« Je ne suis pas prêt à détruire le niveau de vie des centaines de milliers de Libanais qui encaissent leurs salaires en livres libanaises juste pour forcer la main aux politiques. J’userai de tous les moyens pour garder la stabilité. » En quelques lignes, le gouverneur de la Banque centrale, Riad Salamé, dans l’interview qu’il accorde au Commerce du Levant, rappelle l’enjeu : la parité ou le chaos. « Vous n’avez plus le choix, dit-il en substance. Il n’y a plus de retour en arrière. »
Riad Salamé a raison : à moins de figurer parmi ces quelques radicaux, qui espèrent mettre à bas le système politique et financier libanais dans une terrible révolution, nous sommes tous pris au piège. Depuis l’ingénierie financière massive de 2015, quelles autres solutions avons-nous ? Certes, des swaps, la Banque centrale en a menés de nombreux avant 2015. Son coût devient cependant de plus en plus lourd à porter pour le Liban. Aujourd’hui, c’est le secteur bancaire tout entier qui est engagé pour sauver la parité livre-dollars comme si cette équivalence était gravée dans le marbre.
Mais la pression se fait sentir : signes préoccupants, les CDS, qui mesurent le coût d’une assurance contre un défaut de paiement de l’État, ont par exemple bondi : ceux à un an passent de 620 points à plus de 1 100 en l’espace de quelques semaines…. Ceux à cinq ans ont atteint un pic à 848 points pour redescendre aux alentours de 770. Dans nos colonnes, Nassib Ghobril affirme que leur soudaine envolée ne reflète pas le risque-pays réel. Mais d’autres experts assurent que ces soubresauts traduisent, malgré tout, les inquiétudes des investisseurs quant à une éventuelle dévaluation de la livre libanaise.
C’est un coup de poker magistral auquel on assiste : s’il fonctionne, Riad Salamé sera, une fois de plus, loué comme le génie du pays, dont il est le dernier rempart face à l’incurie du corps politique. S’il échoue, on subodorera chez lui cette part de magie noire, qui l’aura vu brûler les économies de ses concitoyens sur l’autel de l’inéducable.
Dans quel sens penchera la balance ? La survie du pays à long terme dépend désormais d’un “événement extérieur” : les revenus du pétrole, la manne de la reconstruction en Syrie… Ou le pari que la communauté internationale ne laissera jamais tomber le Liban : le coût d’un sauvetage n’étant rien comparé aux dégâts potentiels de son effondrement…