Plages mythiques de Beyrouth : de l’âge d’or au règne du béton
Le Sporting ne se livre pas à qui veut. Il faut d’abord affronter les mythiques embouteillages de Beyrouth, l’ignorance des chauffeurs de taxi qui n’en ont jamais entendu parler, les trottoirs envahis par les coureurs et les marcheurs de la corniche pour se retrouver sous l’énorme enseigne qui signale l’entrée du lieu, à la pointe de Manara.
Une fois dans le lobby, étourdis par la pénombre, c’est une plongée dans une autre époque qui s’opère. « Le Sporting raconte le charme d’antan », fait valoir Walid Abou Nassar, qui dirige l’établissement avec son frère Marwan et son cousin Ralph Schray. «C’est la seule plage de Beyrouth qui ait gardé son cachet et son authenticité», confirme l’un de ses membres, fidèle depuis les années de guerre à l’établissement, où il nage été comme hiver.
Comme lui, entre 350 et 400 personnes sont membres de ce club (1.200 dollars l’abonnement) à l’année. Entre 600 et 1.000 s’y pressent en plus à la saison haute, entre avril et juin, les jours de week-end, pour environ 30 à 40.000 livres libanaises l’entrée (entre 20 et 27 dollars).
Côté balnéaire, l’établissement comprend quelques chalets (dont la direction se réserve l’usage), deux piscines, 200 cabines et près de 1 000 transats. Mais le Sporting tend aussi à devenir une adresse gastronomique : en plus du restaurant-cafétéria qui surplombe la baie, le Sporting a ouvert en 2015 la Feluka, un établissement de mezzés, de poissons à la vocation plus haut de gamme. Un bar-lounge est même en cours d’aménagement dans le local à l’entrée qui abritait auparavant le restaurant indien.
Le lieu fait partie de l’héritage de la ville depuis que George Abou Nassar et Herta Carpaciti, une ressortissante allemande qui vivait alors à Beyrouth, l’ouvrirent en 1953 sur un terrain de 1.000 m2, propriété des Abou Nassar.
La famille n’en a plus jamais décroché. « Même la guerre de 1975 ne nous a pas arrêtés. Lorsque les Israéliens ont envahi Beyrouth, on se baignait en pensant que les navires de guerre ne nous tireraient pas dessus s'ils voyaient des gens en maillots de bain ...», se souvient Walid Abou Nassar. À défaut de s’être transformé, le club, qui emploie une cinquantaine de salariés, s’est tout de même agrandi : au fil du temps, il a fini par s’étendre sur près de 13.000 m2, dont 10.000 m2 de front de mer loués sous forme de concession à l’État sur une durée de 100 ans.
«Nous détenons 8.000 m2 de terrain adjacent au domaine public. Et nous payons un loyer de 200.000 dollars par an pour l’exploitation du domaine maritime public.»
Pour autant, si le Sporting se veut fidèle à ses débuts, il n’est pas complètement resté dans son jus. Les volets rouges et les parasols jaunes des années 1960 ont disparu, remplacés par du blanc et du bleu, “des couleurs méditerranéennes” plus authentiques. «On fait évoluer notre image pour séduire de nouvelles générations.» C’est d'ailleurs dans ce but que le Sporting collabore avec Olivier Gasnier Duparc, créateur des Decks on the Beach.
Ces soirées, qui ont lieu sur l’une des terrasses du club depuis 2012, réunissent jusqu’à 2.000 noctambules à chaque fois. «On attire un nouveau public – les enfants de nos clients – plus pointu et fortement prescripteur.» Une façon pour Walid et les siens de pérenniser l’avenir d’un club dont ils espèrent transmettre le goût à la nouvelle génération.