Pour privatiser, on vient de créer une méthode infaillible : mettre 20 gros
poteaux (voir la liste p. 66) dans les chenilles des opérateurs barbares qui
ont osé débarquer chez nous. À vrai dire, c’était pas très élégant ; on aurait
pu très bien leur dire directement d’aller se faire griller un SMS ailleurs. Mais il
faut nous comprendre : certains sont durs à cuire, d’autres, germanophones ou
grecs, risquent de mal saisir le message. Il y a des gens comme ça. Il a fallu donc
faire passer les peaux de banane l’une après l’autre. Pour les plus irréductibles,
scotchés dans les bureaux du Conseil de la privatisation, on a sorti la veille la
condition imparable : il nous faut des patronymes débutant par D ou M. Le pauvre
Detecon allemand s’est cru privilégié. Bref, on connaît la suite – et la morale : on
n’a pas de pétrole, encore moins d’idées, mais on survit très bien avec des
Dalloul-Mikati. C’est notre avantage comparatif. Un modèle de développement
unique dans le monde, au-delà des désuets schémas onusiens – ou européens.
Sauf que Patrick Renauld n’en démord pas. L’ambassadeur européen est heureusement
peu diplomate un vendredi en fin d’après-midi, au moment de notre
rencontre (voir son entretien p. 18). Donc d’une authenticité à vous couper le
souffle. Il n’empêche qu’il est un brin mousseux, sous prétexte, dit-il, que
l’Europe est déjà à nos frontières (maritimes
par Chypre). Donc, on a tout intérêt à apporter
une dose d’européanisation dans notre
système. On a beau lui signaler qu’on est
moyen-orientalisé jusqu’à la dernière pièce
trébuchante ; il ne veut rien entendre.
Heureusement donc qu’on a eu l’occasion
de le démontrer en évinçant, dans le cellulaire,
Français, Allemands, Grecs, etc. Il y
avait les Irlandais qui manquaient à l’appel
des recalés, mais on s’est rattrapé avec la dernière adjudication sur l’entretien
des centrales électriques. Il n’y a pas de raison : on n’est pas du genre à avoir
deux poids, deux mesures.
Une idée pour sortir de ce carcan ? Oh ! Certains Libanais sont intarissables. L’un
d’eux, consultant international de son état, nous envoie une notion on ne peut plus
adaptée : «Éloge de l’anomalie», l’appelle-t-il. Comme son surnom le laisse suggérer,
il s’agit d’une méthode de management qui tire avantageusement profit
des anomalies d’un système. (Voir p. 76). Dommage qu’il soit installé à Boston. Il
aurait pu faire fortune ici.
On survit très bien avec
des Dalloul-Mikati.
C’est notre avantage
comparatif. Un modèle
de développement unique
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