Plages mythiques de Beyrouth : de l’âge d’or au règne du béton
Ceux qui ne pouvaient pas ou ne voyaient pas l’intérêt de dépenser les 3 ou 4 livres libanaises exigés au Saint-Simon ou au Saint-Michel allaient se prélasser sur la plage gratuite de Ramlet el-Baïda, que les Beyrouthins surnommaient “saint baleche”. Une référence amusée aux autres plages “sanctifiées” dans sa proximité. Ramlet el-Baïda n’avait pas vraiment de début ; pas réellement de fin.
On n’y trouvait ni douche ni bungalow. Cette plage “publique” était la principale destination, dans les années 1960-1970, des familles pauvres ou modestes de la capitale, dont les garnements posaient leur serviette sur le sable avant de courir nager dans une eau réputée d’un bleu superbe.
«Dans ma jeunesse, nous étions une bande de plongeurs qui y débarquions le week-end. La plage était immense. Sous l’eau, on croisait des raies, des tortues…», se souvient Effat Idriss, la responsable de l’association The Big Blue, qui assure la gérance de la plage depuis 2001 pour le compte du ministère des Transports et des Travaux publics.
Officiellement, Ramlet el-Baïda n’est pas publique, elle est juste “d’accès gratuit”. Car en arrière de la bande littorale – cette fameuse bande de terre, de sable ou de rocher qui «s’arrête à l’endroit où monte la plus haute vague en hiver» et qui relève du domaine public maritime –, les terrains appartiennent à des propriétaires privés.
La plupart des parcelles sont non constructibles, mais la loi n’est pas toujours respectée.
Presque chaque année, un projet immobilier menace ce bord de mer et les quelques trop rares tortues, qui viennent encore y pondre.
Avant 2000, par exemple, le projet Alfa, porté par Rafic Hariri, prévoyait la création d’un complexe hôtelier et d’une marina sur la plage jusqu’au Mövenpick.
Si ce projet est toujours en suspens, celui du groupe Achour, lui, a abouti : en 2018, l’hôtel Lancaster Eden Bay y a été inauguré, sur quatre parcelles d’une superficie totale de 5.100 m2 (dont deux parcelles présumées non constructibles), à l’extrémité sud de la plage. «La dernière plage publique de Beyrouth est en permanence sous la menace d’aménagements urbains et immobiliers», déplore, fataliste, celle qui a juré de la défendre.
Avec le temps, Ramlet el-Baïda a fini par n’être plus qu’une ligne de 1,8 kilomètre de long pour une profondeur moyenne d’à peine 50 mètres. Une bande étroite prise d’assaut en été, accueillant jusqu’à 20.000 personnes certains week-ends. Mais la surfréquentation n’est pas la seule menace qui pèse sur son écosystème.
Sur la plage, les déchets sont légions, portés par les vents et les courants depuis la décharge du Costa Brava de Choueifate.
«Malgré les régulières campagnes de dépollution, nous déboursons 500.000 livres libanaises (340 dollars) chaque semaine pour la faire nettoyer en été. Or, nous ne recevons aucune subvention. Nos seules rentrées sont liées aux deux guinguettes, à l’entrée de la plage, où nous vendons boissons et biscuits. Comment voulez-vous que nous développions un projet plus ambitieux dans ces conditions?» s’interroge Effat Idriss.
Difficile, en effet, d’autant que les deux égouts, qui déversent sur cette plage les eaux non traitées des quartiers environnants, oblige cette amoureuse de la mer, à y déconseiller la baignade.
«La côte est contaminée jusqu’aux anciennes plages de Saint-Michel et de Saint-Simon à Jnah», regrette-t-elle.