Plages mythiques de Beyrouth : de l’âge d’or au règne du béton
«Ce qu’avait le Saint-Georges ? Une vue inégalée. On se baignait en contemplant la ville et le mont Sannine», se remémore un ancien amateur.
Construit par la Société des grands hôtels du Levant (SGHL) et inauguré en 1932, l’hôtel Saint-Georges était réservé “presque exclusivement” aux ressortissants français, au moins dans ses premières années. «Seuls quelques Libanais y étaient alors admis», écrit Samir Kassir dans “Histoire de Beyrouth”.
Parmi les plaisirs que cet hôtel offrait, figurait son centre balnéaire. On y accédait par les sous-sols et l’établissement disposait d’une vingtaine de cabines. «Le Club du Saint-Georges bénéficiait d’une crique de sable où se baigner, à côté de laquelle avait été aménagée une petite marina», se souvient Serge Nader, le fils de Michel Nader, qui acheta ce club en 1936 et en pris les commandes.
Pendant que Elizabeth Taylor et Richard Burton profitent de leur suite à l’hôtel, toute l’élite libanaise et arabe se retrouve au club. « La plupart des politiciens libanais y venaient. Je me souviens avoir vu le président du Parlement descendre à notre plage pour battre le rappel des députés qui préféraient les plaisirs balnéaires au devoir de leur fonction.»
Le club, que Michel Nader baptisera plus tard le Saint-Georges – Yacht Motor Club, se veut ultra sélectif.
L’accès est d’ailleurs assez onéreux : dans les années 1950, 11 livres libanaises pour les hommes, neuf pour les femmes.
Au fur et à mesure de nouveaux services voient le jour : le restaurant de la plage ouvre dès 1954 et la première piscine est construite en 1958. En 1959, le complexe qui exploitait 2 000 mètres carrés du domaine public maritime obtient 2.000 m2 supplémentaires par décret présidentiel.
Durant ces années, tout ce que compte le Moyen-Orient de diplomates, de journalistes et d’espions se retrouvent au Saint-Georges.
Le Britannique Kim Philby figure parmi les fidèles. «Des années plus tard, j’ai eu l’extrême surprise de découvrir que ce gentleman, qui sirotait souvent un gin tonic au bar et qui m’interrogeait parfois sur mes prouesses sportives, était en fait l’un des plus grands agents doubles que l’histoire ait connu», raconte Serge Nader.
On y complotait le rétablissement de la monarchie irakienne, la mise au rencard d’une famille saoudienne au pouvoir, ou l’assassinat du président syrien… On pouvait même y tomber amoureux d’une brillante espionne de la CIA… Et finir par l’épouser, ce que fit le journaliste palestinien Saïd Aburish, qui dédia même un livre à l’hôtel “The St. George Hotel Bar : International Intrigue in Old Beirut” en 1989.
L’âge d’or se termine avec la guerre. Pendant la “bataille des hôtels”, qui oppose les milices chrétiennes aux groupes palestiniens et leurs alliés libanais en 1976, l’hôtel est pris d’assaut. La milice, qui tiendra plusieurs mois le Saint-Georges, sépare même le personnel selon leur confession, laissant partir les “bons” et gardant les “mauvais” comme le relate The Daily Beast.
Même si les 18 captifs finirent par être libérés, l’épisode signe la fin d’une époque. L’hôtel sera ensuite pillé, dévasté et assez largement bombardé. La plage, elle, se maintient.
«On fermait selon le danger.»
Mais le plaisir n’est plus et, en 1997, Serge Nader, qui a repris le flambeau au décès de son père, le vend. La Société des bains de mer (SBM) de Fadi Khoury, qui avait déjà racheté l’hôtel, s’en porte acquéreur. Un autre conflit, presque plus dur, démarre entre cet homme d’affaires et Solidere, qui, à partir de 1994, est chargée de reconstruire le centre-ville.
Assez vite, Solidere envisage le réaménagement de la zone de l’hôtel avec un projet de marina qui s’approprie les terrains que l’État avait naguère concédés au Saint-Georges.
S’engage alors une bataille juridique dont Fadi Khoury perd le premier round : en 2001, la SBM se voit privée de sa marina, tandis que Solidere érige une haute digue, au coût pharaonique (230 millions de dollars), censée éviter que des vagues de 30 mètres « comme seules des tempêtes en produisent tous les 100 ans », note ironiquement le New York Times, ne viennent perturber le calme de la future Zaitunay Bay.
Estimée à 60 millions de dollars, la reconstruction de l’hôtel n’a jamais eu lieu. À défaut, on peut encore barboter dans les piscines du Yatch Club, cernées par les badauds qui déambulent à Zaitunay Bay, en s’interrogeant sur le destin d’une ville qui n’a pas su protéger son littoral.