«Les chiffres au Liban ? C’est un point de vue !» : cet adage, très en
vogue ces temps-ci, a gagné ministres et ministrables, députés et
députables, et jusqu’à l’épicier du coin qui peut très bien vous offrir
gratuitement avec une boîte de lessive son interprétation de la dette publique.
En concurrence directe avec le FMI.
Face à ces chantres de la relativité, nous avons du mal à faire le poids, avec
notre dossier sur les “chiffres de l’économie” (voir pp. 39-62). D’autant qu’on
l’a conçu neutre et pragmatique, ce qui ne fait que miner notre tentative et
bousiller nos chances d’arriver un jour à un poste de responsabilité…
Certains, prenant goût à cette tendance relativiste, vont jusqu’à affirmer que,
en fait, “tout est point de vue au Liban”. Au risque de commettre des lèsemajesté
à la pelle, ils vont halluciner dans le genre : Qui gouverne qui au
Liban ? Comment se prend quelle mesure dans quel ministère ? Ou encore,
qui bloque – ou débloque – quelle décision ? Bref, de ces devinettes que
même le conservateur du registre foncier de Zahlé ne peut dénouer. Et pourtant
c’est lui, Haroun Abou Abboud, qui a pu démêler ce que n’ont pu faire
30 ministres et 2 présidents réunis en Conseil, flanqués d’une armée de
juristes constitutionnels. Celui qui n’était
probablement qu’un agent consciencieux
et discret, grattant paisiblement ses
papiers à en-tête de la République, est
ainsi devenu, un certain mercredi 24 mars
à 10h30, un héros de l’histoire mouvementée
de l’économie nationale.
Tout un spectacle nous a été donc offert,
avant qu’on ne vaque de nouveau à nos
occupations – et nos chiffres. Dont par exemple ceux des entrées aux salles de
cinéma en 2003 (voir p. 62) ; soit le “Top 20 du box-office libanais”. Qu’un
esprit pernicieux pourrait très bien en faire des leitmotivs série B. Par exemple,
voici le numéro 1, avec 63 234 entrées, qui exalte les “Pirates of the
Caribbean”, certains poussant le malin plaisir à faire varier le nom de la mer.
Puis, autre exemple, “Bad Boys 2”, en 4e position, avec une insistance malsaine
sur le chiffre 2. Il y a même eu en 6e position cette année un “Terminator 3
– Rise of the Machines”. S’il y a consensus sur l’attribut Terminator, une polémique
s’est déclenchée sur l’identité des Machines. Et ainsi de suite ; jusqu’au
plus odieux qui clôt le débat avec le numéro 8 du box-office : “Catch
me if you can”. Hilarant.
… Des devinettes
que même le conservateur
du registre foncier
de Zahlé ne peut dénouer
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