De mémoire de journaliste économique, on n’a jamais vu les Libanais se passionner autant pour les eurobonds. Faillites bancaires, “haircut” sur les dépôts, conversion forcée… les scénarios rattachés à l’hypothèse d’un défaut de paiement de l’État n’ont certes rien de réjouissant. Mais l’engagement de l’opinion publique dans un débat longtemps cantonné aux milieux financiers, bien contents de laver leur linge sale en privé, est le signe d’une prise de conscience collective des enjeux fondamentaux. D’une volonté retrouvée des Libanais de prendre leur destin en main.
En quelques mois, le mouvement de contestation a déjà réussi l’impensable : secouer une classe politique imposée au nom d’une paix civile qui n’a rien de paisible, rien de civile.
En dénonçant le fardeau d’une dette, dont elle n’a récolté que des inégalités, du chômage et de l’immigration, la jeunesse libanaise a contribué aussi à briser le tabou de la restructuration. Soutenue, il faut le dire, par la situation catastrophique du pays qui a accéléré l’inévitable.
Refusant les petits arrangements entre amis, et le “haircut” sans contrepartie imposé actuellement aux Libanais, l’opinion publique a obligé les dirigeants à marquer une pause dans la longue fuite en avant qui a mené le pays au bord du gouffre. La chute est-elle évitable ? Non, mais en sautant plutôt que de tomber, le Liban a l’espoir d’atterrir sur ses jambes.
Il ne faut pas pour autant se faire d’illusions. Le plus dur reste à venir. Reconnaître que l’État ne doit pas privilégier ses créanciers au détriment de la majorité de ces citoyens n’est que le premier pas. Reste à évaluer le montant des pertes qui leur sera infligé et les moyens d’en répartir le poids. Car les créanciers les plus importants ne sont pas les fonds d’investissement étrangers. Ce sont les banques libanaises, les sociétés d’assurances, la Caisse nationale de Sécurité sociale… des institutions qui ont un rôle vital dans la société.
C’est là que le débat va se corser. Qui va payer le prix des années d’incurie ? Qui faut-il privilégier ? Qui sacrifier ? Et à l’autel de quoi ?
Le combat pour une résolution juste et équitable sera difficile. Il se jouera à armes inégales. Mais si les contestataires maintiennent la pression, avec cette même énergie et cette même détermination, il y aura peut-être de la lumière au bout du tunnel.
Retrouvez l'intégralité du numéro de mars ici.