Le pari de fabriquer des cosmétiques à base de produits naturels au Liban semblait osé il y a un encore an. Mais de plus en plus de marques commencent à trouver leur public. Pour continuer à se développer, elles ont néanmoins besoin de renforcer leur chaîne d’approvisionnement locale.
Confinement oblige, les ateliers de production sont fermés. Mais cela n'empêche pas de nouvelles marques de produits libanais cosmétiques ou d’hygiène à base de composants naturels de continuer de vendre en ligne. Leurs volumes commercialisés ont d'ailleurs nettement augmenté depuis le début de la crise de change.
Potion Kitchen, une marque de cosmétiques «clean» – sans substances nocives pour la santé et l’environnement – créée en 2018 a ainsi doublé ses ventes en un an, à près de 10.000 unités. Ses huiles, lotions et crèmes sont fabriquées dans le village de Dar Ntar, au Sud-Liban.
Savvy Elements, un autre fabricant de produits d’hygiène et de ménage écologiques basé à Beyrouth, a quant à lui augmenté ses ventes de 30% depuis le début de la crise, pour atteindre environ 500 unités par mois. «La demande dépasse désormais notre capacité de production», note Batoul Hakim, qui a fondé cette entreprise en 2019.
Des coûts en livres libanaises
Si ces marques semi-artisanales séduisent davantage, c’est grâce à des prix désormais plus compétitifs que leurs concurrents internationaux. Respectivement 40 et 50% des coûts de production de ces deux marques sont en effet libellés en monnaie libanaise, qui a perdu plus de cinq fois de sa valeur par rapport au dollar en un an et demi.
«La hausse de nos prix depuis le début de la crise reste moindre que celle des produits étrangers importés, qui suit l’évolution du cours de la livre libanaise sur le cours du marché noir», explique Rafa Hojeij, la fondatrice de Potion Kitchen, passée en 2020 par l'incubateur de start-up Smart ESA. «Auparavant nos prix étaient relativement élevés car produire au Liban coûte cher, mais l’écart s’est réduit», approuve Batoul Hakim, dont les produits n’ont augmenté que de 25%. «Notre shampoing solide est désormais meilleur marché que la plupart de nos alternatives importées, voire que certains shampoings de grande distribution».
Ces frais en monnaie locale incluent notamment la rémunération de la matière grise : quatre employés pour Potion Kitchen et des consultants extérieurs pour les fonctions support comme le marketing pour Savvy Elements.
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L’achat d’une partie de la matière première sous forme brute ou transformée se fait également en livres libanaises. «Nous avons des fournisseurs locaux pour l’achat de plantes comme la lavande, le géranium ou le romarin», explique Rafa Hojeij. Une autre jeune marque de soins pour le visage, Helwé, lancée en décembre dans le village côtier du même nom, s’approvisionne aussi localement en aloe vera, huile d’olive et huile d’amande douce.
La baisse des coûts en livres libanaises n’est toutefois pas proportionnelle à la dépréciation, les fournisseurs libanais ayant notamment eux-mêmes augmenté leurs tarifs. «Certains en particulier arrivent à exporter et donc n’éprouvent pas le besoin de casser leurs prix», note Batoul Hakim de la marque Savvy Element. Une part notable des coûts reste par ailleurs libellée en dollars. «J ’importe ma vitamine C et mes molécules pharmaceutiques, tout comme le verre pour le packaging, puisqu’il n’existe pas d’usine de fabrication au Liban», précise Josiane Riachi, la fondatrice de Hewlé, la jeune marque qui s'est lancée malgré la crise sanitaire. Le confinement généralisé l'a quand même obligée à stopper sa fabrication et rendu son approvisionnement plus difficile.
Développer la filière
Pour se développer dans un contexte aussi sinistré, Potion Kitchen et Savvy Elements affirment avoir réduit leurs marges pour continuer à proposer des prix abordables aux Libanais. Mais pour trouver un équilibre plus profitable, ces marques cherchent à compléter leur chaîne d’approvisionnement locale.
Un pari difficile à relever car la filière du Made in Lebanon reste peu développée même si l'argument d'une production locale compte de plus en plus dans l'acte d'achat de certains consommateurs. Beaucoup de plantes présentes à l’état brut au Liban n’existent pas sur le marché sous forme de produits secondaires avec la qualité et la quantité nécessaires. «On trouve par exemple beaucoup de lavande mais aucun fabriquant n’est capable de me fournir une huile ou un hydrolat avec un certificat de qualité», déplore Rafa Hojeij. La chimiste industrielle de formation fait donc elle-même ses propres distillations, «mais ce n’est pas mon métier», explique-t-elle. «Pour faire baisser les coûts j’aurais plutôt intérêt à travailler avec un spécialiste capable de rationaliser la production pour en fabriquer à grande échelle.»
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La petite capacité de production des fabricants, quand ils existent, représente également un casse-tête pour l’homogénéité des produits. «Pour avoir un produit fini avec les mêmes caractéristiques, par exemple une odeur ou des facultés thérapeutiques identiques, je ne peux pas me fournir un peu partout», ajoute Batoul Hakim.
L’entrepreneuse fait néanmoins preuve d’optimisme, l’offre ayant sensiblement augmenté ces derniers mois, tirée par cette nouvelle demande. «Le Liban a un vrai avantage grâce à son climat et les compétences nécessaires s’y trouvent pour développer cette filière. Depuis le début de la crise économique, nous avons réussi à faire grimper la part de nos frais locaux de plus de 30%».
Les trois marques de cosmétiques regardent aussi bien sûr vers l’étranger. Potion Kitchen exporte ainsi déjà une petite partie de sa production vers Dubaï et la Côte d’Ivoire. Savvy Elements ambitionne de développer ses exportations d’ici juin. Helwé, enfin, a à l’inverse fait le choix de facturer ses produits directement en dollars, dans le but principal de vendre à l’étranger.
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Les consommateurs sensibles aux produits plus respectueux de la santé et de l’environnement, sont également plus nombreux, notamment chez les jeunes, «même si on est encore loin de l’enthousiasme qu’ils suscitent dans d’autres marchés», nuance Batoul Hakim. Ces marques bénéficient par ailleurs «d’une visibilité beaucoup plus importante aujourd’hui, en particulier sur les réseaux sociaux», ajoute-t-elle. Un avantage pour ces micro-entreprises qui réalisent une grande part de leur ventes en ligne, d'autant plus lorsque leurs points de vente physiques sont fermés comme aujourd'hui en raison du confinement imposé depuis le 14 janvier.