Tout le monde, y compris nous-mêmes dans ce numéro, est en train d’aligner
ces temps-ci des chiffres, plus fous – et flous – les uns que les autres.
Voyons voir quelles en sont les catégories les plus significatives :
• Il y a d’abord les Stallone, qui comptent en mégatonnes de capacité de désintégration
par B-52 interposés.
• Les pauvres paumés entre deux fleuves, ensuite, se penchent sur le nombre par
minute de cas d’invalidité totale permanente, selon la nomenclature des assureurs,
dans des endroits où aucune assurance n’est possible, ni sur le présent ni
pour l’avenir.
• Un troisième groupe, libanais, recalcule en termes de perte totale ou partielle
des finances subsidiaires déjà chancelantes. (Voir les possibles séquelles de la
guerre sur le Liban p. 14).
• Dans ce CDL enfin, comme si on avait besoin d’un tel film d’horreur, on se faufile
insidieusement pour agencer quelques chiffres sur notre économie nationale,
avec la hantise d’un ridicule mal placé. (Voir notre dossier de repères économiques
pp. 35-58). Mais comme le ridicule, du moins celui-là, ne tue pas, on
force impunément la dose pour en faire une douzaine de pages où nos espoirs et
futurs sont concentrés dans des tableaux et
des graphes, sur fond de couleur vert eau,
pour tenter d’agrémenter ce qui peut l’être
encore, dans notre quotidien jalonné
d’images satellitaires aseptisées.
On mélange toute cette salade à la vinaigrette
acidulée et l’on se croirait alors dans les arrières
cuisines d’un certain “Bagdad Café” surréaliste,
perdu dans un coin de l’Amérique profonde,
avec des succursales de par le monde.
Un monde qui se rend compte qu’une certaine américanisation, tantôt admirée,
tantôt honnie, a perdu les pédales et s’est brusquement réduite à sa composante
informatique, où le “verbe”, appelé “MSWord”, s’est scindé en deux fonctions
uniquement : “delete” pour ce qui doit l’être, quelles qu’en soient les séquelles,
et “read only” pour ce qui doit absolument subsister sur l’écran mondial, aussi
inutile ou nuisible soit-il.
Fabulations dites-vous ? Pas autant que la longue liste des “MIA”, l’illustre sigle
des “Missing In Action”, que les guerriers utilisent pour leurs pertes non auditées.
Mais qui pourraient s’étendre à une quantité d’autres actions qui se perdent dans
la foulée. Alphonse Allais croyait que s’il y avait une bonne administration militaire,
il ne devrait pas y avoir de “soldat inconnu”. Comble de l’humour noir, on pourrait
alors faire l’économie d’un mausolée.