On n’oserait pas l’appeler démocratie ce “nouveau pouvoir du client” – ce serait trop pompeux. Mais il y a comme un vent de coup d’État populaire au Liban ces temps-ci. Pour rester dans l’économie, prenons par exemple les banques, à qui on dédie comme chaque fin d’année un dossier spécial (pp. 30-76). Eh bien, quelques banquiers retardataires découvrent, comme par enchantement, que le client – Monsieur Tout-le-monde – est là. «L’homme existe, je l’ai rencontré», pourrait se prévaloir l’un d’eux devant une humaine apparition attablée à un comptoir.
Se prenant au jeu, des gourous de management venus conseiller les anges gardiens de notre argent leur lancent à la figure une vérité crue : «Non, le client n’est pas roi ; il est le gagne-pain», ce qui est quand même plus utile que le meilleur des rois, qui collectionnent des dîmes et des droits de cuissage.
Maintenant qu’ils ont la taille, relativement conséquente, les produits, la technologie et le savoir-faire, les banquiers n’attendent plus que le bon père de famille pour le chouchouter à souhait. Les pubs qui prolifèrent ces temps-ci le montrent bien… et les profits qui baissent justifient pleinement cet engouement populiste émouvant.
Mais ça a l’air de se généraliser cette ruée genre Unicef vers le client, devenu rare. Voici les courtiers d’assurances qui le courtisent et le défendent contre les “clauses abusives” (p. 22) ; les pros de la vente à domicile qui usent leurs godasses pour lui (p. 84) ; les “arakistes” qui lui font oublier tout le reste (p. 86) ; et même les avocats qui filent des tuyaux juridiques aux victimes des fautes médicales… ou à leurs héritiers (p. 96).
Au summum du dorlotement, le gouvernement se coupe en 30 pour que tout citoyen puisse réhabiliter sa consommation familiale, à moitié prix ou presque, par un subtil jeu de douane. On promet à ceux qui sont moyennement mécontents de combler les lacunes qui auraient pu échapper à leur imparfaite vigilance. On se met à caresser la population entière dans le sens du poil.
Tout baigne dans la république du citoyen où la vox populi est amplifiée à plein régime ? Ce n’est en fait qu’un début pour un juste retour des choses. Pendant trop longtemps, il n’avait qu’à subir les sautes d’humeur des “preneurs de décision”, jusqu’au moment où ceux-ci se sont retrouvé boudés par les vrais faiseurs de décision : en fin de compte, c’est bien le public qui achète, investit, paie des impôts…
On commence alors à l’écouter. Et peut-être qu’un jour on finira bien par passer des nuits blanches à recompter manuellement ses voix.