Prévoir l’avenir, même si c’est juste pour une année, prend très vite ces temps-ci l’allure d’une observation zodiacale des astres. Et voilà le journaliste qui se mue en voyant extralucide, entraînant dans sa dérive l’ensemble de la gente politique et économique, qui n’avait vraiment pas besoin de cet égarement supplémentaire. C’est d’autant plus vicieux qu’on n’est déjà pas très sûr, ni d’accord, sur la lecture du passé. Alors l’avenir…
Mais pour éviter d’accumuler une dose létale de complexes, un économiste international vient à notre rescousse ; d’après lui, les experts des instituts de prévision américains et mondiaux ont, par les temps qui courent, tout le mal du monde à justifier leur salaire. En gros, leur travail se limite à contredire aujourd’hui ce qu’ils ont prévu hier ; puis à justifier demain les gaffes qu’ils ont faites la veille. Exemple : les taux de croissance américaine seront-ils de 1,1 ou 3,2 % ? À partir du 2e trimestre 2002, ou du 3e trimestre 2003 ?
Alors, au Liban, on se sent pour une fois à l’aise. On est bien dans le “trend” mondial. On devrait être admis aux organismes de la mondialisation, genre OMC, rien que pour cette harmonisation du doute. Et notre édition “bilan et perspectives 2001-2002” se trouve du coup sauvée.
Cela ne veut pas dire que tout y est dissertation de type économie-fiction. Cinq de nos ministres et des dizaines de décideurs se répandent en détails sur la physiopathologie de l’an 2002. Sur l’écran de contrôle : taxes à assimilation rapide, privatisations au compte-gouttes, ablations dans le budget, exactement là où il ne faut pas, et une greffe historique à l’Europe. L’année 2002 sera-t-elle donc meilleure ou pire que celle qui vient de s’écouler ? Pire, diront 51 % de la population, selon notre sondage Ipsos Stat (voir p. 22), soit un doublement des pessimistes en un an (voir notre sondage identique en janvier 2001). Même un courageux de ministre, Ghazi Aridi, estime que le gouvernement a échoué.
Mais ce bémol n’est en fait qu’une partie de l’histoire, un suspense qui nous tient en haleine tout au long du film, et qui se dénoue juste avant l’hypothétique “happy end”. Un scénario que d’aucuns appellent de leurs vœux et entrevoient même dans les rouages d’une année cruciale. Et dans plusieurs secteurs, on fantasme sur ce qu’on appelle déjà “le nouveau marché du 11 septembre”; entendre par là nos opportunités suite à “l’effet d’éviction” occidental à l’égard des Arabes. Pour la dernière scène du film, on a donc le choix : sera-t-elle du genre Titanic ? Godzilla ? From Hell ? Ou bien faut-il attendre le salut par la pierre philosophale de Harry Potter ?