Mar Mikhaël, le nouveau quartier bobo
Le paysage commercial de Mar Mikhaël ne cesse d’évoluer, même si tous les changements ne sont pas encore visibles à l’œil nu. Environ une dizaine de garages et autant de petits artisans ont déjà mis la clé sous la porte ces trois dernières années. « La plupart des anciens commerces qui sont fermés sont en fait déjà loués ou réservés. Il est aujourd’hui très difficile de trouver un emplacement sur la rue principale », témoigne Hala Ghorayeb, qui a inauguré en octobre 2010 la galerie d’art Kromatik. Deux restaurants ont ouvert depuis 2009 (L’Osteria et Chez Sophie) et cinq autres devraient s’installer dans le quartier en 2011, en particulier dans la rue de Madrid, ou à côté du bar/salle de concert EM Chill. Au moins deux bars devraient également être lancés prochainement le long de l’artère principale, notamment Le Torino, l’un des emblèmes de la rue Gouraud, qui devrait se déplacer près du bar L’Entourage. De nombreux pubs de Gemmayzé cherchent depuis quelques mois à se délocaliser vers Mar Mikhaël, en raison de la saturation de la rue Gouraud, des problèmes avec les habitants et du renchérissement des loyers. La présence d’al Mandaloun, le restaurant-boîte de nuit qui a ouvert depuis plus d’un an, joue un rôle dans le développement de la vie de nuit dans la région.
Mais le pari ne semble pas gagné d’avance. « Contrairement à Gemmayzé, qui a perdu une grande partie de ses résidents et de ses commerces pendant la guerre civile, Mar Mikhaël a conservé ses habitants et ses employés. Ils font de la résistance pour rester dans le quartier », explique un connaisseur de la région. Les locataires de commerces exigent des pas-de-porte conséquents pour plier bagages. « Presque tous les jours, des clients me proposent des sommes importantes pour reprendre mon magasin. Des investisseurs qui souhaitaient ouvrir un restaurant m’ont récemment offert 200 000 dollars pour partir, mais je ne quitterai pas les lieux à moins de 300 000 dollars », affirme par exemple Élie Mourad, propriétaire des Établissements Élie Mourad depuis 1957. Avec l’explosion de la demande, les nouveaux loyers commerciaux auraient augmenté de 50 à 60 % au cours de l’année 2010, variant en moyenne dans une fourchette de 400 à 500 dollars le m² annuelle le long de la rue principale, et de 200 à 300 dollars le m²/an dans les rues secondaires, selon des informations recueillies auprès des locataires. « Les augmentations de loyers sont totalement injustifiées, dans la mesure où le quartier n’est pas encore devenu une zone marchande. Le risque est que Mar Mikhaël se transforme petit à petit en Monnot, avec des enseignes qui ouvrent et ferment en l’espace d’un an », avertit Karim Bekdache, qui a ouvert un showroom de meubles vintage et un bureau d’architecture rue de Madrid début 2010. Contrairement à Gemmayzé, devenu une usine à restaurants et à bars, les enseignes qui ouvrent à Mar Mikhaël ont davantage une dimension artistique et culturelle, en particulier dans la rue Pharaon. La boutique Liwan, qui revisite l’artisanat traditionnel, a été la première à s’y installer, en 2006, sous l’impulsion de la designer Lina Audi. Elle a ensuite été suivie par Papercup, une librairie spécialisée dans les livres d’art, d’architecture, de photos ou de mode. Depuis six mois, une dizaine de boutiques de création, de galeries ou de showroom ont fait leur apparition dans les rues environnantes. Les derniers à s’être installés à Mar Mikhaël sont les fondateurs de la CD-Thèque, qui ont lancé en décembre 2010 un nouveau concept à mi-chemin entre la galerie et l’édition, Plan Bey, à deux pas de l’ancienne gare ferroviaire. « Nous avons senti une énergie collective générée par les protagonistes du quartier, qui ne veulent pas d’un nouveau Gemmayzé. Cela convenait bien à notre projet », témoigne Tony Sfeir, copropriétaire de la CD-Thèque.