Employées de maison : un nouveau projet de loi
On les appelle les « invisibles » tant la société veut ignorer leurs paroles. Pourtant, elles sont de plus en plus nombreuses à vouloir témoigner de leur quotidien. Une réalité souvent terrible, que pourtant adoucissent quelques cas de réussite sociale. Parole d'employées de maison.
Laura réclame justice
Juin 2009 : Laura* quitte les Philippines, son mari et son jeune fils. Destination Beyrouth et 200 dollars mensuels comme employée de maison d’une famille libanaise pour presque deux ans de servitude. « Mon objectif était d’assurer de l’argent à ma famille, mes parents me réclamant une aide financière », dit-elle. Première mauvaise surprise, l’agence libanaise et son intermédiaire philippin lui ponctionnent les quatre premiers mois de salaire au titre de “frais de recrutement”. Soit 600 dollars. Seconde mauvaise surprise, malgré l’existence du “contrat standard unifié” censé être rédigé dans une langue accessible à la migrante, celui qu’on lui présente est en arabe.
Laura travaille 12 heures par jour sans aucun jour de congé. Enfermée au domicile, elle n’a pas non plus accès à son salaire. Son employeur le vire directement à sa famille aux Philippines, car il estime qu’elle « n’a besoin de rien ». Mais le pire n’est pas là. Sa “maîtresse” l’insulte ; son “patron” la frappe pour un verre brisé. Assez vite, l’homme va jusqu’à abuser de Laura sexuellement. « Si je refusais, il me frappait. » Après une violente altercation, au cours de laquelle l’homme tente de l’étrangler, elle fuit le domicile de ses patrons et trouve refuge à l’ambassade des Philippines. Hébergée par Caritas, Laura est aujourd’hui en procès contre ses anciens employeurs qui l’accusent – comme souvent dans ce genre d’affaires – de les avoir volés. La plainte a été déposée à la Sûreté générale par des avocats de l’ONG. Ils estiment qu’aucune décision ne sera prise avant au moins deux mois durant lesquels Laura est obligée de rester au refuge. Des conditions difficiles, mais avec un espoir au bout du chemin : une représentante de Caritas précise avoir récemment obtenu la condamnation d’un employeur par la justice libanaise dans une autre affaire. La peine a été de deux mois de prison, 7 000 dollars d’amende à la victime et l’interdiction pendant cinq ans d’employer des domestiques – une première. En attendant les résultats de l’enquête, Laura espère rentrer chez elle… Loin très loin du Liban.
* Le prénom a été changé à sa demande.
Une Philippine qui emploie des Libanaises
Un salon de beauté qui marche à merveille, deux enfants et du bonheur avec son époux libanais. Voilà ce que Jessy a accompli en s’installant au Liban après son mariage au Koweït. Pourtant lorsqu’elle quitte les Philippines en 1991, ce succès n’était pas assuré. D’une famille modeste – son père est mineur et sa mère vend du poisson –, elle décide, après avoir suivi une formation de secrétaire, de partir au Moyen-Orient pour travailler dans la vente à hauteur de 300 dollars par mois. Elle y rencontre son mari, un Libanais, qui va l’encourager à s’installer dans son pays natal en 1999. Avec son expérience et sa nouvelle citoyenneté, elle trouve de l’emploi dans des salons de beauté pour 600 dollars par mois. Cependant, Jessy n’est toujours pas satisfaite. Elle a l’objectif de devenir sa propre patronne. Elle épargne suffisamment en vivant modestement dans une pièce qu’elle loue à 100 dollars avec sa famille. Lorsqu’elle atteint les 13 000 dollars nécessaires pour louer un espace commercial et installer du matériel, elle n’hésite pas une seconde, en 2006, à investir dans son rêve. Ses anciennes clientes la suivent et en quelques mois son projet devient profitable. Aujourd’hui son salon est connu de presque tout Hamra : des prix imbattables, un service sans rendez-vous, un lieu où les femmes du quartier et particulièrement les étudiantes de l’AUB tout proche viennent autant pour se faire les ongles que pour papoter entre amies. Jessy réalise en moyenne 7 000 dollars de chiffre d’affaires dont 2 500 dollars de profits. Elle emploie une à trois Libanaises qu’elle paye 600 dollars chacune. Grâce à ses revenus, elle a acheté un terrain agricole aux Philippines dont les recettes vont à ses parents en plus des 250 dollars mensuels qu’elle leur envoyait déjà. Sa situation lui permet de rentrer dans son pays d’origine une fois par an, mais elle n’exprime aucune envie d’y retourner définitivement : « Le Liban est désormais mon pays, j’y ai construit ma famille et je compte y rester. »
Le pari incertain d’une migrante enceinte
« Enceinte. » Pour beaucoup de femmes, l’annonce de la grossesse s’accompagne de bonheur. Mais pour Marie, une employée de maison, installée au Liban depuis 2005, le pari est incertain. Le code du travail et donc le droit à un congé maternité ne s’applique pas aux employées de maison. Pendant plusieurs mois, Marie a caché sa grossesse à son employeuse, une avocate libanaise, par peur d’un renvoi. Mais le jour où son ventre a parlé de lui-même, Marie et son employeuse, qui a accepté de la garder jusqu’à son accouchement, ont convenu de se séparer à l’amiable. « J’ai une bonne relation avec Madame : je peux me déplacer librement, et elle me fait confiance. » Lorsque sa grossesse est découverte, Marie décide de se marier avec le père de son enfant, un jeune Égyptien, qui gagne sa vie en collant des affiches dans les rues de Beyrouth. « Je voulais avoir un enfant car j’ai déjà 36 ans. »
Son projet familial est cependant lié à sa situation professionnelle. Car elle a dû en urgence se chercher un autre patron. Sans contrat de travail son séjour aurait été illégal et Marie devenait ”expulsable“ à tout instant. Les lois relatives au travail des étrangers exigent que l’employeur se porte garant de son employé étranger tout le temps de son séjour sur le territoire libanais. Son mari lui a donc trouvé une ”connaissance“ qui accepte de l’embaucher après son accouchement.
Toute la famille de son actuel employeur se montre cependant inquiète bien qu’il n’ait pas été question pour elle d’accepter qu’une jeune mère soit à son service : « Les travailleurs migrants sont soumis à des conditions de vie difficiles et incertaines. Avec un enfant, cela risque d’être encore plus difficile. »
Chez l’avocate, Marie bénéficiait d’un salaire de 300 dollars par mois, d’un jour de congé par semaine et estimait être « un membre de la famille » avec « des conditions de travail honorables ». Aujourd’hui, elle et son mari vivent dans une loge de concierge, mais elle ignore tout de ses futures conditions d’emploi qu’elle n’a pas négociées directement. « J’espère simplement avoir le temps de pouvoir m’occuper de mon enfant », affirme Marie.