Un article du Dossier

Le code du travail enfin dépoussiéré

Le ministère du Travail s’est attelé à la modernisation du code du travail. Parmi les avancées, le projet reconnaît l’égalité entre hommes et femmes, étend le congé maternité et réglemente les maladies professionnelles. Toutefois, une rédaction confuse, due notamment à l’absence de réelles consultations des partenaires sociaux et des milieux juridiques, rend certains de ses articles difficilement applicables.
 

Il aura fallu dix ans de consultations pour que le projet de modernisation du code du travail libanais voie le jour. Le projet a connu plusieurs remaniements dont le dernier en date sous l’égide du ministre du Travail, Boutros Harb, qui l’a finalement soumis au secrétariat du Conseil des ministres en mars dernier.
De fait, le code actuellement en vigueur a besoin d’un très sérieux lifting. Rédigée en 1946 et presque jamais retouchée depuis, sa structure est obsolète, certains de ses articles sont en contradiction avec la jurisprudence sociale libanaise ou des lois plus récentes, en particulier les accords internationaux et régionaux dont le Liban est signataire.
Pour comprendre l’importance de la législation sociale, il faut se rappeler que le droit du travail apporte des contreparties à la “relation de subordination” qui caractérise toute relation de travail entre un employé et son employeur. Aucun salarié n’est en effet “libre” du contenu de ses tâches, ni de ses heures de travail. Elles lui sont imposées. En échange de cette “soumission”, le code du travail contraint l’employeur à rémunérer l’acte productif, ainsi que ce qui y contribue comme le repos, les congés payés, le transport, les accidents du travail, la maladie, ou la vieillesse… « Au-delà de sa dimension strictement économique en tant que facteur de production et source de revenu, le travail implique des conditions qui garantissent les droits des travailleurs, ainsi que leur dignité et leur sécurité au sein de l’entreprise », rappelle l’avocate Mireille Najm-Checrallah.
Depuis la révolution industrielle du XIXe siècle, le droit du travail s’est ainsi développé en parallèle de la société “salariale”, dans laquelle se reconnaissent aujourd’hui une majorité d’actifs dans le monde. La législation sociale a réduit l’arbitraire de la condition salariale, longtemps assimilée à une forme de servage, et rééquilibré les rapports de force en faveur des salariés. La législation sociale s’est adaptée aux mutations sociologiques, politiques et économiques souvent sous la pression de la rue et des syndicats. Mais le droit a évolué de manière “plus réfléchie”, à travers la jurisprudence des tribunaux, qui adoucissent la rigueur des textes anciens et adaptent le droit aux réalités présentes.
Au Liban, la période mandataire a été marquée par de grands mouvements sociaux. Ces grèves et manifestations ont d'ailleurs forcé le gouvernement de l'époque à doter le Liban du code du travail. Dans les années 1960 également, d'autres mouvements sociaux ont secoué le Liban, mais le pays n’a jamais connu de “grand soir” à l’image de ce que représentent les grandes grèves de 1936 en France et l’instauration des premiers congés payés. Il faut lire dans l’absence de conquêtes sociales au Liban (si on excepte les avancées “venues d’en haut” sous la présidence de Fouad Chéhab et la création de la Sécurité sociale) le reflet de l’histoire économique du pays (voir entretien avec Toufic Gaspard, page 102), dont la structure économique demeure à un stade “précapitalistique”. Aujourd’hui, l’emploi salarial ne représente qu’une minorité des emplois au Liban : moins de 35 % de la population active se trouve aujourd’hui protégée par le code du travail.
Pourtant, le nouveau projet se propose de moderniser l’état des législations sociales, dans une tentative d’harmonisation et de clarification, en y intégrant certaines solutions développées par la jurisprudence et en l’adaptant aux conventions et normes régionales et internationales. Ses rédacteurs ont pris soin d’inscrire au cœur de la nouvelle législation l’égalité entre hommes et femmes. Le projet reconnaît le principe de non-discrimination (race, couleur, confession…) dans le travail et entend promouvoir une meilleure reconnaissance des droits des femmes en leur octroyant notamment un congé maternité de dix semaines contre sept actuellement (même si les trois semaines supplémentaires ne sont payées qu’aux deux tiers du salaire). Mais cette actualisation reste encore timide : ce nouveau congé maternité reste en deçà des normes de l’Organisation internationale du travail (OIT), qui prévoit quatorze semaines minimum, payées au moins aux deux tiers du salaire par la Sécurité sociale. De même, il instaure un congé paternité de trois jours payés. Pour la première fois, il inclut les maladies professionnelles qu’il définit dans une liste. Concernant les jeunes, il encadre mieux le travail des mineurs, leur interdisant certains travaux pénibles, et définit la durée des stages.
Mais cette réforme du code du travail ne modifie pas en profondeur les relations sociales entre patrons et employés. Elle continue d’exclure certaines catégories d’employés, parmi les plus faibles, que le droit du travail devrait normalement protéger. Comme dans la version de 1946, les employées de maison, qui résident au domicile de leur employeur, ne figurent pas parmi les salariés que le code du travail protège. De même que les saisonniers ou les intérimaires d’établissements agricoles. Et n’intègre pas non plus les 280 à 400 000 handicapés, qu’une loi distincte votée en 2000 tente de mieux intégrer dans la société libanaise.
L’autre grand reproche que l’on peut faire à ce projet concerne le maintien du pouvoir d’ingérence de l’État dans la vie syndicale. L’autorisation du ministre du Travail pour constituer un syndicat est encore requise. Le ministère n’est pas non plus revenu sur l’interdiction faite aux fonctionnaires de se syndiquer (voir encadré page 101). Ce qui contrevient aux recommandations de l’Organisation mondiale du travail (OIT), qui requiert de ne soumettre la création d’un syndicat à aucune autorisation préalable.
Ce texte, aujourd’hui en attente au secrétariat du Conseil des ministres, n’est toutefois pas applicable en l’état. Il faut encore attendre un vote parlementaire, puis sa promulgation définitive par le président de la République. Sans compter que si un nouveau gouvernement est formé, le futur ministre du Travail pourrait vouloir à son tour en retoucher le contenu, reléguant à plus tard sa promulgation.
 

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