Que faire, cher chef d’entreprise, si vous avez 67 ans, 3 fils et 2 filles, et que votre chiffre d’affaires n’est pas divisible par 5 ? Votre mièvre gendre aurait-il épousé votre fille chérie dans l’unique but de vous succéder ? Votre famille se paie des réunions de conseil d’administration aux Bermudes, et vous êtes seul à vous tuer 12 heures par jour au travail ? Votre fils s’en fout de votre commerce ancestral de tapis persans, comme de sa dernière Ferrari, et préfère plancher sur les théories ethnologiques autour des aborigènes d’Australie ?
Si vous vous posez l’une de ces questions, alors vous êtes atteint du syndrome des entreprises familiales. (Voir notre dossier pp. 28-44). Et vous passez votre temps à alterner médicaments antihypertension et réunions avec vos consultants spécialisés en “Family business”, pour essayer de limiter les dégâts.
Ceci dit, on est dans un véritable dilemme économique : si on se mettait d’emblée à jeter l’anathème sur les entreprises familiales, on va se retrouver dans de beaux draps – et avec plein d’ennemis. C’est que l’écrasante majorité de nos entreprises porte toujours une raison sociale du genre “A. Khoury et fils”. Plus rarement, ce sont les prénoms de deux frères qui sont à l’enseigne – momentanément, le temps que les épouses respectives haussent le ton. Mais on ne va pas au-delà. Passé la troisième génération, on en est parfois à la cinquième scission, notre sport économique n° 1.
Mais, d’un autre côté, ces entreprises ont fait la prospérité de notre économie pendant des décennies. Et, du moins celles qui ont survécu, poursuivent leur marche triomphale. N’empêche qu’elles fonctionnent parfois comme si les règles du jeu étaient restées figées dans le temps : ni mondialisation, ni économie d’échelle, ni gestion optimale des ressources humaines…
Toutes ces règles qui nous viennent, à l’origine, des États-Unis, autre dossier, controversé, de ce numéro (voir pp. 60-80). Nous n’avons pas fait exprès de les opposer. Pas plus que de mettre en relief les axes et acteurs du business libano-américain, en cette période trouble des relations avec l’Oncle Sam.
Mais en fait, on aurait eu tort d’émuler les autres, même s’il s’agissait des champions du business mondial. On a nos propres spécificités après tout. Y compris, par exemple, une pratique très développée d’entreprises politico-familiales, qui consiste à parachuter un successeur sans se soucier de son incapacité génétique à se faire un prénom. Car, on le sait depuis Baudelaire : «Les nations n’ont de grands hommes que malgré elles – comme les familles».