Un article du Dossier
Dalieh : le front de mer de Beyrouth sera-t-il entièrement privatisé ?
Depuis plusieurs mois, une lutte oppose les héritiers de la famille Hariri aux activistes de la société civile. L’enjeu : l’exploitation de la zone de Dalieh, sur la corniche, l’un des derniers espaces à usage public du front de mer beyrouthin. La polémique pourrait repartir de plus belle, avec l’annonce d’un nouveau projet de construction de la famille Hariri. Le Commerce du Levant a mené l’enquête.
En l’espace de 60 ans, les espaces publics du front de mer de Beyrouth se sont volatilisés les uns après les autres, transformés en projets privés empêchant le libre accès du public à la mer (Mövenpick, Bain militaire, Sporting…). Un phénomène qui a commencé avant la guerre civile, puis s’est accéléré à la fin des années 1990, grâce à des lois et des décrets favorables aux promoteurs immobiliers et dérogeant aux principes du Plan directeur de Beyrouth de 1954, qui interdisait toute construction sur la corniche. Dalieh, lieu emblématique de rencontre des familles de tous horizons et petit port de pêche situé entre le Mövenpick et la Grotte aux Pigeons, est l’un des derniers espaces vierges de ce front de mer, encore préservé du béton. En mai 2014, les Beyrouthins découvrent toutefois que ce lieu public n’en est pas un. Les héritiers de l’ancien Premier ministre Rafic Hariri, qui détiennent la majorité des parcelles de Dalieh, font installer des grillages au bord de leurs terrains, afin d’empêcher l’accès à leurs propriétés privées, ce qui déclenche une vaste campagne populaire pour la préservation du site. Toute l’ambiguïté est bien là : si l’usage de ces espaces – comme Dalieh ou Ramlet el-Baïda – est public depuis des décennies, ils sont en fait juridiquement situés sur des propriétés privées.
La “privatisation” des terres a débuté il y a un siècle et demi sous l’Empire ottoman, avec l’établissement pendant la période des Tanzimat d’un embryon de cadastre (le tapo) et l’attribution de terres miri (appartenant au sultan) à des propriétaires privés en échange du paiement de taxes. Parfois, ces terres étaient concédées à des notables locaux ou à des personnages influents, comme à Dalieh. « Les archives cadastrales montrent que la plus grande parcelle de Dalieh, la 1113, a été donnée à la famille Eslan, en vertu d’un “tapo” datant de 1876 », explique Abir Saksouk-Sasso, architecte et urbaniste. Les autorités mandataires françaises, attachées au concept de propriété privée, ont procédé à des réformes plus radicales, en mettant en place un registre cadastral dans les années 1920. Ce dernier précise les limites du domaine public et privé de l’État, faisant par exemple de la mer un domaine public, en définissant sa limite comme « l’endroit le plus haut qui peut être atteint par les vagues en hiver » (loi 144S/ du 10 juin 1925). Les terrains adjacents au bord de mer sont en revanche enregistrés au cadastre au nom de propriétaires individuels. La parcelle 1113 de Dalieh, vendue en 1916 par la famille Eslan à la famille Chatila, se retrouve ainsi officiellement légitimée. « Au fil des années, d’autres familles ont acheté des parts de terrain, notamment les Itani, les Arab, Haddad, Matar, Afif et les Mouawad », note Abir Saksouk-Sasso.
Quand les exceptions deviennent la règle
Les réglementations d’urbanisme évoluent à la toute fin du mandat. En 1943, le plan d’aménagement urbain conçu par Ecochard propose un découpage de Beyrouth et sa banlieue en douze secteurs avec des zoning différents. C’est sur cette base que le gouvernement libanais élabore un Plan directeur (1951-1954) en dix secteurs qui place le front de mer de Beyrouth dans les zones 9 et 10 : toute construction y est prohibée, bien que les propriétés soient privées, notamment à Dalieh. Cependant, la législation va rapidement évoluer, à coups d’amendements et de nouveaux décrets. Une décennie plus tard, le décret 4711 de 1966 modifie le zoning pour le secteur 10, qui est subdivisé en six parties (voir carte). Les 110 000 m² de Dalieh se retrouvent scindés en deux zones : la parcelle 1113 face à la Grotte aux Pigeons (25 000 m²) se retrouve en zone III, déclarée inconstructible, mais en revanche toutes les autres parcelles sont classées en zone IV, où est autorisée la construction d’infrastructures sportives ou de loisirs, mais avec de faibles coefficients d’exploitation (20 % d’exploitation totale), laissant peu de chance au développement de mégaprojets. C’est en 1995 que de nouvelles modifications interviennent, changeant cette fois l’esprit initial de la législation, destinée à préserver un espace public. La loi 402 spécifique au secteur hôtelier en bord de mer octroie aux propriétaires de terrains de 20 000 mètres carrés le droit de doubler le pourcentage d’exploitation de leurs parcelles via un décret exceptionnel en Conseil des ministres et une approbation de la Délégation générale de l’urbanisme (DGU). L’année 1995 est justement celle où trois compagnies immobilières appartenant à Rafic Hariri (el-Bahr, Sakhret el-Bahr et Sakhret el-Yamama) rachètent la majorité des parcelles de Dalieh, même si certaines parts seront négociées jusqu’au début des années 2000. Aujourd’hui, la BankMed, qui appartient au Group Med dirigé par Nazek, Saad et Ayman Hariri, détient 30 % des terrains, tandis que Fahed et Hind Hariri possèdent 45 % des parcelles. Les 25 % restants sont dispersés entre plusieurs familles beyrouthines, mais qui, même unies, ne disposent pas d’assez de parts pour pouvoir jouir d’une réelle influence.
Procès avec les pêcheurs
En 2005, peu avant son assassinat, Rafic Hariri avait déjà eu l’intention d’exploiter les parcelles de Dalieh et entamé des négociations pour en faire partir les occupants. Il s’agit essentiellement de pêcheurs, qui se concentrent surtout autour d’un petit port, près du Mövenpick. Ils tirent la majorité de leurs ressources des activités de pêche, et ont installé à Dalieh depuis des décennies des constructions informelles (maisons, cabanes, cafés), mais sans détenir de titres de propriété. Les pourparlers ne sont pas repris par ses héritiers, jusqu’à ce qu’en 2012, la donne change. À cette date, toutes les propriétés immobilières de l’ancien Premier ministre sont tardivement partagées entre ses héritiers, dans tout le Liban, notamment sur le front de mer de Beyrouth. Les nouveaux propriétaires, en particulier Fahed Hariri, expriment alors le désir d’exploiter ces parcelles et de déloger les familles de pêcheurs. « Les propriétaires n’ont aucune obligation légale de laisser un passage sur leurs propriétés privées », affirme ainsi le représentant des propriétaires majoritaires de Dalieh, interviewé par Le Commerce du Levant. Fin 2013, les héritiers de Hariri décident d’intenter un procès auprès du juge des référés pour évacuer les pêcheurs. Excepté certaines familles de pêcheurs comme les Itani, qui refusent toujours de céder, la plupart sont parties, en percevant des indemnisations de 80 000 à 500 000 dollars. Soit au total cinq millions de dollars de compensations. Le port, qui subsiste toujours, avec ses dizaines de barques amarrées, pourrait quant à lui être transféré dans une zone située entre Manara et l’hôtel Riviera.
S’ils souhaitent libérer l’espace de Dalieh, c’est que les Hariri ont déjà commencé à concevoir un avant-projet, présenté à la municipalité de Beyrouth il y a un peu moins d’un an. Le projet – dont les détails ne nous ont pas été révélés – prévoyait d’interdire l’accès au public de toute la zone, redoublant les craintes des activistes de voir surgir un resort et une marina en lieu et place de l’ancien port de pêche. Car depuis une loi votée en 1989, l’exploitation du domaine maritime public est permise à tout propriétaire de terrains adjacents à la mer de plus de 20 000 mètres carrés, y compris dans la zone 10 de Beyrouth, celle de Dalieh. Le projet présenté à la municipalité, officiellement abandonné, car « non viable économiquement », a été indirectement combattu par des activistes de la société civile refusant que l’accès de Dalieh soit interdit au public. La loi environnementale 444 de 2002, sur laquelle ils s’appuient, garantit en effet le libre accès de tout citoyen libanais à la côte.
Bras de fer entre la société civile et les Hariri
Les héritiers de Rafic Hariri envisagent pourtant un nouveau projet, révélé au Commerce du Levant lors d’un entretien exclusif. Dans cette nouvelle mouture, ils prévoient de garantir un accès à la mer sur 25 000 m2 (sur la zone III, des parcelles sur lesquelles il est en réalité déjà interdit de construire), mais de lancer sur les 86 000 m2 restants un nouveau projet immobilier à usage mixte, commercial et résidentiel (voir interview). En l’état des lieux, avec un faible coefficient d’exploitation au sol de 15 % et un coefficient d’exploitation totale de 20 %, la surface constructible serait limitée, et le projet ne serait pas rentable, c’est pourquoi les héritiers de la famille Hariri souhaitent “au maximum” quadrupler le coefficient d’exploitation au sol. Il leur faudrait pour cela obtenir une approbation de la municipalité, de la DGU et un décret exceptionnel pris en Conseil des ministres. « Les décrets ministériels sont devenus un procédé coutumier pour contourner la loi légalement, et cela n’est pas acceptable », estime Abir Saksouk-Sasso, qui est également membre de la campagne pour la préservation de Dalieh.
« L’une des solutions pour préserver le site serait de faire de Dalieh une zone préservée en vertu d’un décret du gouvernement. On pourrait ensuite imaginer d’y construire un parc archéologique, vu les vestiges uniques qui s’y trouvent », soutient Mohammad Ayoub, directeur de Nahnoo, une autre ONG qui a participé à la campagne populaire pour la préservation de Dalieh. L’État devrait toutefois indemniser les propriétaires des terrains, comme dans le cas d’une expropriation par la municipalité, qui serait théoriquement possible, mais peu probable, étant donné la valeur des terrains, estimés à plus d’un demi-million de dollars. « Il n’est pas envisageable de racheter ces terrains, car le prix du mètre carré est beaucoup trop élevé », confirme d’ailleurs au Commerce du Levant Bilal Hamad, le président de la municipalité de Beyrouth.
Les activistes concentrent à court terme leurs efforts pour empêcher l’adoption d’un décret exceptionnel en Conseil des ministres, et contrer les pressions politiques qui seront nécessairement exercées par la famille Hariri, étant donné l’importance de l’enjeu financier. En parallèle, ils ont aussi mis en place une nouvelle stratégie pour apporter des modifications de fond aux législations sur le domaine maritime public. La campagne populaire pour la préservation de Ramlet el-Baïda et Raouché, représentée par les associations Nahnoo et Green Line, vient en effet de lancer il y a quelques jours une action en justice auprès du Haut Conseil consultatif pour réclamer l’annulation du décret 169, pris en 1989, qui autorise l’exploitation du domaine maritime public à tout propriétaire de terrains de plus de 20 000 m², y compris dans la zone 10 de Beyrouth. Affaire à suivre.
La “privatisation” des terres a débuté il y a un siècle et demi sous l’Empire ottoman, avec l’établissement pendant la période des Tanzimat d’un embryon de cadastre (le tapo) et l’attribution de terres miri (appartenant au sultan) à des propriétaires privés en échange du paiement de taxes. Parfois, ces terres étaient concédées à des notables locaux ou à des personnages influents, comme à Dalieh. « Les archives cadastrales montrent que la plus grande parcelle de Dalieh, la 1113, a été donnée à la famille Eslan, en vertu d’un “tapo” datant de 1876 », explique Abir Saksouk-Sasso, architecte et urbaniste. Les autorités mandataires françaises, attachées au concept de propriété privée, ont procédé à des réformes plus radicales, en mettant en place un registre cadastral dans les années 1920. Ce dernier précise les limites du domaine public et privé de l’État, faisant par exemple de la mer un domaine public, en définissant sa limite comme « l’endroit le plus haut qui peut être atteint par les vagues en hiver » (loi 144S/ du 10 juin 1925). Les terrains adjacents au bord de mer sont en revanche enregistrés au cadastre au nom de propriétaires individuels. La parcelle 1113 de Dalieh, vendue en 1916 par la famille Eslan à la famille Chatila, se retrouve ainsi officiellement légitimée. « Au fil des années, d’autres familles ont acheté des parts de terrain, notamment les Itani, les Arab, Haddad, Matar, Afif et les Mouawad », note Abir Saksouk-Sasso.
Quand les exceptions deviennent la règle
Les réglementations d’urbanisme évoluent à la toute fin du mandat. En 1943, le plan d’aménagement urbain conçu par Ecochard propose un découpage de Beyrouth et sa banlieue en douze secteurs avec des zoning différents. C’est sur cette base que le gouvernement libanais élabore un Plan directeur (1951-1954) en dix secteurs qui place le front de mer de Beyrouth dans les zones 9 et 10 : toute construction y est prohibée, bien que les propriétés soient privées, notamment à Dalieh. Cependant, la législation va rapidement évoluer, à coups d’amendements et de nouveaux décrets. Une décennie plus tard, le décret 4711 de 1966 modifie le zoning pour le secteur 10, qui est subdivisé en six parties (voir carte). Les 110 000 m² de Dalieh se retrouvent scindés en deux zones : la parcelle 1113 face à la Grotte aux Pigeons (25 000 m²) se retrouve en zone III, déclarée inconstructible, mais en revanche toutes les autres parcelles sont classées en zone IV, où est autorisée la construction d’infrastructures sportives ou de loisirs, mais avec de faibles coefficients d’exploitation (20 % d’exploitation totale), laissant peu de chance au développement de mégaprojets. C’est en 1995 que de nouvelles modifications interviennent, changeant cette fois l’esprit initial de la législation, destinée à préserver un espace public. La loi 402 spécifique au secteur hôtelier en bord de mer octroie aux propriétaires de terrains de 20 000 mètres carrés le droit de doubler le pourcentage d’exploitation de leurs parcelles via un décret exceptionnel en Conseil des ministres et une approbation de la Délégation générale de l’urbanisme (DGU). L’année 1995 est justement celle où trois compagnies immobilières appartenant à Rafic Hariri (el-Bahr, Sakhret el-Bahr et Sakhret el-Yamama) rachètent la majorité des parcelles de Dalieh, même si certaines parts seront négociées jusqu’au début des années 2000. Aujourd’hui, la BankMed, qui appartient au Group Med dirigé par Nazek, Saad et Ayman Hariri, détient 30 % des terrains, tandis que Fahed et Hind Hariri possèdent 45 % des parcelles. Les 25 % restants sont dispersés entre plusieurs familles beyrouthines, mais qui, même unies, ne disposent pas d’assez de parts pour pouvoir jouir d’une réelle influence.
Procès avec les pêcheurs
En 2005, peu avant son assassinat, Rafic Hariri avait déjà eu l’intention d’exploiter les parcelles de Dalieh et entamé des négociations pour en faire partir les occupants. Il s’agit essentiellement de pêcheurs, qui se concentrent surtout autour d’un petit port, près du Mövenpick. Ils tirent la majorité de leurs ressources des activités de pêche, et ont installé à Dalieh depuis des décennies des constructions informelles (maisons, cabanes, cafés), mais sans détenir de titres de propriété. Les pourparlers ne sont pas repris par ses héritiers, jusqu’à ce qu’en 2012, la donne change. À cette date, toutes les propriétés immobilières de l’ancien Premier ministre sont tardivement partagées entre ses héritiers, dans tout le Liban, notamment sur le front de mer de Beyrouth. Les nouveaux propriétaires, en particulier Fahed Hariri, expriment alors le désir d’exploiter ces parcelles et de déloger les familles de pêcheurs. « Les propriétaires n’ont aucune obligation légale de laisser un passage sur leurs propriétés privées », affirme ainsi le représentant des propriétaires majoritaires de Dalieh, interviewé par Le Commerce du Levant. Fin 2013, les héritiers de Hariri décident d’intenter un procès auprès du juge des référés pour évacuer les pêcheurs. Excepté certaines familles de pêcheurs comme les Itani, qui refusent toujours de céder, la plupart sont parties, en percevant des indemnisations de 80 000 à 500 000 dollars. Soit au total cinq millions de dollars de compensations. Le port, qui subsiste toujours, avec ses dizaines de barques amarrées, pourrait quant à lui être transféré dans une zone située entre Manara et l’hôtel Riviera.
S’ils souhaitent libérer l’espace de Dalieh, c’est que les Hariri ont déjà commencé à concevoir un avant-projet, présenté à la municipalité de Beyrouth il y a un peu moins d’un an. Le projet – dont les détails ne nous ont pas été révélés – prévoyait d’interdire l’accès au public de toute la zone, redoublant les craintes des activistes de voir surgir un resort et une marina en lieu et place de l’ancien port de pêche. Car depuis une loi votée en 1989, l’exploitation du domaine maritime public est permise à tout propriétaire de terrains adjacents à la mer de plus de 20 000 mètres carrés, y compris dans la zone 10 de Beyrouth, celle de Dalieh. Le projet présenté à la municipalité, officiellement abandonné, car « non viable économiquement », a été indirectement combattu par des activistes de la société civile refusant que l’accès de Dalieh soit interdit au public. La loi environnementale 444 de 2002, sur laquelle ils s’appuient, garantit en effet le libre accès de tout citoyen libanais à la côte.
Bras de fer entre la société civile et les Hariri
Les héritiers de Rafic Hariri envisagent pourtant un nouveau projet, révélé au Commerce du Levant lors d’un entretien exclusif. Dans cette nouvelle mouture, ils prévoient de garantir un accès à la mer sur 25 000 m2 (sur la zone III, des parcelles sur lesquelles il est en réalité déjà interdit de construire), mais de lancer sur les 86 000 m2 restants un nouveau projet immobilier à usage mixte, commercial et résidentiel (voir interview). En l’état des lieux, avec un faible coefficient d’exploitation au sol de 15 % et un coefficient d’exploitation totale de 20 %, la surface constructible serait limitée, et le projet ne serait pas rentable, c’est pourquoi les héritiers de la famille Hariri souhaitent “au maximum” quadrupler le coefficient d’exploitation au sol. Il leur faudrait pour cela obtenir une approbation de la municipalité, de la DGU et un décret exceptionnel pris en Conseil des ministres. « Les décrets ministériels sont devenus un procédé coutumier pour contourner la loi légalement, et cela n’est pas acceptable », estime Abir Saksouk-Sasso, qui est également membre de la campagne pour la préservation de Dalieh.
« L’une des solutions pour préserver le site serait de faire de Dalieh une zone préservée en vertu d’un décret du gouvernement. On pourrait ensuite imaginer d’y construire un parc archéologique, vu les vestiges uniques qui s’y trouvent », soutient Mohammad Ayoub, directeur de Nahnoo, une autre ONG qui a participé à la campagne populaire pour la préservation de Dalieh. L’État devrait toutefois indemniser les propriétaires des terrains, comme dans le cas d’une expropriation par la municipalité, qui serait théoriquement possible, mais peu probable, étant donné la valeur des terrains, estimés à plus d’un demi-million de dollars. « Il n’est pas envisageable de racheter ces terrains, car le prix du mètre carré est beaucoup trop élevé », confirme d’ailleurs au Commerce du Levant Bilal Hamad, le président de la municipalité de Beyrouth.
Les activistes concentrent à court terme leurs efforts pour empêcher l’adoption d’un décret exceptionnel en Conseil des ministres, et contrer les pressions politiques qui seront nécessairement exercées par la famille Hariri, étant donné l’importance de l’enjeu financier. En parallèle, ils ont aussi mis en place une nouvelle stratégie pour apporter des modifications de fond aux législations sur le domaine maritime public. La campagne populaire pour la préservation de Ramlet el-Baïda et Raouché, représentée par les associations Nahnoo et Green Line, vient en effet de lancer il y a quelques jours une action en justice auprès du Haut Conseil consultatif pour réclamer l’annulation du décret 169, pris en 1989, qui autorise l’exploitation du domaine maritime public à tout propriétaire de terrains de plus de 20 000 m², y compris dans la zone 10 de Beyrouth. Affaire à suivre.
Principaux textes qui régissent l’exploitation du littoral Les réglementations régissant le front de mer ont connu des évolutions – souvent contradictoires – depuis le début des années 1920. Petit état des lieux. La loi 144/S du 10 juin 1925, adoptée sous le mandat français garantit le droit à tous les citoyens d’accéder à des espaces naturels. Le domaine public côtier correspond à tout l’espace bordant la mer, y compris la plage de sable et de galets, et ce jusqu’à la distance et la profondeur atteintes par la plus haute vague en hiver. Le plan directeur de 1954, inspiré du plan Écochard, divise Beyrouth en dix secteurs et prévoit différents zonings pour chacun d’entre eux. Les constructions sont interdites dans les secteurs 9 et 10, qui couvrent l’ensemble de la côte beyrouthine, et notamment Dalieh et Ramlet el-Baïda. Le décret 4810 de 1966 dispose que la jouissance du domaine maritime revient au public, mais prévoit aussi une exception de taille, qui va de facto devenir la règle. Le décret octroie en effet la possibilité d’exploiter à titre privé le domaine public maritime pour les propriétaires de terrains en bordure de mer, à condition d’exploiter les terrains à des fins touristiques et industrielles, et dès lors qu’une utilité publique est reconnue. Tout projet doit être préalablement validé par un décret ministériel. La zone 10, de Raouché à Ramlet el-Baïda, est cependant exclue de ce décret, un texte lui étant spécifiquement consacré. Le décret 4711 de 1966 prévoit en parallèle un zoning particulier pour le secteur 10, qui est subdivisé en six parties. Sur certaines d’entre elles, il est possible de construire des infrastructures sportives ou de loisirs, mais avec de faibles coefficients d’exploitation. Sur d’autres, comme les zones 3 et 5, toute construction est rigoureusement interdite, Ramlet el-Baïda se situe dans la zone 5 et Dalieh partiellement dans la zone 3. Le décret 169 de 1989 vient bouleverser la donne, en autorisant l’exploitation du domaine maritime public à tout propriétaire de terrains de plus de 20 000 m², y compris dans la zone 10 de Beyrouth, à condition que le projet soit validé par décret ministériel. La loi 402 de 1995, spécifique au secteur hôtelier en bord de mer, octroie aux propriétaires de terrains de 20 000 m² le droit de doubler leur coefficient d’exploitation via un décret exceptionnel du Conseil des ministres et un accord de la Délégation générale de l’urbanisme (DGU). Cette loi, qui était valable pour une durée de cinq ans, a été renouvelée en 2001. Le 2 avril 2014, elle a encore été prolongée à l’unanimité pour une durée de dix-neuf ans (loi 264). La loi environnementale 444 de 2002 garantit un libre accès de tout citoyen libanais à la côte. |