Un article du Dossier
Éducation professionnelle : une formation à repenser
La qualité de l’enseignement technique et professionnel n’est pas qu’affaire de programmes ou de moyens financiers, mais aussi de la pugnacité du personnel pédagogique. Exemple avec l’École des arts et métiers de Dekwané dont la directrice nous a ouvert les portes pour tenter d’apporter son éclairage sur les difficultés qui frappent le secteur et glisser quelques messages sur les réponses à y apporter.
Située au cœur de l’imposant campus de la Cité technique de Dekwané qui regroupe huit établissements et 8 000 élèves, l’École des arts et métiers en impose d’emblée au visiteur. Par son étendue d’abord : à la quarantaine de salles de classes et de bureaux administratifs qui occupent la moitié du bâtiment principal s’ajoute une immense annexe composée de six laboratoires techniques et une douzaine d’ateliers destinés aux travaux pratiques des différentes filières enseignées. Mais aussi par les quelques traces d’un passé glorieux : avant d’être transféré dans cette banlieue du nord de Beyrouth, l’établissement avait été fondé en 1905 à Sanayeh par un wali philanthrope qui souhaitait ainsi permettre aux enfants démunis d’apprendre des métiers comme la cordonnerie ou le tissage.
Explosion du nombre d’élèves en trois ans
Leurs héritiers peuvent désormais y suivre les trois années d’enseignement dispensées dans la quinzaine de filières qui structurent les deux cursus du secondaire – le baccalauréat technique (BT) et le baccalauréat professionnel (DS) fondé sur le système dual d’inspiration germanique – et celui de technicien supérieur. « En 2013, 713 élèves suivaient ces formations, ils étaient 320 lorsque j’ai pris mes fonctions il y a trois ans », clame la directrice Antoinette Khanfour. Et cette année ? « Un peu moins : les attestations de réussite fournies à cause de la grève des enseignants ont poussé de nombreux élèves à poursuivre dans la filière générale », soupire-t-elle. Car ici, comme presque partout ailleurs, le vivier principal demeure celui des écartés de l’enseignement général. C’est le cas de Mike, élève en deuxième année de BT en mécanique industrielle, qu’il a intégré sur les conseils de son entourage suite à un échec au brevet général. « J’étais très faible en maths et lors de la réunion d’orientation préalable, on m’a indiqué que cette filière offrait de nombreux débouchés », raconte-t-il. « Avec l’électrotechnique, qui bénéficie du partenariat avec le projet Graines d’espérance (voir p. 90), c’est l’une de nos filières les plus prisées, alors que d’autres, comme la menuiserie, pourtant également en situation de pénurie, souffrent encore d’une mauvaise image sociale auprès des familles », dit Antoinette Khanfour.
Paradoxalement, une fois leur BT en poche, nombre de ses élèves décident, comme Mike, de poursuivre des études supérieures, techniques ou généralistes, plutôt que de tenter directement leur chance sur le marché de l’emploi. Certains profiteraient ainsi de l’effet d’aubaine créé par des universités privées qui n’hésitent plus à concéder aux élèves issus de l’enseignement technique de sérieux rabais sur leurs frais d’inscription et des dispenses d’examens officiels, pour garnir leurs amphis. La plupart retrouvent, eux, un certain goût pour des études entrevues sous un jour différend. « Ici tout est beaucoup plus concret et en lien direct avec ce que l’on aura à faire dans notre futur métier. À part quelques heures de cours généraux en mathématiques, français et sciences sociales (NDLR : facultatives en DS), tout ce qu’on étudie en classe est appliqué en atelier et on peut visualiser tout de suite les résultats de ce que l’on apprend », s’enthousiasme Mike.
Entregent et détermination
Reste à lui fournir, comme à ses camarades, les moyens d’épancher cette soif nouvelle d’apprentissage. Et la tâche n’est pas aisée, loin s’en faut, tant les contraintes s’accumulent. Pour la directrice, il faut d’abord jongler avec un budget relativement modeste et presque exclusivement financé par les frais d’inscriptions : celui de cette année est d’environ 135 000 dollars. Si les locaux sont occupés gracieusement et le personnel enseignant est directement rémunéré par le ministère, « je dois assumer la totalité de l’entretien des locaux, personnel dédié compris, et reverser près du tiers de mon budget à la caisse gérée par la Direction de l’enseignement technique et professionnel (DGETP) qui se charge de redistribuer les fonds aux établissements ayant peu d’élèves et de financer l’entretien du matériel », regrette le chef d’établissement. Les allocations ministérielles suffisant à peine à couvrir les frais d’un matériel souvent très coûteux et devant être régulièrement renouvelé pour coller aux évolutions technologiques, les chefs d’établissement doivent miser sur leur motivation et leur entregent pour convaincre les entreprises de contribuer à cette charge. « J’ai pu obtenir des dons de certaines en échange de l’envoi de stagiaires, mais il faudrait que le législateur ou la Chambre de commerce poussent les entreprises à généraliser ces initiatives », suggère Antoinette Khanfour.
Le matériel n’est pas le seul à devoir être rénové. Les enseignements aussi. Si elle n’a pas latitude pour changer les programmes, et dépend d’initiatives externes comme la nouvelle filière électrotechnique ouverte dans le cadre du projet Graines d’espérance, elle tente de systématiser la formation continue des enseignants en interne. « Par exemple, l’un de mes professeurs est également garagiste et peut donc apprendre à ses collègues les dernières techniques utilisées dans la profession. »
Elle demeure néanmoins consciente que ces innovations palliatives doivent aussi beaucoup à la position privilégiée de son établissement. « Les pouvoirs publics ne cessent de construire de nouvelles écoles qui proposent une offre très variée d’enseignements. Ne serait-il pas préférable de les regrouper au niveau régional et de les pousser à se spécialiser davantage autour de quelques filières afin de mieux concentrer les fonds disponibles ? »
Explosion du nombre d’élèves en trois ans
Leurs héritiers peuvent désormais y suivre les trois années d’enseignement dispensées dans la quinzaine de filières qui structurent les deux cursus du secondaire – le baccalauréat technique (BT) et le baccalauréat professionnel (DS) fondé sur le système dual d’inspiration germanique – et celui de technicien supérieur. « En 2013, 713 élèves suivaient ces formations, ils étaient 320 lorsque j’ai pris mes fonctions il y a trois ans », clame la directrice Antoinette Khanfour. Et cette année ? « Un peu moins : les attestations de réussite fournies à cause de la grève des enseignants ont poussé de nombreux élèves à poursuivre dans la filière générale », soupire-t-elle. Car ici, comme presque partout ailleurs, le vivier principal demeure celui des écartés de l’enseignement général. C’est le cas de Mike, élève en deuxième année de BT en mécanique industrielle, qu’il a intégré sur les conseils de son entourage suite à un échec au brevet général. « J’étais très faible en maths et lors de la réunion d’orientation préalable, on m’a indiqué que cette filière offrait de nombreux débouchés », raconte-t-il. « Avec l’électrotechnique, qui bénéficie du partenariat avec le projet Graines d’espérance (voir p. 90), c’est l’une de nos filières les plus prisées, alors que d’autres, comme la menuiserie, pourtant également en situation de pénurie, souffrent encore d’une mauvaise image sociale auprès des familles », dit Antoinette Khanfour.
Paradoxalement, une fois leur BT en poche, nombre de ses élèves décident, comme Mike, de poursuivre des études supérieures, techniques ou généralistes, plutôt que de tenter directement leur chance sur le marché de l’emploi. Certains profiteraient ainsi de l’effet d’aubaine créé par des universités privées qui n’hésitent plus à concéder aux élèves issus de l’enseignement technique de sérieux rabais sur leurs frais d’inscription et des dispenses d’examens officiels, pour garnir leurs amphis. La plupart retrouvent, eux, un certain goût pour des études entrevues sous un jour différend. « Ici tout est beaucoup plus concret et en lien direct avec ce que l’on aura à faire dans notre futur métier. À part quelques heures de cours généraux en mathématiques, français et sciences sociales (NDLR : facultatives en DS), tout ce qu’on étudie en classe est appliqué en atelier et on peut visualiser tout de suite les résultats de ce que l’on apprend », s’enthousiasme Mike.
Entregent et détermination
Reste à lui fournir, comme à ses camarades, les moyens d’épancher cette soif nouvelle d’apprentissage. Et la tâche n’est pas aisée, loin s’en faut, tant les contraintes s’accumulent. Pour la directrice, il faut d’abord jongler avec un budget relativement modeste et presque exclusivement financé par les frais d’inscriptions : celui de cette année est d’environ 135 000 dollars. Si les locaux sont occupés gracieusement et le personnel enseignant est directement rémunéré par le ministère, « je dois assumer la totalité de l’entretien des locaux, personnel dédié compris, et reverser près du tiers de mon budget à la caisse gérée par la Direction de l’enseignement technique et professionnel (DGETP) qui se charge de redistribuer les fonds aux établissements ayant peu d’élèves et de financer l’entretien du matériel », regrette le chef d’établissement. Les allocations ministérielles suffisant à peine à couvrir les frais d’un matériel souvent très coûteux et devant être régulièrement renouvelé pour coller aux évolutions technologiques, les chefs d’établissement doivent miser sur leur motivation et leur entregent pour convaincre les entreprises de contribuer à cette charge. « J’ai pu obtenir des dons de certaines en échange de l’envoi de stagiaires, mais il faudrait que le législateur ou la Chambre de commerce poussent les entreprises à généraliser ces initiatives », suggère Antoinette Khanfour.
Le matériel n’est pas le seul à devoir être rénové. Les enseignements aussi. Si elle n’a pas latitude pour changer les programmes, et dépend d’initiatives externes comme la nouvelle filière électrotechnique ouverte dans le cadre du projet Graines d’espérance, elle tente de systématiser la formation continue des enseignants en interne. « Par exemple, l’un de mes professeurs est également garagiste et peut donc apprendre à ses collègues les dernières techniques utilisées dans la profession. »
Elle demeure néanmoins consciente que ces innovations palliatives doivent aussi beaucoup à la position privilégiée de son établissement. « Les pouvoirs publics ne cessent de construire de nouvelles écoles qui proposent une offre très variée d’enseignements. Ne serait-il pas préférable de les regrouper au niveau régional et de les pousser à se spécialiser davantage autour de quelques filières afin de mieux concentrer les fonds disponibles ? »
« Le stage en entreprise devrait être obligatoire pour les étudiants des filières techniques » Tony Haddad, fondateur de Technica, une société spécialisée dans la fabrication de machines-outils. Les industriels libanais se plaignent du manque de main-d’œuvre qualifiée dans ce secteur. Avez-vous le même problème ? Nous employons environ 140 personnes, dont 68 techniciens dans notre usine de Bickfaya. Mais nous ne parvenons pas à trouver les cinq à six techniciens supplémentaires nécessaires pour remplir notre objectif de doubler notre chiffre d’affaires à l’horizon 2020. Plusieurs facteurs expliquent cette rareté tels que la faible activité industrielle du pays, l’éloignement géographique de notre usine par rapport aux grandes agglomérations ou encore le niveau des rémunérations. Mais l’enjeu principal se situe sans doute en amont, au niveau de la formation : la filière attire notoirement trop peu d’étudiants, moins d’un tiers de nos techniciens ont un diplôme d’enseignement technique et ils manquent souvent d’une vue d’ensemble sur le processus de fabrication. Avez-vous tenté de collaborer avec les pouvoirs publics pour y remédier ? Nous n’avons pas de contact avec le ministère, mais collaborons directement avec certains établissements. Nous avons ainsi demandé à nos principaux fournisseurs de reverser une contribution à hauteur de 0,5 % de nos commandes au Centre national des arts et métiers (CNAM) de Bickfaya. De manière générale, au niveau de l’enseignement supérieur, nous accueillons également une vingtaine de stagiaires issus de huit universités. Ils sont rémunérés à hauteur de 200 dollars par mois et les plus méritants obtiennent une prime en fin de stage. Mais c’est beaucoup plus difficile au niveau des techniciens : alors que le stage en entreprise devrait être un pilier de la formation, il reste facultatif, hormis dans certains établissements ou filières spécifiques, et beaucoup d’étudiants préfèrent alors consacrer leur été à des petits boulots. Depuis quelques années, nous accueillons néanmoins deux à trois stagiaires par an issus des écoles techniques de Cortbawi et Dekwané. De manière plus globale, nous avons commencé à travailler avec la direction de cette dernière pour repenser leur formation en mécanique industrielle sur le modèle de ce qui a été fait pour la filière électrotechnique (voir p. 90). Enfin, nous sommes en train de monter un projet interne de formation continue : la “Technica Academy”. En quoi consiste ce projet ? L’objectif est de permettre à chacun de nos employés de partager son savoir-faire et d’évoluer au sein de la société en fonction de ses capacités. C’est aussi une manière pour Technica d’optimiser ses performances et de retenir les talents en renforçant sa culture d’entreprise. Concrètement, chaque employé est soumis à un test évaluant ses compétences selon des indicateurs-clés de performances liées à son poste ou au fonctionnement général de l’entreprise. En fonction de ses résultats, il suivra une formation spécifique et pourra à terme prétendre à un avancement. Pour l’instant, ces évaluations et formations concernent surtout les postes managériaux. |