Un article du Dossier

L’expresso : vitrine d’un marché du café en ébullition

Si le café libanais reste roi au pays du Cèdre, depuis une vingtaine d’années les acteurs du secteur ont diversifié leurs offres en se lançant notamment sur l’expresso. Un moyen d’accroître leur visibilité et d’augmenter leurs marges tout en s’adaptant à l’évolution de la société.

C’est un marché qui pèse au Liban plus de 220 millions de dollars pour les producteurs et les torréfacteurs. Une valeur sûre qui a su se rendre incontournable dans le monde – le café se place parmi les trois boissons les plus bues au monde avec l’eau et le thé – et donc aussi par extension au Liban. Avec 5,8 kg de café consommé en moyenne par habitant chaque année, le Liban figure parmi les vingt plus gros importateurs au monde, selon l’Observatoire international du café (OIC). « Plus de 70 % du café consommé est à la libanaise, expose Roy Daniel, président-directeur général de Barista, rattaché à Café Daniel. En dehors du café instantané, car il s’agit d’un produit exclusivement importé (voir encadré), la production se divise entre l’expresso (20 %) et le café filtre (10 %). » En 2015, les revenus générés pour le seul café libanais auraient ainsi atteint près de 130 millions de dollars. Une manne financière qui suscite la convoitise des acteurs engagés sur un secteur ultracompétitif. Si 80 % du marché est dominé par une poignée de torréfacteurs locaux, ils seraient en tout plus d’une centaine d’indépendants répartis sur le territoire libanais. Pour chaque producteur local, le processus de fabrication est le même : la graine de café vert arrive par le port de Beyrouth – 24 760 tonnes en 2015, principalement en provenance du Brésil, mais aussi de la Colombie, d’Éthiopie, du Vietnam, d’Indonésie… – avant d’être acheminée dans les usines pour y être torréfiée. Le tout est ensuite moulu, emballé, puis distribué (ou réexporté) prêt à la consommation. « Le marché de la vente au détail pour le café libanais représente près de 10 000 tonnes chaque année, soit 90 millions de dollars », avance Nadim Dahan, directeur général de Café Super Brasil. « Il faut aussi compter la partie immergée de l’iceberg, c’est-à-dire tout ce qui est vendu dans les petites épiceries du pays, où les données sont difficiles à récolter », ajoute-t-il.

L’expresso, un marché à dix millions de dollars

« L’essentiel du marché du café libanais cible un consommateur adulte, mais moins les jeunes actifs qui ont développé d’autres habitudes », explique Georges Najjar, président des Éts. M. Najjar SAL (Café Najjar), qui refuse pour autant de délaisser le café libanais. « Le consommateur est très attaché au café à la libanaise, mais sa préparation est contraignante, cela nécessite du temps, abonde Nadim Dahan. Or la société évolue, tout devient plus instantané, le consommateur veut quelque chose de rapide », relève-t-il. C’est ainsi que depuis la fin des années 1990 dans la lignée de la tendance mondiale, l’expresso s’est implanté au Liban, puis s’y est démocratisé. De Café Najjar à Café Daniel, en passant par Super Brasil et Abi Nasr, les torréfacteurs locaux y ont tous depuis consacré une partie de leur activité, ont créé leur propre marque labellisée “expresso”. Ces groupes se sont équipés de machines en mesure de transformer la graine de café vert sous forme de grain, de dosettes ou de capsules. Dans le même temps, les grandes firmes internationales (Nespresso, Lavazza, Illy, Kimbo…) ont, elles aussi, importé leur produit au pays du Cèdre en passant principalement par des entreprises de distribution libanaises déjà implantées dans la restauration et l’hôtellerie. De l’avis des différents acteurs interrogés, le marché de l’expresso en 2015 pèserait dix millions de dollars. « Avec un kilo autour de quarante dollars, les marges sont trois fois plus importantes que sur le café libanais », explique Nizar Labaki, ancien responsable HoReCa chez Café Najjar, décrivant « un marché très compétitif ».
Incarné par son égérie George Clooney, Nespresso s’est imposé depuis sa création en 1986 comme le poids lourd mondial de l’expresso. Au Liban, le groupe suisse, filiale de Nestlé – qui n’a pas souhaité donner suite aux demandes de rencontre du Commerce du Levant –, est distribué depuis 2000 par la société Dima. Selon nos estimations, elle aurait enregistré, en 2015, 4,2 millions de dollars de chiffre d’affaires avec la vente de six millions de capsules. « Ce n’est pas facile de lutter contre Nespresso qui est une niche et marqueté d’une façon impeccable », reconnaît Walid Hachem, distributeur au Liban de l’italien Kimbo dont le chiffre d’affaires ne dépasse pas le million de dollars. « Mais aujourd’hui le brevet de leurs machines est tombé et beaucoup d’entreprises ont lancé leurs propres capsules compatibles sur Nespresso », souligne-t-il. « Cela peut inciter le consommateur à chercher un produit moins coûteux comme le nôtre qui est 30 à 40 % moins cher », avance-t-il.

L’expresso, le café de l’extérieur

Si le café libanais reste profondément ancré dans les foyers, l’expresso s’est davantage imposé comme une boisson consommée à l’extérieur. Au Liban, les ventes de petit noir se dirigent principalement vers les hôtels et les restaurants, mais aussi vers les bureaux, les commerces, ou les banques. Un outil efficace pour toucher un large public et servir de vitrine aux marques. Ainsi, certaines l’utilisent auprès de leurs clients pour écouler toute une gamme de produits annexes (alcools, noix et cacahuètes apéritifs..). Pour conquérir le marché, producteurs locaux et importateurs se sont dotés de plates-formes de commande, et pour certains de leurs propres boutiques (comme c’est par exemple le cas avec Nespresso ou Illy). Puis elles se sont mises à inonder leurs clients de machines à expresso. « La majorité de nos ventes se font sur les machines que l’on distribue en consignation, explique Roy Daniel. Vous avez un bureau, on vous offre une machine, et vous vous engagez en échange à consommer un certain nombre de cafés par mois. Cela implique un investissement important, car il faut compter l’achat des machines, et la mise en place d’un service de maintenance et d’un service après-vente très rigoureux », indique-t-il, concédant que sa société compte aujourd’hui « plus d’employés dédiés à la maintenance que de vendeurs ».
Les acteurs ne renoncent pas pour autant à se développer chez les ménages, là où Nespresso concentre l’essentiel de son offre à travers son système de capsules. « Les capsules et les dosettes nous aident à pénétrer les maisons qui sont toujours largement dominées par le café libanais, poursuit Roy Daniel, qui dispose avec Barista de produits compatibles sur les machines Nespresso. Comme la société évolue vers une consommation toujours plus rapide, ces produits répondent aux besoins des ménages : ils sont de plus en plus disponibles en supermarché et la préparation est très simple », expose-t-il. « Pour être en mesure de faire un expresso chez soi, il vous faut une machine, donc réaliser un petit investissement, reconnaît de son côté Walid Hachem. Aujourd’hui vous pouvez acheter une machine pour une centaine de dollars, ce n’est pas à la portée de tout le monde, mais cela tend à le devenir avec des prix toujours plus compétitifs. »
Si depuis une dizaine d’années la tendance générale du marché de l’expresso est, pour les torréfacteurs locaux, à l’augmentation de sa production, et pour les distributeurs, à une hausse de son importation, tous rejettent en bloc la possibilité que celui-ci remplace un jour le café libanais. « La demande d’expresso est toujours plus importante et chaque année de nouveaux acteurs essaient d’entrer sur le marché », analyse Firas Abi Nasr, directeur général du groupe du même nom. « Nous avons réussi à créer une notoriété avec ce produit. Mais les Libanais aiment aussi la tradition incarnée par le café libanais qui a traversé tant de générations et qui est dans l’ADN de la société, estime-t-il. Essayer l’expresso ce n’est pas forcément l’adopter. »

Le café instantané : un marché à 80 millions de dollars

Au Liban, Nescafé est devenu ce que le Scotch est au ruban adhésif ou le Nutella à la pâte à tartiner : la marque est entrée dans le langage courant pour désigner le produit. Ici en l’occurrence le café instantané. « Les trois quarts du marché sont tenus par Nescafé », estime Nadim Dahan, de Café Super Brasil. « Tout est importé au Liban, car le processus de fabrication est très compliqué », ajoute-t-il. En 2015, le marché du café instantané représentait à lui seul 80 millions de dollars. Sur la période juillet 2015-août 2016, 73 % de ce produit consommé au Liban était celui de la marque du géant suisse Nestlé. Une domination qui n’empêche pas pour autant quelques torréfacteurs libanais de tenter de gagner des parts de marché. Comme Café Super Brasil qui importe son café instantané, qu’il redistribue sous sa marque Lio.


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