On a l’habitude de dire que l’économie libanaise est ouverte. Il est peut-être temps de se rendre compte qu’elle n’est pas seulement libre-échangiste – que ce soit pour la circulation des biens, des services, des capitaux ou des personnes –, mais que son ouverture est telle qu’on pourrait presque se demander s’il est tout simplement faisable d’en définir les contours suivant les normes communément admises par les économistes.
En théorie économique, il est normalement possible de classifier tous les flux entre l’espace domestique et l’extérieur. Or, à défaut d’outils, au Liban cette frontière n’existe pas. Par exemple, comment classifier les revenus du travail d’un Libanais établi au Nigeria dont la famille réside à Beyrouth, sachant que très probablement l’argent encaissé est déclaré comme résident dans sa banque libanaise ? Comment classifier a contrario les revenus d’un homme d’affaires vivant au Liban dont l’essentiel de l’activité se situe en Irak ? Les exemples de ce type sont monnaie courante.
Dans un cas comme dans l’autre, la création de valeur ajoutée ne se fait pas au Liban, en revanche la contrepartie financière y est située. Si on ajoute à ces particularités libanaises les remises des travailleurs migrants africains ou asiatiques qui sortent du pays ; celles des Libanais établis dans le Golfe, en Australie, ou en Europe vers leurs parents restés au pays ; les financements politiques qui y entrent, et toute une série de flux intraçables… Cela donne un modèle économique particulièrement atypique. Or les instruments de mesure statistique de ses principaux agrégats n’existent tout simplement pas (impossible par exemple de connaître la composition de la balance des paiements), ce qui complique davantage encore l’appréhension de son fonctionnement.
Cette opacité n’est probablement pas le fruit du hasard. Car la mise en lumière des mécanismes reviendrait à en identifier les gagnants et les perdants, ce qui serait forcément le prélude à des revendications sociales au sens le plus large de cette acception. Une option dont personne ne veut de toute évidence aujourd’hui, dans une unanimité qui frapperait tout observateur externe fasciné par les “différences” entre le 8 et le 14 Mars ou les autres nuances de l’échiquier politique libanais.