Un article du Dossier

Huile d'olive libanaise

L’huile d’olive libanaise pourrait être le fer de lance d’une production agricole libanaise de qualité. Mais son potentiel est gâché par des handicaps qui expliquent les faibles rendements et une piètre qualité.

Youssef Farès, oléiculteur à Baino, dans le Akkar, ne décolère pas. « On marque n’importe quoi sur les étiquettes des bouteilles d’huile d’olive au Liban : “Huile d’olive libanaise”, quand celle-ci est en fait syrienne, mais embouteillée au Liban ; “extravierge” quand elle est raffinée ; “huile khadir” (huile verte) une appellation qui ne répond à aucune définition mais est censée labéliser la meilleure qualité… Il est impossible de savoir, ni de faire confiance. » Il faut dire que la filière n’est encadrée par aucune norme spécifique : l’Institut des normes libanaises (Libnor) a bien tenté courant 2010 de mettre en place des mentions obligatoires comme “Huile d’olive extravierge” ou “Huile d’olive mélangée” (pour définir les produits à base d’huile raffinée mélangée à de l’huile extravierge), mais les différents acteurs (producteurs, distributeurs…) se sont écharpés lors des rencontres préparatoires et l’initiative est restée lettre morte. La seule mention imposée pour l’heure est la mention “Huile d’olive”, et ce quelle que soit sa qualité (extravierge, raffinée, de grignon… voir encadré). On comprend alors que Youssef Farès, qui produit sous la marque Zejd une huile d’olive extravierge, certifiée bio (voir page 49), fustige l’absence de réglementation et de contrôles appropriés. « Syriens, Jordaniens ou Égyptiens ont de l’huile à revendre, et elle se retrouve en masse dans de fausses huiles “libanaises”. Elles n’ont pas en général la finesse de l’huile d’olive libanaise. Mais comment se démarquer et gagner la confiance du consommateur sans une loi et des contrôles effectifs qui prouvent la provenance et la qualité ?
La situation n’est pas propre au Liban : un scandale récent en Italie, par exemple, a révélé que 80 % de l’huile d’olive présentée comme italienne était plus probablement tunisienne, jordanienne ou espagnole, les marges potentielles aiguisant l’appétit des gens peu scrupuleux…
C’est sans doute ce qui explique que l’achat direct d’huile d’olive auprès de producteurs dans les régions se maintient dans des proportions si fortes au Liban : ces ventes directes représentent toujours 30 % du total des ventes d’huile d’olive, selon différentes études menées par le ministère de l’Agriculture. « La notion de confiance joue un rôle-clé dans la définition de la qualité de l’huile », rappelle le sociologue Hossan Adly dans un rapport sur l’huile d’olive dans le caza de Koura (2006). Les consommateurs libanais préférant s’approvisionner dans des réseaux de confiance, la plupart “familiaux”, ou a minima liés à leur village ou leur région.
Le problème n’est cependant pas seulement lié à l’absence de normes. Si les distributeurs se tournent aussi vers des huiles étrangères c’est aussi parce que la production locale n’est tout simplement pas suffisante et que sa qualité ne répond pas toujours aux standards internationaux. L’oléiculture libanaise, qui représente moins de 1 % de l’oléiculture mondiale, ne couvre même pas les besoins du marché local : à la fin des années 2000, la consommation était estimée à 7 000 tonnes annuelles quand la production atteignait à peine les 5 000 à 6 000 tonnes par an en moyenne. Bien plus, près de 50 % de l’huile produite s’avère être de “l’huile lampante”, c’est-à-dire une huile défectueuse, impropre à la consommation à moins d’être raffinée (voir encadré). « Les producteurs libanais ignorent encore la qualité de ce qu’ils produisent. La semaine passée, j’ai rendu visite à une femme qui produisait de l’huile “extravierge” sans le savoir et la vendait au prix de l’huile d’olive de base… D’autres assurent qu’ils commercialisent “la meilleure huile du monde”, alors que celle-ci présente des défauts d’odeur, ou de goût qui devraient la rendre impropre à la consommation », relate Hussein Hotteit, ingénieur agronome, qui collabore notamment au projet Olio del Libano. Aujourd’hui, l’huile d’olive extravierge, qui est souvent la plus recherchée des consommateurs, ne représente pas 10 % de l’ensemble de la production. Par comparaison, l’Espagne produit 40 % d’huile extravierge et seulement 9 % d’huile lampante. « L’huile d’olive extravierge peut pourtant se vendre 20 à 30 % plus cher que la qualité inférieure. »
Les industriels importent donc de Syrie, d’Égypte, de Jordanie ou de Tunisie des huiles d’olives, et notablement de l’extravierge, qui s’avèrent, de surcroît, moins onéreuses que la libanaise. Une “tanaké” (20 litres) coûte entre 80 et 150 dollars selon les régions (les régions de Koura et de Hasbaya étant les plus chères) tandis que l’équivalent syrien vaut 70-80 dollars. « Nous produisons notamment les marques d’huile d’olive “extravierge” pour de grands groupes de distribution, comme Carrefour, qui ensuite les vendent sous leur nom dans l’ensemble de la région MENA. Nous nous approvisionnons au Liban, en Tunisie et en Syrie, car nous ne trouvons pas assez d’huile au Liban à prix compétitif », explique Maria Mouawad, de Maalouf Industrie, un groupe installé dans le Nord depuis 2005, qui fabrique quelque 120 000 bouteilles d’huile d’olive extravierge par mois.

Un vrai potentiel
Ce constat est d’autant plus affligeant que la filière libanaise possède de sérieux atouts pour défendre sa place : un climat propice à l’olivier, des espèces endémiques, une tradition culinaire où l’huile d’olive est le symbole de son raffinement et une diaspora avide de produits “Made in Lebanon” qui pourrait favoriser son export…
« Le Liban a deux énormes avantages : le bassin oriental de la Méditerranée se trouve être bien plus favorable à la culture de l’olivier que sa rive occidentale. Le Liban possède également des espèces endémiques réputées pour leurs qualités organoleptiques », explique Randa Aractingi, qui s’est lancée dans la plantation d’une oliveraie, encore en gestation, dans la région de Hasbaya.
Comme le vin, l’huile d’olive se veut un “produit de terroir” qui peut jouir d’une “image de marque” portée par l’histoire ancienne. Ce sont, en effet, les Phéniciens, il y a 3 000 ans, qui ont commercialisé les premiers l’huile d’olive de cette région. « Les principales variétés présentes de nos jours au Liban pourraient être les descendants directs des premiers oliviers jamais cultivés », expliquait le spécialiste américain Paul Vossen, lors d’un passage au Liban en 2010, poursuivant : « L’huile d’olive libanaise, réputée pour sa qualité et sa richesse en bouche, possède tous les ingrédients pour devenir un succès à l’étranger. »
Certes, le Liban ne peut pas concurrencer les pays qui ont choisi de produire en masse comme la Syrie (5 % de la production mondiale). Mais il pourrait peut être faire entendre sa différence en se spécialisant dans le haut de gamme. « Pour vendre plus cher, pour qu’un consommateur accepte de payer, il faut que le label lui garantisse de l’exceptionnel. Et notamment de l’huile d’olive extravierge, fabriquée par première pression à froid », avance Enrico Azzone, directeur du projet Olio del Libano, qui travaille en collaboration avec le ministère de l’Agriculture. « D’autant que le lien avec le village d’origine se distend et que les consommateurs n’ont plus tous une “relation de confiance” auprès de qui s’approvisionner. Sans compter sur le fait que même “de confiance”, cette relation ne garantit pas la qualité intrinsèque du produit », ajoute-t-il.

Pratiques de cultures obsolètes
Pour cette montée en gamme, encore faut-il que la filière, qui n’est pas structurée, se décide à régler ses très nombreux handicaps : un verger vieillissant (plus de 36 % des oliviers ont plus de 50 ans, l’âge à partir duquel leur production décline) ; la taille réduite des parcelles allouées à l’olivier (en moyenne 0,3-0,5 hectare) qui empêche des économies d’échelle ; l’absence de regroupement d’oléiculteurs ; des pratiques agricoles désuètes voire contre-productives (comme l’usage de conteneurs en plastique pour conserver l’huile qui la rend impropre à la vente ou le “gaulage” des olives sur l’arbre qui casse les jeunes branches et compromet la récolte de l’année suivante) ; le manque de pressoirs modernes... Cumulés, ces handicaps expliquent que l’huile d’olive libanaise soit près 20 % plus cher que ses consœurs étrangères.
« En dix ans, beaucoup de progrès ont été accomplis sur le terrain grâce notamment à l’apport de la coopération internationale qui a aidé à la formation des agriculteurs, qui leur a apporté des moyens de production moderne avec en particulier l’achat de pressoirs… Preuve de l’amélioration de la filière, on a vu récemment apparaître de “petites” marques comme Sidonia, une huile d’olive de Saïda, ou Zejd, dans le Nord. Mais il reste encore beaucoup de chemin à parcourir notamment pour aider à sa commercialisation », fait valoir Hussein Hotteit.
Pour améliorer réellement la production libanaise, Enrico Azzone voit une orientation possible. D’abord, la création d’un label qui garantisse la provenance et la qualité et, plus essentiel encore, le maintien de cette qualité d’une année sur l’autre. « In fine, c’est le consommateur qui fait le marché. S’il reconnaît à l’huile extravierge les qualités que des huiles raffinées n’ont pas, le marché devra s’adapter. Quand ils achètent une “tanaké” à 150 dollars auprès d’un “homme de confiance”, ils sont persuadés d’acquérir la meilleure qualité d’huile possible même si ce n’est hélas pas le cas. S’ils deviennent plus exigeants, s’ils apprennent à reconnaître une véritable huile d’olive extravierge, les producteurs seront obligés de s’adapter. »
C’est pour professionnaliser la filière que le ministère de l’Agriculture a rendu obligatoire une labellisation minimale des “tanakés”, vendus directement, en obligeant les producteurs à indiquer à l’acheteur la provenance, la date de péremption. Plus important, le ministère de l’Agriculture s’apprête à tenter de structurer les acteurs, en favorisant d’une part leur regroupement au sein de coopératives (54 à ce jour) et en œuvrant à la fondation d’unions de coopératives régionales, qui seront chargées de collecter la production en un seul et même lieu, de la stocker dans des conteneurs appropriés (en acier) pour être correctement conservés et d’aider à la commercialisation. En tout, quatre à cinq de ces unions de coopératives devraient voir le jour. Le ministère entend également subventionner une partie de la production pour permettre de vendre l’huile d’olive au prix du marché réel.

Huile d’olive : pas facile de s’y retrouver

Il n’y a plus une huile d’olive, mais des huiles d’olive. La première, la plus reconnue pour ses qualités, est l’huile d’olive vierge obtenue par première pression à froid (c’est-à-dire non raffinée). Elle peut être vierge, son taux d’acidité ne devant pas dépasser 2 % ou extravierge, son taux d’acidité n’excédant pas alors 0,8 % selon les normes européennes. Il existe également de l’huile d’olive obtenue par raffinage industriel, puis assemblée avec de l’huile vierge ou extravierge. On l’appelle huile d’olive pure. Cette huile peut être issue d’huile d’olive lampante, impropre à la consommation, que l’on raffine. Elle est largement moins chère que l’huile d’olive extravierge. Elle peut être également issue d’huile de grignon, un résidu de la pâte d’olive (déchets de peau, fragments de noyaux, morceaux de pulpe…) dont on peut encore extraire 10 à 15 % d’huile. Raffinée, cette huile de grignon est à nouveau assemblée à des huiles vierges ou extravierges.

 

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