Meubles : un secteur florissant
Le secteur des meubles au Liban est en bonne santé. On ne compte plus le nombre de galeries qui ont ouvert ces dernières années, ni le nombre de nouvelles marques qui font leur entrée sur le marché. Si la production locale reste la norme, l’importation prend de plus en plus d’ampleur, dans un secteur marqué par une concurrence acharnée sans réelle régulation.
Un peu moins de 400 millions de dollars : c’est le chiffre d’affaires net à prix coûtant de l’industrie du meuble au Liban (cuisines comprises) en 2009 selon le CSIL (Center for Industrial Studies), une société de conseil italienne à l’origine de rapports annuels sur l’industrie. Soit, à prix de vente, environ 800 millions de dollars. Ce qui présente près de 200 dollars par personne et par an pour les 4 millions d’habitants du Liban. C’est relativement peu. Pourtant, depuis les années 2000, le secteur est en croissance continue, bien qu’irrégulière. « Notre activité est étroitement liée à la situation politique et sécuritaire du pays, rappelle Nicolas Abdelnour, directeur général de Citi-Furniture. Nous ne vendons pas des produits de première nécessité. » C’est ainsi que 2008 et dans une moindre mesure 2009 ont été des années de récupération après la période trouble qui a suivi l’assassinat de Rafic Hariri en février 2005, avec des taux de croissance respectifs de 12 % et 6 % (selon le CSIL). L’explosion du nombre de galeries le long des autoroutes de Dora et de Beyrouth-Saïda atteste d’ailleurs de la vitalité du secteur.
Les boutiques de meubles sont concentrées sur Beyrouth et sa banlieue, qui rassemble près de la moitié de la population libanaise. « C’est là où se trouve le pouvoir d’achat », résume Abdelnour. Certaines galeries, artisans et boutiques sont présents à Saïda, Tripoli, voire à Tyr, mais pour vraiment avoir le choix, les Libanais vivant en dehors de la capitale doivent faire le déplacement.
Une production locale très variée
Selon le CSIL, près de 70 % des meubles achetés au Liban en 2009 ont été produits localement, par une multitude de petits artisans ou d’entreprises en grande majorité familiales. Le CSIL avance le chiffre d’environ 3 600 compagnies qui opèrent dans l’industrie du meuble (cuisines comprises) et du bois ; environ deux tiers des entreprises emploient moins de cinq personnes ; et seules 5 % font travailler plus de dix personnes.
Cette prédominance de la production locale et familiale s’explique par le poids de l’histoire : le secteur des meubles au Liban a longtemps été l’œuvre d’artisans et de petites entreprises libanaises, protégés de la concurrence internationale par une fermeture totale du marché aux importations internationales. « Je me souviens que les douanes nous ont un jour coupé en deux une chaise que nous avions importée pour pouvoir la reproduire pour l’hôtel Hilton », raconte Noël Ayoub, président de Sleep Comfort. À cela s’ajoute le goût des Libanais pour le sur -mesure et la tradition toujours tenace d’assortir les tissus des sofas aux rideaux, aux couvre-lits, etc. « Les Libanais n’aiment pas le standard », note Denise Khalifé, de la galerie Crown House.
Dans la production locale, on trouve de tout : un rapide détour par Ouzaï ou Basta permet de se meubler à bas prix ; et les extravagances des riches clients sont exécutées par des artisans talentueux : galerie Vanlian, pour sa marque haut de gamme Envy, fabrique des meubles incorporant des pierres semi-précieuses. Entre les deux, du moyen de gamme est disponible sur mesure ou dans des magasins type Sleep Comfort ou Citi-Furniture, qui figurent parmi les rares grands acteurs industriels du secteur.
Ces derniers se heurtent à la difficulté croissante de produire à grande échelle : « Nous faisons face à la concurrence des Chinois, explique Noël Ayoub, moins chers, mais dont les produits sont de moins bonne qualité. » Les coûts de la main-d’œuvre ont également renchéri, ne serait-ce que parce qu’il devient difficile de trouver des artisans qualifiés. « Mais il s’agit d’une tendance générale, nuance Rima Sauma, de la galerie Vivre. L’artisanat est sur le déclin dans le monde. » Nicolas Abdelnour mentionne également le coût prohibitif de l’électricité : « Entre les générateurs que nous devons utiliser pour pallier à la défaillance d’EDL, et le mazout nécessaire à leur fonctionnement, nos factures explosent. » D’ailleurs, Citi-Furniture a de plus en plus souvent recours à une main-d’œuvre étrangère, moins chère, pour maintenir des prix attractifs.
L’importation de meubles se développe
Selon les chiffres officiels compilés par le CSIL, les meubles importés (y compris les cuisines) représentaient 6 % du marché en 2000 ; ce pourcentage est monté à plus de 30 % en 2009. La guerre de 1975-1990, en créant un certain chaos, a en effet entrouvert le marché libanais à l’importation de meubles, en provenance d’Europe notamment. Mais c’est la baisse des droits de douane, entamée il y a une dizaine d’années (voir page 78) qui a accéléré le mouvement, malgré des délais de livraison assez longs (trois mois en moyenne).
Longtemps leader dans le domaine, l’Italie s’est fait distancer par la Chine au cours de la décennie passée : cette dernière est à l’origine de 38 % des meubles importés en 2009. Les meubles en provenance des pays asiatiques ont de façon générale vu leur part de marché doubler entre 2000 et 2009, pour arriver à près de 50 %. En parallèle, la part de marché des meubles en provenance d’Europe a chuté de 68 % en 2000 à 40 % en 2009. « Le marché libanais suit le marché arabe, dans lequel la Chine est en train de s’imposer », note Naji Fatté, directeur de Natuzzi au Liban.
CSIL note que tous les fournisseurs étrangers au Liban ont enregistré des taux de croissance importants entre 2007 et 2009 ; ce qui indique que le marché libanais a grandi aussi bien sur le segment bas de gamme, sur lequel la Chine domine, que sur le segment haut de gamme, contrôlé par l’Italie. Pourtant le son de cloche est légèrement différent chez les galeries interrogées. Si celles qui vendent des produits haut de gamme affirment avoir ressenti les effets bénéfiques du boom de l’immobilier qu’a connu le pays ces dernières années, celles positionnées sur le bas, voire le moyen de gamme, sont plus circonspectes. Un galeriste avance comme explication à ce phénomène le fait que la plupart des immeubles construits ou en construction sont destinés à une clientèle aisée, l’offre d’appartements à prix abordable étant plus restreinte. Les années à venir devraient continuer sur cette lancée, car beaucoup d’appartements de luxe n’ont pas encore été livrés : « Rien que dans le Grand-Beyrouth, on recense plus de 500 immeubles en construction », remarque Naji Fatté.
Une guerre commerciale sans merci
Face à la croissance de la demande et à l’explosion de celle de l’offre, les galeries se livrent une concurrence sans merci. C’est surtout vrai sur le haut de gamme, où les marques jouent un rôle important, leur nombre étant limité. Minotta, Kartell, Roche Bobois, Poliform, B&B… autant de grands noms du design qui assurent à leurs représentants une notoriété et des ventes faciles. Or, le marché libanais est ainsi fait aussi que les sociétés importatrices sont en quasi-majorité agents exclusifs de marques qu’elles ne vendent que dans leur propre show-room. Cette exclusivité leur offre un confort et une sécurité non négligeables, en leur permettant de maintenir un niveau de stock minimal ; le client à la recherche d'un certain produit n’aura d'autre alternative que d'attendre trois mois (et parfois plus) pour le recevoir.
Résultat : tous les coups sont souvent permis entre galeries pour s’approprier l’exclusivité d’une marque.
Mais cela pose un problème de taille, soulevé par Nadine Khairallah, qui tient la galerie Idé : « Si un agent n’est pas sûr d’avoir une marque pendant suffisamment de temps pour rentabiliser son investissement, pourquoi investirait-il dans sa promotion ? » C’est peut-être l’une des raisons du niveau relativement faible des investissements publicitaires du secteur : 13 millions de dollars en 2010 selon Ipsos, soit 1 % du total des dépenses publicitaires au Liban.
Ce besoin d’investissement, dans un pays marqué par une insécurité politique perpétuelle, encourage certaines marques avec des visions à plus long terme à rester fidèles à leurs agents. « Ce secteur reste régi par les bonnes relations entre la marque, elle-même souvent familiale, et son agent au Liban », note Mimo Semaan, propriétaire de la galerie du même nom. Cela n’empêche pas certaines sociétés d’être leurrées par des promesses mirobolantes de certains acteurs du secteur, avant d’être déçues et de changer à nouveau d’agent.
Un problème de contrefaçon
Le Liban, à l’image du secteur mondial, fait face à un problème de contrefaçon assez récurrent, car il est très difficile de protéger des dessins et des modèles (voir page 80). La demande de contrefaçon provient souvent du client lui-même, qui réclame du vendeur de meubles une “copie locale”, donc moins chère, d’un salon d’une certaine marque connue ; parfois, c’est carrément la galerie qui prend les devants et propose une copie : un acheteur potentiel d’une grande marque française s’est ainsi vu proposer par le vendeur, au bout de cinq minutes de déambulation, une “imitation locale” des meubles qui l’intéressaient. Ce genre de pratiques, bien que symboles d’un manque de déontologie flagrant vis-à-vis de la maison mère, est semble-t-il courant dans le pays. Car si ce n’est pas l’agent qui fabrique la copie, et empoche donc un bénéfice, rien n’empêche le client de payer un artisan local pour satisfaire sa demande à partir d’une photo.
Mais c’est à ses risques et périls, car la qualité n’est jamais la même. Outre le fait que le Liban ne possède pas certaines techniques, « les investissements en recherche et développement pour des sofas par exemple sont énormes, avec de nombreux brevets déposés sur divers processus », souligne Fouad Sassine de Aïshti Home Collection. Et « le problème de ce genre de pratique, souligne Khairallah, c’est que cela se sait très vite sur le marché, et que l’agent perd alors la confiance des clients et des architectes ; voire perd carrément la marque ». Dans les cas les plus extrêmes, il est arrivé qu’un produit soit contrefait et vendu sous le nom de la marque de la maison mère.
Rima Sauma, de la galerie Vivre, nuance quant à elle le problème de la contrefaçon locale : « La contrefaçon à grande échelle a lieu en Chine, pas au Liban. »
Quoi qu’il en soit, seule une galerie sur la quinzaine interrogée a intenté (et gagné) un procès pour contrefaçon au Liban : il s’agit d’Ardeco, pour la marque Hugues Chevalier, en 2005-2006.
Le Salon du meuble de Milan Plus grande foire internationale de meubles, à laquelle toutes les galeries libanaises de renom assistent, le Salon du meuble de Milan a été créé en 1961 par une association de producteurs italiens avec pour objectif de promouvoir l’exportation de meubles italiens. Il permet aux professionnels de découvrir les nouveautés, passer les commandes et échanger sur les projets réalisés. Il est organisé en avril de chaque année par la société Cosmit. En 2010, il avait réuni plus de 1 300 exposants (dont un millier d’Italiens) sur une surface de 142 586 mètres carrés et avait accueilli près de 300 000 visiteurs, dont plus de la moitié d’étrangers. Les autres foires importantes sont celles de Cologne (un an sur deux), de Belgique et de Paris (Maison et objets). |
La gestion problématique de l’euro Pratiquement toutes les galeries qui importent des meubles d’Europe vendent leurs produits en euros, bien que la loi libanaise les oblige à afficher leurs prix en monnaie locale. « Les disparités de taux de change sont trop compliquées à gérer, explique un galeriste. Une année, nous avons enregistré 237 000 dollars de pertes de change. » Aucune galerie ne se couvre contre les risques de change, elles le gèrent toutes de façon artisanale. Dans les cas idéaux, les clients, le plus souvent aisés et voyageant régulièrement en Europe, paient directement en euros. Dans les autres cas, la majorité des galeries applique le taux de change du jour au prix affiché en euros. « Lorsqu’un client passe commande, nous prenons 50 % au moment de la commande, convertis au taux du jour, et 50 % à la livraison, toujours au taux du jour », explique Rima Sauma, de la galerie Vivre. Elle poursuit : « Nous remplaçons un produit vendu par un produit acheté au taux du jour, au final ça se compense. » Ceci dit, sur les accessoires, qui se vendent sur stock et non sur commande, le taux de conversion affiché est celui du jour d’achat de l’accessoire par la galerie et non le taux du jour de vente au client. C’est cette dernière méthode qu’a choisie Aïshti, qui affiche ses prix en livres libanaises et en dollars. La galerie Melki agit de même, sauf en cas de commande, dans ce cas c’est le prix en euros qui prévaut. Pour Naji Fatté, de Natuzzi, « les variations de taux de change ne sont pas alarmantes, elles restent entre 1,20 et 1,5 dollar pour un euro. C’est lorsqu’elles sortent de ces limites que cela devient problématique ». ID Design représente une exception notable à cette gestion “à la louche”. La maison mère a en effet une stratégie de contrôle de ses prix au niveau mondial. C’est donc elle qui fixe le coefficient de change à appliquer pour chaque conteneur envoyé (toutes les deux à trois semaines), afin d’avoir des prix homogènes partout dans le monde. |