Un article du Dossier

Employées de maison : un nouveau projet de loi

Illustration Joëlle Achkar

Le ministre Boutros Harb a élaboré un nouveau projet de loi « relatif à la réglementation du travail décent des employés de maison ». Il a vocation à s’appliquer à tous les employés domestiques qui résident au domicile de leur employeur, sans distinction entre employés (homme ou femme ; libanais et étrangers). Ce projet vise d’abord à combler les lacunes législatives actuelles : cette catégorie d’employés est en effet exclue du champ d’application du code du travail et régie par le code des obligations et des contrats, et la loi de 1984 relative au travail des étrangers.
L’exposé des motifs met ensuite l’accent sur le rôle de l’assistante sociale qui aura des pouvoirs élargis d’investigation à domicile.
Ce projet comporte trois volets principaux : d’une part, la réglementation du travail des employés de maison, et plus particulièrement des employés de nationalité étrangère ; d’autre part, la réglementation des bureaux de recrutement de la main-d’œuvre étrangère et, enfin, les sanctions.
Toutefois, les 183 États membres de l’Organisation internationale du travail (OIT) viennent d’adopter, le 16 juin dernier, la convention 189 sur les travailleurs domestiques qualifiée d’“historique”, et qui représente “quelques pas supplémentaires” vers ce que le directeur général de la BIT, Juan Somavia, a appelé « une nouvelle ère de justice sociale ». Si le Liban ratifie cette convention, cette catégorie de travailleurs devra bénéficier de traitements similaires à ceux des autres salariés soumis au code du travail. Dans ce dernier cas, le projet sur le travail décent des employés de maison proposé par Boutros Harb devra être profondément remis en question.

Une définition de la fonction, mais pas de définition des tâches

La nouvelle loi définit aussi bien l’employeur que l’employé domestique. L’employeur est une personne physique employant un travailleur à domicile pour des tâches ménagères (sans définition de la nature de ces tâches) et sous sa supervision en vertu d’un contrat oral ou écrit. Dans le cas où l’employeur est une personne morale comme une société ou une association, l’employé est soumis au code du travail.
L’employé domestique est un homme ou une femme, libanais ou étranger, âgé de plus de 18 ans, travaillant en contrepartie d’un salaire sans aucune distinction liée à la race, la couleur, la religion, le sexe, l’opinion politique, la nationalité ou l’origine sociale.
Le travail doit s’exercer au domicile de l’employeur sans aucun gain financier pour ce dernier.

Bureaux de placement : peu d’avancées

La constitution du bureau de placement est soumise à l’obtention d’un permis auprès du ministère (sous peine de lourdes amendes). Le fondateur de ce bureau doit être libanais, jouissant de tous ses droits civils et ne faisant pas l’objet d’une condamnation pénale (crime, délit portant atteinte aux bonnes mœurs). Les bureaux de placement n’ont pas le droit de faire la publicité de leurs services et de leurs prix, ce qui aujourd’hui est courant. Il leur est interdit d’encaisser une quelconque rémunération, directe ou indirecte, des employés de maison, sous peine d’annulation de leur licence. En principe donc, les agences de placement ne pourront plus retenir plusieurs mois de salaires à l’employée de maison, en guise de “dédommagement” des frais liés à sa venue au Liban.
L’inspection du travail, auprès du ministère, est chargée de superviser l’activité des bureaux de placement et d’établir un rapport détaillé semi-annuel pour chaque bureau de placement ou chaque fois que nécessaire. Nous déplorons la cacophonie qui existe en matière de réglementation des bureaux de placements qui sont déjà soumis à plusieurs décrets en vigueur. Une unification de la réglemention aurait été souhaitable. Une réglementation supplémentaire des bureaux de placement des migrantes était envisagée, mais n’a finalement pas été intégrée au projet présenté. Le bureau de placement aurait été tenu de “garantir” (kafil) l’employé(e) de maison pendant les trois premiers mois de sa prise de service. Il aurait été également dans l’obligation de rembourser ou de remplacer l’employé par un autre dans trois cas : inaptitude d’ordre général à travailler, inaptitude physique à travailler (par exemple en cas de grossesse ou de handicap physique), ou refus de travailler.

Des dispositions protectrices communes à l’ensemble des employés de maison

Le texte impose le respect des droits et de l’intimité de l’employé et l’obligation de lui assurer un logement décent à domicile.
L’employé peut recevoir des appels téléphoniques en dehors de ses heures de travail. Il peut envoyer et recevoir des lettres à ses propres frais, à condition de respecter le repos et l’intimité de l’employeur.
Le projet de loi interdit à une personne ayant fait l’objet d’une condamnation pénale (vol, escroquerie, attentat à la pudeur et aux mœurs, crimes…) ainsi qu’aux personnes ayant commis des délits contre des domestiques d’engager des employés de maison.
Il prohibe le travail à durée indéterminée ou sans détermination du lieu de travail ainsi que le travail à vie et le travail forcé sous peine de nullité du contrat. Concernant la durée du contrat, nous notons une contradiction entre les dispositions de l’article 3 du projet qui prohibe les contrats non déterminés dans le temps et celles de l’article 18 qui stipulent que le contrat peut être aussi bien à durée déterminée ou indéterminée.
Le projet réglemente la durée légale du travail et des congés :
- L’horaire de travail est fixé à 60 heures par semaine et dix heures par jour (sans condition de continuité).
- Le repos minimum est de neuf heures nocturnes continues chaque 24 heures.
- Le congé hebdomadaire est fixé à 24 heures continues. Le jour de repos doit être déterminé par l’employeur en accord avec l’employé en tenant compte des obligations religieuses de l’employé. Dans le cas où il est nécessaire pour l’employé de travailler le jour de congé, il a droit à un repos compensatoire. L’employé est libre de passer sa journée de repos en dehors du domicile sous sa propre responsabilité.
- Le congé annuel payé est de six jours continus dont la date serait déterminée en accord entre les deux parties, avec possibilité de cumul des congés annuels sur deux ans avec l’accord de l’employeur.
- Les congés-maladie et les accidents du travail sont soumis aux dispositions du code du travail et du décret-loi n° 136/1983 régissant les accidents du travail.

Un registre obligatoire

Le projet de loi impose à l’employeur de tenir un registre à son domicile dans une langue comprise aussi bien par l’employeur que l’employé. Ce registre doit inclure les analyses médicales, les congés-maladies, les modalités de paiement du salaire et les bulletins de salaire (dénommés quittances). Le registre doit être présenté à l’assistante sociale lors de sa visite à domicile. Le ministère du Travail détermine un exemplaire pour le registre dont il numérotera et scellera chaque page.

L’assistante sociale

Le projet met en place une section relative aux assistantes sociales auprès du ministère du Travail. Le rôle d’intermédiaire de l’assistante sociale est primordial afin d’assurer un suivi des conditions de vie et de travail des domestiques. Ces derniers sont souvent des immigrés ne connaissant pas la langue du pays, et qui en raison de leur statut et leur faible niveau d’éducation se retrouvent souvent démunis et sans aucun recours face aux abus. L’assistante a pour fonction de constater les infractions aux dispositions de la loi et ses procès-verbaux ont une force probante jusqu’à preuve du contraire. Des pouvoirs d’investigation étendus lui sont octroyés. À titre d’exemple, elle peut se rendre de façon périodique au domicile de l’employeur pour contrôler la bonne application de la loi (mais le projet ne précise pas si elle doit prévenir l’employeur à l’avance). Elle peut également poser des questions à l’employeur ou à l’employé, en privé ou devant témoins, demander à vérifier les registres tenus par l’employeur et les documents y relatifs, et en prendre des copies. Elle peut procéder à des recherches, des analyses, ou des investigations. Enfin, le projet octroie au ministre du Travail le pouvoir de décider d’élargir les fonctions de l’assistante sociale par décret. Au-delà de ses pouvoirs d’investigation, son rôle devrait également comprendre l’initiation des travailleurs domestiques à leurs droits et aux recours dont ils disposent en cas d’abus. La recommandation 201 de l’OIT prévoit également que les États membres doivent mettre en place des mécanismes destinés à protéger les travailleurs domestiques des abus, du harcèlement et de la violence, notamment :
a) en créant des mécanismes de plainte accessibles pour que les travailleurs domestiques signalent les cas d’abus, de harcèlement et de violence ;
b) en assurant que toutes les plaintes pour abus, harcèlement et violence soient instruites et, s’il y a lieu, donnent lieu à des poursuites ;
c) en élaborant des programmes de relogement et de réadaptation des travailleurs domestiques victimes d’abus, de harcèlement et de violence, notamment en leur fournissant un hébergement temporaire et des soins médicaux. Selon ces recommandations, une cellule de plainte devrait être créée auprès du ministère du Travail dont le numéro doit être communiqué au travailleur lors de son entrée en fonctions. Le ministère aurait ainsi le pouvoir de déposer une plainte contre l’employeur auprès des autorités judiciaires compétentes s’il constate une infraction de la part de ce dernier. Nous suggérons également qu’une structure d’aide juridique des travailleurs domestiques soit établie auprès de l’ordre des avocats afin d’assurer leur défense gratuite.
Enfin, l’élargissement du rôle de l’assistante sociale devrait s’accompagner d’une modification du décret n° 8352/1961 relatif à l’organisation du ministère du Travail qui prévoit un nombre insuffisant d’assistantes sociales pour que le rôle que lui octroie ce nouveau projet puisse être mené à bien et de manière efficiente.

Assurance obligatoire

Le projet de loi impose une assurance obligatoire couvrant les accidents de travail, l’hospitalisation et le rapatriement du corps en cas de décès. Les termes et les modalités d’ordre financier seront déterminés par le ministre du Travail.

Un meilleur encadrement du salaire

Le salaire est librement convenu entre les deux parties sous condition du respect du “juste salaire” en fonction de la nature des services fournis, et à condition de ne pas être inférieur au salaire minimum déterminé par le ministère du Travail concernant les domestiques étrangers que le projet ne précise pas . Cette notion juridique de “juste salaire” est un concept développé à l’origine par saint Thomas d’Aquin. Elle exige une égalité entre la valeur du travail fourni et celle du salaire. Cette valeur dépend seulement du travail et non des personnes. En théorie, cette notion de “juste salaire” est censée mettre fin à la grille salariale par nationalité qui est aujourd’hui la règle. Le ministère du Travail et l’ambassadeur des Philippines sont toutefois en négociation pour fixer un salaire minimum pour l’emploi de domestiques philippines. L’ambassade exige de le porter à 400 dollars quand le ministère semble ne vouloir accorder que 200 dollars.
Le salaire doit être payé à la fin de chaque mois, en espèces et contre un bulletin de salaire (ou quittance), par transfert bancaire ou postal, ou dans un compte bancaire au nom de l’employé. L’employeur est tenu de livrer à l’employé une copie du bulletin de salaire, du récépissé de transfert, ou du carnet d’épargne, ou autre preuve de paiement. Le salaire a la nature de créance privilégiée, prenant rang avant toute autre créance ; ce principe s’applique même en cas de faillite ou de décès de l’employeur.

Des dispositions spécifiques pour les employés de maison étrangers

Des exigences supplémentaires concernant la main-d’œuvre étrangère sont prévues : d’abord, la forme du contrat. Celui-ci doit être obligatoirement rédigé par-devant notaire en deux langues, en arabe et dans la langue officielle de l’employé. Ensuite, le projet prévoit la mention du nom et de l’adresse de l’employeur, de préciser la spécificité du travail (garde d’enfants, ménage…), de stipuler le salaire et les modalités de paiement ainsi que l’horaire du travail (heures de repos comprises). Le document doit aussi préciser la durée du contrat, l’obligation d’assurer le logement et les repas, la détermination de la période d’essai (trois mois maximum). L’employeur doit s’engager par écrit à obtenir les permis de travail et de séjour à ses propres frais dans un délai de trois mois suivant l’arrivée de l’employé étranger au Liban (sous peine d’amendes et d’une pénalité de retard de 5 000 livres libanaises par jour à payer au ministère du Travail). Il est dans l’obligation d’assurer le retour de l’employé dans son pays d’origine à ses propres frais. Enfin, ces obligations sont transmises à l’héritier en cas de décès de l’employeur, ou au nouvel employeur en cas de désistement.

Une plus grande liberté de résiliation pour les deux parties

Le projet de loi rappelle que l’employeur aussi bien que l’employé ont la liberté de résilier le contrat à tout moment, même lorsque le contrat les liant est à durée déterminée (CDD). En cas de résiliation précoce de la part de l’employeur : un dédommagement, allant de deux à six mois de salaire selon l’ancienneté, est prévu pour l’employé. A contrario, en cas de résiliation abusive de l’employé, l’employeur est en droit de réclamer entre un et quatre mois de salaire à titre de compensation.
Pour permettre à ce système de se mettre en place, le projet de loi définit la notion de licenciement abusif. Il fixe le préavis (écrit et motivé) à un mois pour les deux parties, qu’il faut notifier au ministère du Travail. Il précise également les causes valables de résiliation sans préavis du contrat.
Pour l’employé, ces causes valables sont :
- Le non-paiement de deux salaires consécutifs.
- L’atteinte à la personne de l’employé, physique ou morale.
- Le harcèlement sexuel ou l’agression sexuelle.
- En cas de travail en une autre qualité ou dans un lieu autre que celui mentionné dans le contrat, ou chez un tiers.
Pour l’employeur, ces causes valables de licenciement sans préavis sont les suivantes :
- Une absence non justifiée de l’employé, à condition d’en notifier le ministère dans les 48 heures à partir de la date à laquelle son absence est établie.
- Une faute grave ou une négligence volontaire qui porterait atteinte à l’employeur ou l’un des membres de sa famille.
- En cas d’agression contre l’employeur ou l’un des membres de sa famille.
- En cas de condamnation à des peines pénales.
- En cas de refus d’accomplir les tâches ménagères.
L’employé licencié a droit à toutes les indemnités de fin de service, soit un demi-mois de salaire par année de service pour les cinq premières années ; et à 65 % du salaire mensuel à partir de la sixième année.

Favoriser la résolution des conflits entre employés et employeur grâce à une médiation

Le projet de loi envisage d’abord une résolution amiable des conflits grâce à la médiation des services du ministère du Travail. Un délai de 15 jours maximum est cependant exigé pour présenter une demande et 15 jours sont laissés au ministère pour statuer. Si cette médiation échoue, le litige est alors porté devant le conseil arbitral du travail (sans précision quant au délai). Toutefois, le projet de loi octroie aux deux parties un délai de deux ans pour exiger des indemnités en cas de litige.

Des sanctions pour la première fois

La future loi prévoit une amende, dont le montant varie entre le salaire minimal et le triple de ce salaire, pour une personne qui :
- Contrevient aux dispositions de la loi et la contravention sera déférée aux tribunaux compétents.
- Emploie un employé de maison sans permis de travail.
- Emploie un employé de maison embauché par un tiers ou qui le fait travailler en une autre qualité que celle indiquée dans le permis de travail.
- Embauche un employé de maison en son nom sans le faire travailler à son domicile.
- Embauche un employé de maison et le fait travailler au jour ou au mois dans divers endroits, ou pour le compte d’une entreprise ou société.

Quand les “filles” portent plainte

L’affaire a fait grand bruit : l’ambassadeur du Liban aux États-Unis, Antoine Chedid, comparaissait en avril 2011 devant la justice américaine à la suite d’une plainte de son ancienne employée de maison philippine. Aracli Montuya affirme avoir été insultée et maltraitée par la famille du diplomate qu’elle accuse de ne pas lui avoir versé le salaire minimum convenu. Antoine Chedid, qui réfute ses accusations, est normalement protégé d’éventuelles poursuites judiciaires par son statut de diplomate. Un juge américain statue en ce moment sur la requête en “irrecevabilité” de l’avocat d’Antoine Chedid. Au Liban, certaines employées de maison portent plainte avec le soutien des associations. Une affaire a été jugée en 2009 : Jonaline Malibagu, d’origine philippine, avait entamé une action devant la justice pour mauvais traitements et violences physiques. La Cour pénale de Batroun lui a donné raison, condamnant – fait sans précédent – sa patronne à 15 jours d’emprisonnement et un dédommagement de 7 200 dollars à payer à la plaignante. Toutefois, la cour d’appel a infirmé ce jugement en décembre 2009, transformant la peine de prison en une amende d’un million de livres libanaises (667 dollars). Une seconde affaire a été jugée en première instance devant la Cour pénale de Byblos en juin 2010. Le tribunal s’est appuyé sur l’article 554 du code pénal pour condamner l’employeur à un mois d’emprisonnement et une amende de 10 millions de livres libanaises (6 667 dollars). Plus important, la Cour a décidé, sur la base de l’article 94 du code pénal, que l’employeur condamné ne pourrait pas recruter d’employées de maison pendant une période de cinq ans. Le jugement a été transmis à la Sûreté générale ainsi qu’au ministère du Travail. Pour l’heure toutefois, si l’amende et le dédommagement ont bien été payés, la peine d’emprisonnement n’a pas été exécutée.

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