Mar Mikhaël, le nouveau quartier bobo
Découvert récemment par les promoteurs, le quartier de Mar Mikhaël devrait être amené à se développer dans les prochaines années, sans toutefois atteindre la frénésie immobilière de Gemmayzé. Des prix encore abordables, une localisation avantageuse, un quartier à la fois traditionnel et éclectique : autant d’ingrédients susceptibles d’attirer une clientèle de jeunes couples mariés ou de célibataires cherchant à sortir des sentiers battus. Mar Mikhaël, nouveau quartier bobo de la capitale ?
Les promoteurs rivalisent de métaphores pour qualifier Mar Mikhaël : « Nouveau Soho », « Southern de Boston », « Petit Berlin » ou même « Marais de Beyrouth ». Depuis deux ou trois ans, ce tout petit quartier, situé entre l’immeuble du siège de l’Électricité du Liban et l’ancienne gare ferroviaire, aiguise l’appétit des investisseurs. Mar Mikhaël se développe lentement, mais sûrement. Cinq projets résidentiels sont actuellement en cours de construction. Des chantiers qui avaient pris des mois de retard, en raison de complications pour l’obtention des permis ou à la découverte de vestiges archéologiques, ont pu finalement démarrer. Mais pourquoi venir construire à Mar Mikhaël ? Ce sont d’abord les tarifs relativement bon marché des terrains qui ont attiré les promoteurs dans la région. « J’ai trouvé une parcelle à 1 000 dollars le m² en 2006. Le quartier était situé tout près d’Achrafié, avec des prix trois à quatre fois moins élevés. Le choix s’est imposé de lui-même », explique Georges Estephan, premier promoteur à avoir lancé un projet dans le quartier en 2007, le Medawar 468. À l’époque, Mar Mikhaël est vierge de nouvelles constructions depuis les années 70. Le quartier, s’il ne possède pas le cachet de Gemmayzé – avec moins d’anciennes demeures –, a des atouts indéniables : il se situe dans son prolongement naturel tout en étant beaucoup plus calme, il dispose d’un bel alignement le long de la rue principale, d’une faible densité urbaine, d’une proximité du centre-ville et de nombreuses voies d’accès, à la fois pour les piétons et les automobiles. Un projet de voie rapide entre La Sagesse et l’immeuble EDL pourrait même améliorer l’accessibilité de la zone dans les années à venir. Mar Mikhaël s’est aussi offert une seconde jeunesse, depuis qu’une partie des façades de la rue principale ont été rénovées par l’association Help Lebanon en 2008.
Du populaire au “bobo”
« Ces derniers mois, le quartier est en pleine transition. Il devient éclectique, voire branché, alors qu’il était à l’origine plus artisanal et industriel. Ce n’est pas un hasard si ce sont des architectes de caractère qui sont derrière la plupart des projets ici », estime Rania Sarieddine Akhras, présidente de la société Mawarid Real Estate, qui a lancé au mois de janvier la construction de la tour de 25 étages Skyline, conçue par l’architecte Bernard Khoury, près de l’usine de glaces et de gâteaux Oslo. Avec ses artisans arméniens, ses garages, ses quincailleries, ses ateliers mécaniques, transmis de génération en génération depuis des décennies, Mar Mikhaël a conservé un aspect “authentique”, véritable argument marketing aux yeux des promoteurs. Les nouvelles galeries d’art ou boutiques de création qui se sont implantées dans le quartier n’ont d’ailleurs pas rompu avec leur environnement, utilisant souvent textiles anciens, vieux meubles ou matériaux usagés dans leurs nouvelles productions. « Le quartier va devenir une zone de prédilection pour les bobos, les bourgeois bohèmes, qui aiment se regrouper dans un village », soutient Jean-Marc Bonfils, l’architecte du projet East Village, l’un des premiers projets de Mar Mikhaël, situé à quelques mètres du siège de l’EDL. Indice qui ne trompe pas, al Mandaloun ou Tawlet Souk el-Tayeb, le restaurant “local” de Kamal Mouzawak, se sont installés peu après l’ancienne gare de trains. « Les nouveaux projets résidentiels s’adressent à une clientèle jeune, avec des budgets à partir de 400 000 dollars. Ce sont des couples nouvellement mariés, des cadres célibataires ou des Libanais expatriés à la recherche de pied-à-terre à Beyrouth », explique Walid Moussa, PDG de l’agence immobilière PBM. Les prix affichés des logements neufs varient en moyenne de 3 000 à 3 200 dollars pour les premiers étages. Ils atteignent même 5 500 dollars dans les étages les plus élevés. Les tarifs de Mar Mikhaël sont globalement restés stables pendant l’année 2010, comme dans le reste de Beyrouth. Ils sont 30 à 50 % moins chers que dans les beaux quartiers d’Achrafié. « À Gemmayzé, les prix du mètre carré sont environ 30 % plus élevés, soutient Georges Asly, copropriétaire de l’immeuble Gouraud 1921, un projet qui vient de démarrer il y a deux mois près du siège de l’EDL. Dans cinq ans, je pense que le quartier deviendra aussi prisé que celui de Saint-Nicolas », précise le promoteur.
Boom immobilier ?
Signe de l’engouement pour la région, six à sept nouveaux projets devraient se lancer en 2011. Mais le boom immobilier pourrait déjà être en train de passer. « Les parcelles à vendre ne sont pas très nombreuses, leur configuration étroite et les prix des terrains augmentent chaque jour de manière irrationnelle », soutient l’architecte Jean-Marc Bonfils. Les prix du foncier ont en effet doublé, voire triplé en deux ans. « L’incidence foncière est déjà très importante, entre 1 000 et 1 500 dollars le m² », note le promoteur Georges Asly. Il resterait une dizaine de parcelles vierges dans le quartier, entre 6 000 et 7 000 dollars le m² sur la rue d’Arménie – l’artère centrale – et entre 3 000 et 5 000 dollars le m² dans les rues secondaires. Les prix varient selon les coefficients d’exploitation, le quartier de Mar Mikhaël étant découpé en quatre zones distinctes. Certaines parcelles vierges ne semblent pas à vendre, notamment plusieurs milliers de mètres carrés qui appartiennent au Vatican (près du Skyline et de MTC). « Les nouvelles ventes de terrains vont être bloquées pendant un moment, car les investisseurs proposent de grosses sommes exorbitantes, ce qui pousse les propriétaires à attendre de réaliser de meilleures affaires encore, car ils ont compris qu’ils étaient assis sur des millions de dollars », explique l’un des plus gros propriétaires de terrains de la région.
La destruction programmée des vieilles bâtisses
Faute de terrains vides, les promoteurs se tournent vers la destruction d’anciennes demeures. « Les propriétaires qui louent depuis des années leurs appartements à des sommes dérisoires en raison de l’ancienne loi sur les loyers préfèrent souvent vendre à des promoteurs qui ont les moyens de faire sortir les locataires », explique Philippe Tabet, directeur général de Har Properties, qui développe le projet Aya, une tour de 19 étages, pour le compte de la société Mar Mikhaël SAL, dont Fahd Hariri est l’un des principaux actionnaires. Mais expulser les locataires peut parfois prendre des années. « Il faut soit négocier à l’amiable, soit intenter des procès aux locataires pour qu’ils partent. Cela peut coûter très cher, environ 1 000 dollars par mètre carré habité pour faire sortir un locataire », explique le promoteur Georges Estephan, PDG de Estate 468 SAL. « Les investisseurs doivent aussi vérifier au préalable qu’il est possible de détruire les vieilles demeures. Depuis un an, de nouvelles directives imposent que le ministère de la Culture, en plus de la municipalité de Beyrouth, donne son aval avant toute démolition », explique Walid Moussa. Le projet Aya a ainsi dû être arrêté, bien qu’ayant obtenu une autorisation de construire de la Direction générale de l’urbanisme (DGU). Le cinéma Vendôme, datant des années 50, a pourtant été détruit il y a six mois par les promoteurs, mais la construction de la tour Aya suppose également la démolition de quatre autres immeubles, bâtis dans les années 20 par un marchand de tapis arménien. « Le ministère de la Culture veut que nous conservions l’ancienne façade de l’un des quatre immeubles. Nous sommes en pourparlers depuis deux mois pour pouvoir arriver à tout détruire », précise Philippe Tabet. Plus de 35 % des unités ont déjà été vendues et le projet devrait tout de même pouvoir être livré en 2014. En définitive, la croissance immobilière de Mar Mikhaël pourrait s’avérer assez lente. « La physionomie du quartier va peut-être mettre 10 à 15 ans à changer, avec quelques tours situées à des emplacements stratégiques », affirme Pierre Moise, promoteur du 1099 Medawar, qui prévoit de construire quatre nouveaux étages sur une structure existante des années 50.