« Quatre générations se sont succédé dans ces vergers. » Soha Frem, fondatrice de la marque de cidre Wata Cider, désigne la propriété de deux hectares de Wata el-Joz, près de Feytroun. Ses grands-parents y ont construit une maison et planté des pommiers dans les années 1960. «Ma mère y a grandi, mes frères, mes sœurs et moi y avons passés nos étés.»
Aujourd’hui, Soha Frem y produit du cidre : 6.000 bouteilles en 2018 sa première cuvée et 15.000 en 2019.
Ce n’est pas seulement par nostalgie que cette diplômée d’ingénierie agricole de l’Université américaine de Beyrouth (AUB) a parié sur le cidre. Elle a aussi senti un filon. «Lorsque je poursuivais mes études de développement international à la London School of Economics (LSE), j’ai remarqué l’attrait des Britanniques pour cette boisson.»
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Au Royaume-Uni en effet, ce marché, qui représente près de 3,8 milliards de dollars de chiffres d’affaires en 2018, est en croissance de 4 % chaque année. «J’y ai vu un débouché possible pour les pommes libanaises que les producteurs peinaient à écouler.» En 2015 et 2016 particulièrement, la fermeture des points de transit avec la Syrie avait empêché la livraison des fruits libanais aux pays du Golfe, leur marché traditionnel.
En 2017, elle démissionne de son poste de chef de projet à l’Onu et investit 200 000 dollars en fonds propres dans la construction d’une cidrerie, sur la propriété familiale, où on peut embouteiller jusqu’à 35 000 cols. Sa sœur, Souraya Frem-Baroud, met au point l’identité de la marque, centrée autour du concept du “modern craft” et de l’attachement à la terre.
Vendues dans les épiceries fines à 3 750 livres libanaises (2,5 dollars), leurs bouteilles sont également à la carte des bars tendance comme House of Butlers à Gemmayzé ou Ferdinand à Hamra.
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Mais Soha Frem affronte d’énormes défis. La culture du cidre s’avère quasi inexistante au Liban. D’après l’International Wine & Spirit Research (IWSR), seulement 30.000 litres de cidre s’écoulent chaque année, principalement de la marque industrielle française Écusson. Un volume insignifiant en comparaison des plus des quatre millions de bouteilles de vin, ou 29 millions de litres de bière vendus chaque année.
Autre challenge : les vergers de Wata el-Joz produisent des pommes culinaires sans tanin, qui donnent un cidre “moderne”, composé à 80 % de pommes. Les Anglo-Saxons raffolent de ces cidres légers (moins de 5 % d’alcool) au goût plus acide, qui s’avèrent très différents du cidre “héritage”, issu à 100 % de pommes à cidre, davantage apprécié des Français, particulièrement en Normandie et en Bretagne. «Pour obtenir le meilleur de mes fruits, j’ai pris des cours avec un spécialiste, Peter Mitchell, dans le Gloucestershire en Angleterre, raconte Soha Frem. J’ai effectué des micro-fermentations et travaillé les “blends”, c’est-à-dire les mélanges des cidres issus des différentes variétés de pommes disponibles à Wata el-Joz.»
La fondatrice s’arrête finalement sur trois variétés : Granny Smith, Golden Delicious et Starking Delicious, et sur trois types de cidre qui plaisent aux palais libanais d’après ses panels de testeurs : «Original», «Brut» et «Dry». La spécificité des pommes culinaires affecte également le processus de fermentation. Contrairement à la technique “traditionnelle”, elle est ici menée à son terme – soit environ un mois – et du sucre de canne est ajouté dans un second temps, juste avant la mise en bouteille.
Le cidre mature ensuite pendant six à douze mois, avant sa pasteurisation finale. Wata Cider est loin encore d’avoir atteint son seuil de rentabilité. «Nous devons encore élargir notre clientèle et augmenter nos points de vente, projette Soha Frem. Nous organisons des dégustations et menons actuellement une campagne sur Instagram pour faire mieux connaître le cidre aux Libanais.»
Jusqu’à les persuader de troquer leur bouteille de bière pour une bolée de cidre ? Elle l’espère en tous les cas.