Si l’histoire est un perpétuel recommencement, comme l'affirmait l’historien grec Thucydide, le Liban d’après-guerre en est une parfaite illustration. D’élections en élections, les mêmes figures, les mêmes familles politiques et toujours les mêmes favoris. Seul signe du temps qui passe : des changements de prénoms reflétant parfois un passage de génération. Ils sont plus d’une quarantaine de « fils de » ou de « filles de » à concourir cette année.
Que la politique se transmette en héritage dans un pays où les réseaux sont le meilleur, et souvent le seul, moyen d’arriver n’est pas étonnant. La plupart des médecins sont bien fils de médecins, et les avocats fils d’avocats. Il est plus affligeant en revanche de voir à quel point ils sont incapables de porter le changement et de répondre aux aspirations de la jeunesse qu’ils sont censés représenter. Ils reproduisent des discours féodaux, et défendent un système confessionnel basé sur le clientélisme, le seul à même de garantir leur arrivée et leur maintien au pouvoir, et plus tard celui de leurs enfants.
Au delà de la rhétorique, certains reprennent même les recettes de leurs aînés, alors qu'elles n’ont jamais fait leurs preuves.
Souvenez-vous “Horizon 2000”. C’était le nom du plan d’investissements décennal lancé en 1992 par Rafic Hariri, alors Premier ministre : 230 projets d’une valeur de 12,9 milliards de dollars, devant être menés par le Conseil du développement et de la reconstruction (CDR) et financés en partie par des prêts internationaux. Ce plan avait permis de doper l’économie grâce à une injection de capitaux les deux premières années, mais le miracle a été de courte durée. En l’absence d’une véritable réflexion économique et sociale sur l’avenir du pays et de réformes structurelles, la croissance s’est vite essoufflée. La corruption généralisée et institutionnalisée au nom de la paix civile, couplée à la politique monétaire menée, a fait exploser la dette publique. À l’horizon 2000, celle ci s’élevait à 25,2 milliards de dollars, contre 4,2 milliards en 1993, et le Liban était au bord de la faillite. Commence alors une longue fuite en avant, financée par des conférences d’aides internationales : Paris I en 2001, Paris II en 2002, Paris III en 2007 jusqu’à Paris IV en avril 2018, dite CEDRE.
Le nom a changé, mais les enjeux sont les mêmes. Vingt-cinq ans après son père, Saad Hariri sollicite une nouvelle fois la communauté internationale, avec quasiment le même plan : 250 projets d’infrastructures sur douze ans, 22 milliards de dollars à financer par des prêts internationaux et le secteur privé, et confiés à l’éternel et incontournable CDR.
Qu’a-t-on appris de l’échec de “Horizon 2000” ? Rien. On joue quand même le jeu pour sauver la face. On confie au cabinet McKinsey le soin de formuler une “vision économique”, on compile les réformes recommandées ces dernières années par le FMI et la Banque mondiale, et on va demander de l’argent à des bailleurs de fonds qui font mine d’y croire. Signe du manque de sérieux, à l’heure de passer sous presse, le “programme de réformes” devant être présenté à la conférence n’avait pas fait l’objet du moindre débat public ni même été présenté en Conseil des ministres ! Autre signe qui ne trompe pas : au lieu de s’engager à protéger le pays et son économie grâce à des réformes, le principal parti au pouvoir préfère miser sur un talisman pour éloigner le mauvais œil. Belle promesse de campagne.