«De quelle crise parlez-vous, alors que tous les restaurants sont pleins ? !», nous interroge, dubitatif, un émigré repenti. Auquel répond un autochtone, émigré potentiel : «Mais les restaurants ferment boutique l’un après l’autre». Loin des chiffres, qui n’existent d’ailleurs pas, les restaurateurs portent donc, sans l’avoir jamais voulu ni même imaginé, la lourde charge de refléter la situation économique. Et le pauvre bougre, qui croyait juste aligner quelques tables pour rassembler des amis désœuvrés, se trouve du coup responsable de l’image du pays. (Voir notre dossier restaurants, pp 50-61). Il en va ainsi, par exemple, du centre-ville. Un quartier déclaré en état de coma dépassé, devant la désolation des rues flambant neuves et vides. Jusqu’au moment où – miracle – 32 restaurants y ont déferlé en l’espace de quelques mois. Du jamais vu.
Pas vu en tout cas par le FMI, qui, lui, s’entête à nous lancer à la figure des indicateurs sclérosés, ce qui provoque tout naturellement des bafouillages embarrassés de nos responsables – et une analyse plus calme d’un économiste circonspect (p. 30).
Tout cela dans la plus pure tradition d’un chaos de routine, sans l’ombre d’un esprit quelque peu créatif (voir l’opinion p. 18). À tel point qu’un publicitaire avisé s’est fait fort de nous fournir un cours, justement, sur la créativité (p. 108). Nos vitiviniculteurs, moins compliqués que leur appellation contrôlée ne laisse penser, l’ont déjà appliquée, cette créativité, pour envoyer leurs bouteilles vers 50 pays ou presque. «Ils ont comme une confiance mystique dans l’avenir !», s’est exclamé, admiratif, un des grands distributeurs de nos vins en France, tellement leur méthode de travail en matière d’exportation était atypique, selon notre heureuse correspondante à Paris, après une enquête sur le terrain. (Voir notre dossier pp. 64-80).
Mais, évidemment, on ne peut compter uniquement sur le vin, déjà que nos esprits sont loin d’être lucides. À l’heure des dotcom, d’autres entreprises sont nécessaires, avec de préférence un petit financement, ou même un pôle technologique, comme Berytech, qui vient d’être inauguré (pp. 46 et 82). Il était temps. Car un “incubateur” comme celui-là ne serait pas de trop, rien qu’en comptant les organismes étatiques en état de végétation prénatale. Mais cette pépinière high-tech, érigée sur le campus de l’ESIB, ne prévoyait certainement pas de recevoir comme premier client une horde de zélés, qui y sont rentrés par effraction en pleine nuit. On a tendance à sous-estimer l’engouement des Libanais, même en uniforme, pour la haute technologie.