Un article du Dossier
Le Liban se lance dans la chasse à l’homme
L’homme est-il l’avenir de la mode ? Le rayon masculin est de plus en plus considéré comme un relais de croissance pour le marché de l'habillement. Beyrouth n’échappe pas à la tendance : de nouvelles marques et enseignes y creusent leur sillon, apportant un peu de sang neuf dans un secteur longtemps sclérosé, marqué par le costume deux pièces et les polos de “papy”.
Multiplication des manifestations professionnelles Spécial Homme… Émergence de nouvelles marques masculines… Développement de lignes “messieurs” dans des maisons traditionnellement destinées à la femme, profusion de sites d’e-commerce spécialisés 100 % mâles… La mode masculine est désormais une industrie qui compte. Au point que certains s’interrogent : l’homme deviendrait-il bientôt une fashionista comme une autre ? La réponse ne fait pas de doute : c’est « oui », à un horizon relativement court. Le mouvement est déjà en marche : des dandys extravagants de la scène londonienne au costume italien traditionnel, du label confidentiel aux institutions inoxydables, l’homme se consomme désormais à toutes les sauces de la planète mode.
Cette effervescence, ce sont les chiffres qui la motivent : le marché de la mode masculine affiche une croissance honorable ces dernières années, plus honorable, en tous les cas, que celui de la femme. Selon le cabinet Euromonitor International, la mode homme connaît aux États-Unis le plus gros marché sur ce segment de consommation dans le monde, une croissance soutenue de +5,3 % entre 2010 et 2011 quand la mode féminine, elle, ne peut se prévaloir que d’une légère hausse de 1,4 % sur la même période. Pire (ou mieux), le marché du haut de gamme, qui représente aux alentours de 40 % du marché de la mode et pèse près de 200 milliards de dollars dans le monde, se trouve littéralement gonflé à la testostérone ces dernières années : le luxe masculin connaît une hausse de +14 %, quand son équivalent féminin dépasse difficilement les 8 %.
Explication ? D’abord, l’émergence de la Chine comme nouvelle planète fashion : les ventes luxe y progressent de 20 à 25 % par an en moyenne, les hommes représentant les trois quarts de ce marché avec une valeur estimée entre 25 et 30 milliards de dollars. Mais un autre motif se profile : jusqu’à présent l’homme restait un sous-consommateur, peu sollicité, mais dont le potentiel d’achat mérite qu’on s’y attarde alors que la mode femme se trouve sursaturée.
Destination beyrouth
Et au Liban ? Impossible de donner un chiffre. Toutefois, aux dires des différents acteurs du marché, on peut estimer le périmètre à 30-40 % de son alter ego féminin. Avec, ici aussi, une croissance plus rapide que pour le secteur féminin. « Pour nous, le secteur de la mode homme est en croissance plus rapide que le segment de la femme », fait valoir Tania Ezzedine, directrice du département retail et marketing du groupe ABC, sans vouloir donner plus de chiffres. Un constat qui explique pourquoi Beyrouth connaît à son tour une arrivée en force de marques hommes : Nadim Chammas a lancé en 2012 Officina Slowear, une boutique qui regroupe quatre marques italiennes à tendance “smart casual” (voir page 76). Sur le même registre, Mira Kassar a inauguré, il y a un an à peine, la boutique Mister M, au centre-ville : 120 m2 dédiés à 25 marques de la génération montante y sont présentées (voir page 77). Dans un registre plus conventionnel, Aïshti a installé au City Beirut Centre de Hazmié la marque Brooks Brothers, le plus ancien fabricant américain vénéré par l’élite Wasp américaine (voir page 70). Quant au chausseur anglais sur mesure John Lobb (Groupe Hermès) Holdal, qui le représente au Liban, lui a dédié une boutique en front de mer, à Beyrouth (voir page 72).
Autre signe de ce soudain intérêt pour l’homo libanicus : le groupe ABC a profité de la récente rénovation de son grand magasin de Dbayé pour consacrer un étage complet à la mode homme. Les travaux du grand magasin d’Achrafié, dont la date n’est pas encore fixée, devraient également permettre d’accorder un étage complet (le troisième) à l’homme, ce qui devrait doubler la surface octroyée à la mode masculine. « On passera alors d’une douzaine de marques à une quarantaine », ajoute Tania Ezzedine.
Verra-t-on pour autant l’homme libanais se passionner pour la mode, voire développer une fureur addictive pour les Fashions Weeks de New York ou de Paris ? Peu de chance. « Incontestablement, l’homme de plus de 30 ans manque encore d’originalité dans son rapport à la mode au Liban. Il a tendance à vouloir se conformer à un modèle passe-partout », explique Janis Sarraf-Tabet, acheteuse mode chez Malia. « Si une frange de la population masculine se montre toujours sensible à l’ostentation, en recherchant des marques à logo visibles, une partie recherche cependant aussi des vêtements intemporels, de qualité, qui lui tiennent plusieurs saisons », explique Nadim Chammas. « Ce qui explique une attention aux finitions, aux matières employées… Finalement, le style lui importe plus que la marque elle-même. Ce qui n’est pas toujours le cas pour la femme », ajoute-t-il.
Nouvelle génération
La véritable nouveauté du secteur réside dans l’émergence d’une nouvelle génération de clients comme de créateurs. Les plus jeunes (et accessoirement les plus gays) sont en train de changer le mode de consommation. « L’intérêt des plus jeunes pour les marques constitue une mutation qui modifie la structure même du marché », explique Grace Sehnaoui, de Kamishibaï. Faute d’études, aucun chiffre ne permet d’étayer au Liban cette intuition. En France cependant, les hommes de moins de 30 ans ont dépensé 5 milliards d'euros en 2012 pour leurs vêtements, selon une étude de l’Institut français de la mode (IFM), soit 25 % du chiffre d’affaires global du secteur, alors qu’il ne représente que 15 % de la population. Selon la même étude, un jeune homme (de moins de 24 ans) dépense en moyenne 630 euros pour ses tenues vestimentaires quand son aîné s’en tient à un budget de 420 euros annuel.
Pour cette frange de la population “adulescente”, Beyrouth manque encore d’originalité. Bien sûr, les géants du “fast fashion” sont présents à l’image de Zara (Azadea qui n’a pas souhaité répondre aux questions du Commerce du Levant) ou H&M, arrivé il y a deux ans à Beyrouth grâce au groupe émiratien Alshaya. Il peut aussi puiser dans un vivier de marques de sports assez bien représentées, à l’image d’Adidas ou de Nike. Avec l’ouverture de Mister M, le choix pour les trentenaires branchés s’est même étoffé de marques plus pointues comme Acné, Opening Ceremony, Haartford, ou encore Pierre Hardy. « Ces nouveaux labels rencontrent un public qui leur ressemble, jeune, décontracté ou sportif, qui s'intéresse à leur style, recherchant des modèles qui les distinguent de leurs aînés et les rassemblent », explique Mira Kassar. Mais certains créateurs parmi les plus prometteurs sur le marché mondial manquent encore au Liban : Alexandre Matiussi qui développe une gamme classique mais colorée ; Melinda Gloss, qui revendique une forme “d’élégance nonchalante” dans ses créations ou le Coréen Junn.J. (de son vrai nom Jung Wook-jun), dont les lignes allient une belle modernité à l’héritage des costumes traditionnels coréens…
Si la mode homme a un joli avenir devant elle à Beyrouth, « l’homme n'est pas près de devenir une femme comme les autres. Au contraire ! » s’amuse Nadim Chammas. Ce serait même plutôt les femmes qui empruntent certains comportements aux hommes. Elles tendent à acheter davantage de pièces pérennes, des basiques durables, et moins de stilettos sur micro-jupette… Presque une forme d'égalité des sexes !
Cette effervescence, ce sont les chiffres qui la motivent : le marché de la mode masculine affiche une croissance honorable ces dernières années, plus honorable, en tous les cas, que celui de la femme. Selon le cabinet Euromonitor International, la mode homme connaît aux États-Unis le plus gros marché sur ce segment de consommation dans le monde, une croissance soutenue de +5,3 % entre 2010 et 2011 quand la mode féminine, elle, ne peut se prévaloir que d’une légère hausse de 1,4 % sur la même période. Pire (ou mieux), le marché du haut de gamme, qui représente aux alentours de 40 % du marché de la mode et pèse près de 200 milliards de dollars dans le monde, se trouve littéralement gonflé à la testostérone ces dernières années : le luxe masculin connaît une hausse de +14 %, quand son équivalent féminin dépasse difficilement les 8 %.
Explication ? D’abord, l’émergence de la Chine comme nouvelle planète fashion : les ventes luxe y progressent de 20 à 25 % par an en moyenne, les hommes représentant les trois quarts de ce marché avec une valeur estimée entre 25 et 30 milliards de dollars. Mais un autre motif se profile : jusqu’à présent l’homme restait un sous-consommateur, peu sollicité, mais dont le potentiel d’achat mérite qu’on s’y attarde alors que la mode femme se trouve sursaturée.
Destination beyrouth
Et au Liban ? Impossible de donner un chiffre. Toutefois, aux dires des différents acteurs du marché, on peut estimer le périmètre à 30-40 % de son alter ego féminin. Avec, ici aussi, une croissance plus rapide que pour le secteur féminin. « Pour nous, le secteur de la mode homme est en croissance plus rapide que le segment de la femme », fait valoir Tania Ezzedine, directrice du département retail et marketing du groupe ABC, sans vouloir donner plus de chiffres. Un constat qui explique pourquoi Beyrouth connaît à son tour une arrivée en force de marques hommes : Nadim Chammas a lancé en 2012 Officina Slowear, une boutique qui regroupe quatre marques italiennes à tendance “smart casual” (voir page 76). Sur le même registre, Mira Kassar a inauguré, il y a un an à peine, la boutique Mister M, au centre-ville : 120 m2 dédiés à 25 marques de la génération montante y sont présentées (voir page 77). Dans un registre plus conventionnel, Aïshti a installé au City Beirut Centre de Hazmié la marque Brooks Brothers, le plus ancien fabricant américain vénéré par l’élite Wasp américaine (voir page 70). Quant au chausseur anglais sur mesure John Lobb (Groupe Hermès) Holdal, qui le représente au Liban, lui a dédié une boutique en front de mer, à Beyrouth (voir page 72).
Autre signe de ce soudain intérêt pour l’homo libanicus : le groupe ABC a profité de la récente rénovation de son grand magasin de Dbayé pour consacrer un étage complet à la mode homme. Les travaux du grand magasin d’Achrafié, dont la date n’est pas encore fixée, devraient également permettre d’accorder un étage complet (le troisième) à l’homme, ce qui devrait doubler la surface octroyée à la mode masculine. « On passera alors d’une douzaine de marques à une quarantaine », ajoute Tania Ezzedine.
Verra-t-on pour autant l’homme libanais se passionner pour la mode, voire développer une fureur addictive pour les Fashions Weeks de New York ou de Paris ? Peu de chance. « Incontestablement, l’homme de plus de 30 ans manque encore d’originalité dans son rapport à la mode au Liban. Il a tendance à vouloir se conformer à un modèle passe-partout », explique Janis Sarraf-Tabet, acheteuse mode chez Malia. « Si une frange de la population masculine se montre toujours sensible à l’ostentation, en recherchant des marques à logo visibles, une partie recherche cependant aussi des vêtements intemporels, de qualité, qui lui tiennent plusieurs saisons », explique Nadim Chammas. « Ce qui explique une attention aux finitions, aux matières employées… Finalement, le style lui importe plus que la marque elle-même. Ce qui n’est pas toujours le cas pour la femme », ajoute-t-il.
Nouvelle génération
La véritable nouveauté du secteur réside dans l’émergence d’une nouvelle génération de clients comme de créateurs. Les plus jeunes (et accessoirement les plus gays) sont en train de changer le mode de consommation. « L’intérêt des plus jeunes pour les marques constitue une mutation qui modifie la structure même du marché », explique Grace Sehnaoui, de Kamishibaï. Faute d’études, aucun chiffre ne permet d’étayer au Liban cette intuition. En France cependant, les hommes de moins de 30 ans ont dépensé 5 milliards d'euros en 2012 pour leurs vêtements, selon une étude de l’Institut français de la mode (IFM), soit 25 % du chiffre d’affaires global du secteur, alors qu’il ne représente que 15 % de la population. Selon la même étude, un jeune homme (de moins de 24 ans) dépense en moyenne 630 euros pour ses tenues vestimentaires quand son aîné s’en tient à un budget de 420 euros annuel.
Pour cette frange de la population “adulescente”, Beyrouth manque encore d’originalité. Bien sûr, les géants du “fast fashion” sont présents à l’image de Zara (Azadea qui n’a pas souhaité répondre aux questions du Commerce du Levant) ou H&M, arrivé il y a deux ans à Beyrouth grâce au groupe émiratien Alshaya. Il peut aussi puiser dans un vivier de marques de sports assez bien représentées, à l’image d’Adidas ou de Nike. Avec l’ouverture de Mister M, le choix pour les trentenaires branchés s’est même étoffé de marques plus pointues comme Acné, Opening Ceremony, Haartford, ou encore Pierre Hardy. « Ces nouveaux labels rencontrent un public qui leur ressemble, jeune, décontracté ou sportif, qui s'intéresse à leur style, recherchant des modèles qui les distinguent de leurs aînés et les rassemblent », explique Mira Kassar. Mais certains créateurs parmi les plus prometteurs sur le marché mondial manquent encore au Liban : Alexandre Matiussi qui développe une gamme classique mais colorée ; Melinda Gloss, qui revendique une forme “d’élégance nonchalante” dans ses créations ou le Coréen Junn.J. (de son vrai nom Jung Wook-jun), dont les lignes allient une belle modernité à l’héritage des costumes traditionnels coréens…
Si la mode homme a un joli avenir devant elle à Beyrouth, « l’homme n'est pas près de devenir une femme comme les autres. Au contraire ! » s’amuse Nadim Chammas. Ce serait même plutôt les femmes qui empruntent certains comportements aux hommes. Elles tendent à acheter davantage de pièces pérennes, des basiques durables, et moins de stilettos sur micro-jupette… Presque une forme d'égalité des sexes !