L’idée d’une bataille rangée, chez nous, entre trois des plus éminents pays
industriels du monde va certainement faire sourire un lecteur choisi au
hasard. On se surprend à imaginer par exemple des barricades érigées
par les Italiens, retranchés jusqu’au 6 juin dans la rue Moutran, dans le castel
du sieur Aïshti, un de leurs porte-drapeaux, à l’occasion de leur festival annuel.
Et, juste en face, le maréchal Ferdinand Foch, qui a repris le contrôle de sa rue
pour y implanter en quelques jours (du 17 au 20 juin) des colons déguisés en
hommes d’affaires, et calfeutrés dans des chevaux de Troie sous l’aspect d’innocents
kiosques commerciaux.
Si l’on y ajoute les Germaniques, moins trépidants mais néanmoins aux aguets, on
aura rassemblé nos trois plus gros fournisseurs depuis des années, qui se livreraient
alors une bataille sans merci pour conquérir une avancée au niveau de la 2e décimale,
sur leurs parts de marché respectives. Ce qui, encore une fois, fera sourire le
même bonhomme cité ci-dessus. Car, soyons sérieux, pourquoi se démener autant
pour un si infinitésimal marché, qui, en plus – comble de la vantardise –, joue au trapéziste
sur la corde raide d’une superdette plus grosse que le ventre ?
Pour maintenir ce suspense insoutenable, les
réponses à cette interrogation ont été dissimulées
entre les pages 50 et 70. En guise d’entrée
au plat principal, on lancera quand même deux
brins d’argument choisis au hasard : d’abord,
«Beyrouth est une formidable vitrine», nous
lance l’un des intervenants, comprendre que
c’est là où l’on exhibe le meilleur, pour inciter
les gros bonnets de la région à rentrer dans le
vif des affaires. Autre argumentation : il n’y a
pas de petit business ces temps-ci, sous-entendu “difficiles”. À l’appui, on avance
même une idée toute simple : prenons une grande entreprise française, pourrait-elle
prétendre que ce n’est pas la peine d’être présente dans le XVe arrondissement de
Paris, sous prétexte que c’est un petit marché par rapport à la foire planétaire ?
Maintenant, il est vrai que l’arrondissement libanais ne tourne pas toujours rond, et
parfois mute carrément en une quadrature de cercle, lorsqu’on se met par exemple,
à l’occasion d’un contrat d’État, à tergiverser sur nos engagements ; et il semble que
cela arrive plus fréquemment qu’on le pense, malgré les répliques diplomatiques des
diplomates. Il paraît même que le gouvernement a reçu, de la part des centres internationaux
d’arbitrage des litiges, des offres pour des prix de gros. Un tel client fidèle,
disent-ils, est inestimable. Et nous qui croyions qu’on était sous-estimés…
Soyons sérieux,
pourquoi se démener
autant pour un si
infinitésimal marché ?
C
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