Impliquée a posteriori dans l’appel d’offres sur la location de centrales flottantes, la Direction des adjudications a rédigé un rapport accablant sur la gestion de la procédure par le ministère de l’Énergie, l’accusant à demi-mot d’avoir voulu privilégier l’entreprise turque Karpower International. Le gouvernement a réagi en décidant d’organiser un nouvel appel d’offres.
Le plan d’urgence pour l’électricité, adopté en Conseil des ministres le 28 mars, prévoyait d’augmenter la capacité de production du pays de 800 à 1 000 MW grâce à la location de nouvelles centrales flottantes pendant quatre ans. Malgré son coût exorbitant, estimé à environ 850 millions de dollars par an, cette option était présentée comme l’unique solution pour “sauver l’été 2017”. Or l’été touche quasiment à sa fin, et les seuls navires-centrales à l’horizon sont ceux de la société turque Karpower International (membre du groupe Karadeniz Energy) qui alimentent déjà EDL depuis 2013, avec une capacité combinée de 370 MW.
Un appel d’offres a pourtant bien été lancé en avril par le ministère de l’Énergie, qui a rédigé le cahier des charges et réalisé l’évaluation technique des offres reçues, avec l’aide d’un consultant. Mais le Conseil des ministres a confié par la suite l’ouverture des plis financiers à la Direction des adjudications, et cette dernière a refusé de s’exécuter, estimant que les conditions minimales de la concurrence n’étaient pas réunies. Dans un rapport confidentiel, mais dont Le Commerce du Levant a pu consulter une copie, elle affirme que le cahier des charges, tel qu’il a été rédigé initialement, ne permet de qualifier qu’une seule entreprise, à savoir la compagnie turque Karpower International. Une conclusion qui tend à confirmer les soupçons pesant dès le départ sur ce projet.
En effet, au moment de la présentation du plan en Conseil des ministres, plusieurs éléments laissaient croire que le ministère de l’Énergie avait déjà négocié directement une offre avec la société turque (voir Le Commerce du Levant de mai 2017). Pour mettre un terme à la polémique, le gouvernement avait alors promis une transparence totale, en annonçant l’organisation d’un appel d’offres. La procédure n’avait toutefois pas été confiée à la Direction des adjudications, qui gère normalement les appels d’offres publics de plus 100 millions de livres libanaises, mais au ministère de l’Énergie, sous prétexte que le bénéficiaire du contrat de location est un organisme indépendant, Électricité du Liban (EDL), et non le ministère. C’est donc l’autorité de tutelle d’EDL, le ministère de l’Énergie, qui a rédigé le cahier des charges et appelé les entreprises intéressées à présenter leurs offres. Quarante-neuf d’entre elles ont retiré le cahier des charges, dont huit ont déposé des offres.
Le ministère avait ensuite procédé à l’évaluation technique des offres, avant de recourir aux services d’un consultant, Pöyri, qui a réexaminé les dossiers et organisé des réunions avec les différents candidats. Fin juin, le sujet est à nouveau débattu en Conseil des ministres, qui confie cette fois l’ouverture des plis financiers à la Direction des adjudications et lui demande de lui soumettre un rapport détaillé. Or ce rapport, remis un mois plus tard, remet en cause l’ensemble de la procédure.
Un rapport très critique
La Direction des adjudications relève en effet plusieurs anomalies. En amont, elle critique un cahier des charges mal rédigé, flou et auquel « manquent des clauses importantes et primordiales », comme les assurances ou les amendes encourues par l’opérateur en cas de retard, ou encore les clauses qui protègent l’État face à un arrêt de travail de l’opérateur. Le critère environnemental est aussi totalement occulté.
Plus grave, le rapport souligne que les critères exigés ont été modifiés et élargis à plusieurs reprises par le consultant (comme le délai de livraison des navires-centrales, le carburant utilisé pour la production d’électricité, l’expertise requise et le fait de posséder ou pas les navires-centrales), en fonction des demandes de clarification des candidats.
Or, toute modification aurait dû donner lieu à une publication au Journal officiel afin d’en informer tous les candidats potentiels, y compris la cinquantaine d’entre eux qui avaient retiré le cahier des charges au départ.
La Direction des adjudications critique aussi la souplesse dont a fait preuve le consultant vis-à-vis des candidats, en les autorisant à compléter leurs dossiers au fur et à mesure, alors que les offres incomplètes auraient dû être invalidées. C’est le cas notamment de celle de la joint-venture BBE Power, Palmet International, Enerwo Enerji et BB Energy Gulf qui a été autorisée à intégrer en cours de route la compagnie Siemens. Cette joint-venture a même eu le privilège de présenter une offre pour une seule centrale, celle de Zahrani, alors que le cahier des charges exigeait clairement des offres pour Zahrani et pour Deir Ammar.
Globalement, le rapport de la Direction des adjudications sous-tend que le cahier des charges était taillé à la mesure d’une seule société et que le consultant a amendé les conditions initiales pour donner l’illusion d’une concurrence. Cela lui a permis de sélectionner officiellement deux entreprises, Karpower International et la joint-venture de BBE Power. Mais en se basant sur les critères du cahier des charges, et non ceux du consultant, la Direction des adjudications est catégorique : seule la première est qualifiée. « Malgré toutes les modifications, les clarifications et les facilitations accordées aux sociétés durant et avant l’appel d’offres, il n’y a qu’une seule offre valable », lit-on dans le rapport. Cette conclusion sans appel a poussé le 17 août le gouvernement à annuler la procédure, et lancer un nouvel appel d’offres. Le processus sera cette fois conjointement géré par la Direction des adjudications et le ministère. Affaire à suivre.
EDL augmente ses importations d’électricité de Syrie En attendant une quelconque amélioration au niveau de la capacité de production, Électricité du Liban (EDL) a décidé d’augmenter ses importations en provenance de Syrie. L’information a été communiquée par le ministère des Finances, qui a été chargé de renégocier le contrat existant, et non par le ministère de l’Énergie qui n’a pas souhaité commenter. Un contrat d’importation sur une capacité théorique de 90 MW lie le Liban et la Syrie depuis les années 1990. La quantité réelle d’électricité fournie par la Syrie dépend toutefois de l’état de sa production. Les dommages subis par le réseau côté syrien ont entraîné une suspension des importations pendant plusieurs mois, mais les livraisons ont repris depuis « plus d’un an », selon le ministère libanais des Finances. Ce dernier dit avoir négocié une augmentation de la capacité d’importation à environ 300 MW, sans fournir de précisions sur les modalités de l'accord, sa durée, les sommes engagées ou le prix du kilowattheure facturé par la Syrie. |