Tous les experts vous le diront – et nous l’ont dit –, les prix de l’immobilier tournent ces temps-ci à l’opaque anthracite. Dans notre dossier détaillé (pp. 52-77), on verra par exemple que les prix peuvent aller du simple au double, que les experts sont confus par les prétentions fantaisistes des proprios, eux-mêmes désemparés, car ils projettent les flambées de la baie Saint-Georges sur leur lopin à Houmine el-Tahta. En fait, tout dépend, disent les experts, si vous êtes pressés de vendre. Dans ce cas, vous êtes bon pour la braderie de Souk el-Ahad. Sinon, attendez quelques années que le 11 septembre, encore lui, fasse pleinement son effet et que nos voisins basanés soient suffisamment maltraités en pays d’Occident pour se rabattre sur nos Bhamdoun-Aley-Sofar hospitaliers.
À moins bien sûr que vous n’ayez la chance d’être rentier au centre-ville, rebaptisé quartier Solidere. Par solidarité, les zones voisines se voient déjà flanquées d’une action A, en passe de s’envoler sur la Bourse de Beyrouth, selon les dires des courtiers financiers (voir le nouveau titre indexé p. 34).
Mais bien évidemment, si votre grand-oncle maternel ne vous a rien légué et a préféré bloquer ses terrains en waqf au profit de l’Immaculée Conception, il vous faudra débrouiller un petit pactole pour démarrer. Là, vous avez le choix entre Greed, Man sayarbah al-malyoun ou autre Halaka el-adaaf, si vous préférez subir une petite humiliation traditionnelle au préalable (voir notre enquête sur le business des jeux télévisés p. 80).
Si, malgré cela, vous n’arrivez toujours pas à décoller de votre petit trou mal entretenu, reste une solution miracle : la “titrisation”, nouvellement surgie sur notre scène financière. Évidemment, avec une telle onomatopée, on pense plus à un harcèlement sexuel qu’à un quelconque véhicule financier… si ce n’était l’affaire conjointe du ministre Fouad Siniora et du gouverneur Riad Salamé. Là, l’équivoque n’est plus possible. Ayant ainsi titrisé à souhait tout ce qui est titrisable, on peut, paraît-il, amasser plein d’argent à petit coût, de quoi faire un shopping de haut vol (voir l’analyse, sérieuse, p. 36).
Et c’est tellement rentable qu’on en viendrait peut-être à en faire profiter l’EDL, autre institution privatisable et éventuellement titrisable. À condition de commencer par faire le grand ménage pour éviter une faillite haute tension. Le nouveau directeur de la “caverne d’Ali Baba” a d’ailleurs élaboré un plan ad hoc (voir p. 28).
Et il est tellement bien ficelé… qu’on lui a saccagé le bureau. Ça lui apprendra à couper les vivres aux parasitologues. Vous savez, ceux qui prennent leur, l’idée de Diderot : «Il est dur d’être gueux, tandis qu’il y a tant de sots opulents aux dépens desquels on peut vivre».