Vivre au Liban c’est voir partir régulièrement les autres. L’expérience est toujours triste. Car contrairement à l’expatriation volontaire qui correspond à des parcours individuels de découverte du monde, elle est dans ce cas imposée. Celui qui part ne le fait pas de gaieté de cœur, mais parce que ses horizons professionnels sont bouchés. Ces départs sont doublement tristes lorsqu’ils concernent des serviteurs potentiels de l’État. Des jeunes formés à la gestion de la chose publique, souvent à l’étranger, et qui sont revenus dans leur pays avec la détermination de le faire évoluer par le haut. Ils ont persévéré longtemps, intégrant des administrations ministérielles, évoluant dans des centres de recherches ou des organisations internationales dédiées à l’analyse et la définition des politiques publiques. Ils ont refusé les offres alléchantes du secteur privé toujours preneur de talents. Mais, ils ont aussi été plus que d’autres, de l’intérieur, au contact des dysfonctionnements du système, de l’effritement inexorable de l’État. Et ont fini, eux aussi, par désespérer de pouvoir y remédier. L’arbitrage entre l’engagement pour une cause nationale et l’intérêt particulier finit toujours par pencher du même côté lorsque les raisons d’espérer tombent les unes après les autres. C’est humain. Chadi, Alia et les autres continuent de s’enflammer, de dénoncer, de proposer. Mais ils sont désormais bien loin.