supérieures à 300 m² n’ont pas écoulé toutes leurs unités depuis 2010 », soutient Jade Zoghaib, directeur associé de l’agence immobilière JSK Real Estate. « Encore deux ans après la fin de la construction, il reste en moyenne 20 à 30 % de stock disponible dans les projets qui ont été lancés pendant la période du boom immobilier », confirme Guillaume Boudisseau, consultant immobilier chez Ramco. Même les plus grands promoteurs de la capitale sont touchés par ce phénomène.
Une situation qui s’explique par le changement rapide des besoins de la demande, à laquelle l’offre n’a pas pu s’adapter immédiatement. Pendant le boom immobilier, les promoteurs ont construit de grandes superficies, plutôt destinées aux Libanais expatriés, et pour des budgets dépassant le million de dollars. « Les prix de l’immobilier ayant triplé entre 2007 et 2010, les acheteurs se sont progressivement orientés vers de plus petites surfaces. Ce qui compte désormais, ce n’est plus de trouver une surface idéale, mais une surface convenable dans le budget qu’on s’est fixé », explique Marc Geara, promoteur immobilier à Achrafié. Dans la capitale, le budget moyen varie entre 400 000 et 600 000 dollars, alors que dans les périphéries de Beyrouth, il oscille plutôt entre 200 000 et 300 000 dollars. Les nouveaux projets lancés depuis 2011 ont davantage pris en compte les aspirations de la demande, proposant des superficies plus modestes. « Les petites surfaces sont légèrement moins rentables pour les promoteurs, qui doivent construire davantage de cuisines ou de salles de bains, mais comme la demande est plus forte, le taux de rotation est bien meilleur », poursuit Marc Geara. Selon une étude du Crédit libanais réalisée en juin 2012, les unités entre 100 et 150 m² constituaient déjà 46 % du nombre de superficies construites en 2011, contre 26 % en 2009. Les promoteurs essaient aussi de proposer des concepts architecturaux novateurs – comme la construction de lofts incluent une dimension environnementale ou offrent davantage de services à leurs clients.
Les prix font de la résistance
Pourtant, le marché ne redécolle pas, car même pour les petites surfaces, les prix restent élevés – généralement au-dessus de 4 000 dollars le m² à Beyrouth – et les négociations de l’ordre de 10 à 15 % dans les grandes surfaces ne suffisent pas à décider les acheteurs. C’est que les promoteurs rechignent encore souvent à baisser leurs grilles de prix. La valeur moyenne des transactions est toujours en hausse : +3,8 % sur l’année 2012, selon des chiffres communiqués par Bank Audi en janvier 2013. Ce statu quo sur les prix peut s’expliquer par plusieurs facteurs : la plupart des promoteurs financent la construction de leurs projets par des préventes et des fonds propres, une partie d’entre eux seulement ayant recours à des emprunts bancaires. Ils ne sont donc pas pressés de vendre leurs stocks d’appartements restants à la fin de la construction, car ils constituent souvent leur marge de profit. D’autre part, même si les prix des terrains se sont stabilisés depuis 2011, ils restent encore élevés. « Les promoteurs qui envisagent de lancer de nouveaux projets ont besoin de liquidités provenant de la vente de leurs précédents appartements », affirme Ayssar Abillama, promoteur et PDG de Injaz Holding.
Les acheteurs, de leur côté, ne sont plus disposés à accepter n’importe quel prix, comme au cours des années de boom, et prennent le temps de repérer le produit qui leur convient. En outre, la situation sécuritaire au Liban, qui s’est détériorée en 2012 – avec un nouvel assassinat politique et de nombreux débordements liés au conflit en Syrie – n’a pas créé un climat propice aux achats. Les expatriés libanais sont venus moins fréquemment au Liban et hésitent à investir, en attendant de suivre l’évolution de la situation. Quant à la demande des étrangers, elle a encore continué de baisser de 9,5 %, avec seulement 1 385 ventes immobilières en 2012. Les ressortissants du Golfe ont globalement suivi les consignes de leurs gouvernements respectifs de ne plus se rendre au pays du Cèdre.
Nouvelle impulsion de la Banque centrale
Pour donner un nouveau coup de pouce au secteur immobilier, la Banque centrale a décidé en janvier 2013 d’injecter 1,46 milliard de dollars dans l’économie libanaise, en prêtant des fonds aux banques commerciales à un taux d’intérêt de 1 % jusqu’à décembre 2013. Environ 60 % de ces fonds (820 millions de dollars) seront affectés aux crédits immobiliers, afin de relancer la demande, le reste des prêts étant dirigé vers des secteurs productifs. « Certaines banques ont lancé des campagnes marketing proposant des taux à partir de 3 %, ce qui équivaut à des taux d’intérêt négatif si l’on prend en compte l’inflation. Le taux plafond a été fixé à 6 % par la Banque centrale », explique Nassib Ghobril, directeur du département de recherche économique à la banque Byblos. Seule limite, les crédits immobiliers ne pourront pas dépasser le plafond de 530 700 dollars pour acquérir un appartement. Ce nouveau package de la Banque centrale constitue le prolongement du mécanisme enclenché en juin 2009 et qui avait permis d’encourager les crédits au logement, en accordant des subventions sur les crédits consentis en monnaie locale, à travers des exemptions de réserves obligatoires. « En 2012, les banques ont fini par épuiser toutes leurs réserves obligatoires et la Banque centrale a décidé de continuer à soutenir la demande d’achat de logements. Mais si le mécanisme de 2009 a eu beaucoup d’effets, il n’est pas sûr que cette nouvelle stratégie fonctionne aussi bien, car la conjoncture n’est plus la même. Le niveau de confiance des ménages a considérablement baissé », estime Nassib Ghobril.
Demande syrienne ?
La demande d’achats pourrait être également relancée en 2013 par la clientèle syrienne. De l’avis de nombreux promoteurs, il existe bien une demande syrienne, mais qui ne s’est pas vraiment concrétisée en 2012. « On a observé quelques transactions dans des produits de luxe au centre-ville de Beyrouth, mais cela n’est pas significatif. La demande est plutôt concentrée vers le Metn et le Kesrouan », explique l’agent immobilier Walid Moussa. « Il existe une demande syrienne à Ras Beyrouth pour un budget variant entre 700 000 et un million de dollars », note Guillaume Boudisseau.
Cependant, pas de quoi affoler les compteurs. « La plupart des Syriens aisés ont déjà acheté des appartements à Beyrouth avant la crise en Syrie et ceux qui n’en possédaient pas préfèrent investir dans le Golfe ou en Europe, où la stabilité est plus forte », assure Massaad Farès, directeur général de Prime Consult. Jusqu’ici, la quasi-totalité des familles syriennes a préféré louer des appartements, à Beyrouth ou dans toutes les autres régions libanaises. « Nous recevons plusieurs demandes pour des locations chaque jour, pour des budgets allant de 100 à 3 000 dollars par mois. Les propriétaires exigeaient la première année un an de paiement en avance, mais la seconde année sont plus flexibles et acceptent de se faire payer en deux fois. Dans certaines régions, les loyers ont augmenté de plus de 20 % suite à l’arrivée de la demande syrienne », explique Jade Zoghaib.
Si les Syriens aisés réfugiés au Liban ont eu recours à la location en 2012, c’est qu’ils comptaient sur un retour proche en Syrie. La poursuite des combats pourrait cependant changer la donne. « Les Syriens commencent à réaliser que la situation ne va pas s’améliorer prochainement, et que l’instabilité pourrait se prolonger des années. Ils pourraient convertir leurs locations en achats, soutient Élie Harb, directeur de l’agence immobilière Coldwell Banker. Mais pour observer un réel impact sur le marché immobilier, il faudrait un exode massif de Damas. »
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