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Bateaux de plaisance : les marinas sont bondées

Avec ses 225 kilomètres de côtes, il était logique que le marché des bateaux de plaisance au Liban éclose. Mais des problèmes de places de mouillage, l'attractivité limitée du littoral et des complications légales et administratives freinent son développement.
 

Le Liban a le plus grand pourcentage de ventes de bateaux par habitant du Moyen-Orient, selon des statistiques compilées par l’IFP, l’organisme en charge de l’organisation du Boat Show. Ses quelque 2 000 places de mouillage, quasiment toutes occupées, représentent 4 % des 50 600 places recensées au Moyen-Orient par l’IFP début 2012.
Adeptes des plaisirs de la mer, les Libanais se sont très tôt tournés vers les activités nautiques que leur 225 km de côtes sur la mer Méditerranée leur offrent : plage, plongée, ski nautique, balades en bateau… Les photos d’avant-guerre montrant des jeunes gens huppés se baladant en canot à moteur au large du Saint-Georges sont légion. Plaisir de luxe par excellence, posséder un bateau de plaisance au Liban, qu’il soit à moteur ou à voile, est réservé à quelques happy few passionnés par la mer, désireux de s’évader au large pour échapper aux contraintes de la vie quotidienne… ou souhaitant afficher un certain statut social. Car contrairement à d'autres pays maritimes où le nautisme est généralement lié à une passion pour la mer, au pays du Cèdre, une certaine culture de la frime est souvent associée à la possession d’un bateau. 

Un marché qui a lentement progressé

Sur les trente dernières années, le marché des bateaux de plaisance a connu une croissance en dents de scie au Liban. « C’est un produit de luxe, pas de première nécessité, explique Alecco Chiha, directeur général de Team 9. La demande est donc fortement affectée par la situation politique et économique. »
Les années 1990, avec la fin de la guerre civile et la présence d’un plan d’eau lisse (idéal pour le ski nautique) résultant de la construction de la marina de Dbayé, signent le renouveau des activités nautiques des Libanais et renouent leur engouement pour les bateaux de plaisance. 
« Globalement, le Liban a suivi la tendance mondiale, en croissance, les très nombreux ports de plaisance en France sont pleins », explique Michel Merheb, en charge de la marina de Solidere.
Au début des années 2000, l’ouverture des marinas de Dbayé, de Solidere et du Mövenpick, en fournissant près de 700 places supplémentaires, a permis sans conteste au marché de s’agrandir en douceur. Elles ne se sont vraiment remplies que ces dernières années : la crise financière mondiale de 2008 et le rapatriement des capitaux étrangers au Liban ont accéléré le rythme des ventes. « La guerre de 2006 a changé les mentalités des Libanais, estime Firas Khalifé, de Blue Point Yachting. Avant ils reportaient leur décision d’achat par peur de la situation ; depuis ils veulent vivre et en profiter. »

Des acteurs peu nombreux, mais en augmentation

Les marques internationales de bateaux ne s’y sont pas trompées : les grands noms tels Ferreti, Princess, Sunseeker et Azimut sont présents sur le marché depuis un certain temps déjà, consolidant leur position de leader. Et sur la trentaine de marques représentées, une bonne dizaine a fait son introduction à partir de 2010 : Fairline, Numarine, Alen Yachts, Sunseeker, Emocean, Rinker, Crowline… 
Elles sont vendues par une petite dizaine de concessionnaires exclusifs, dont près de la moitié a ouvert boutique après 2008, surfant sur la demande croissante. « Les petites agences fonctionnent principalement grâce à des travaux de maintenance ; les plus grandes tirent leurs profits majoritairement des ventes », analyse Firas Khalifé. Ces concessionnaires ont importé pour 24,4 millions de dollars de bateaux (neufs et de seconde main) en 2011 selon les statistiques du site des douanes libanaises. Un chiffre en ligne avec les importations de ces cinq dernières années, bien qu’en baisse de 16,8 % par rapport à 2010, qui a été une année record.

Un marché de seconde main prospère

Le système de concession soutient un marché de seconde main important : pour obtenir une représentation exclusive, l'agent doit en effet garantir un certain chiffre d’affaires ou un nombre de bateaux vendus (ou un mix des deux) par an. En fonction des marques, ces objectifs varient du simple au décuple. Le marché libanais, qui compose l’essentiel des acheteurs (entre 80 et 95 % selon les marques), étant assez réduit, la dynamique de marché passe bien souvent par la reprise.
Par ailleurs, la crise financière mondiale de 2008 a permis d’assurer un stock mondial de bateaux de deuxième main.
« Cette année, avec la crise grecque, on peut trouver d’excellents bateaux d’occasion pour des prix très attractifs », se réjouit Roger Abi Akl, de Sailing Plus. Michel Merheb nuance cependant : « Le marché de seconde main concerne surtout les bateaux de petite taille ou de taille moyenne (en dessous de 30 mètres). Au-delà, les propriétaires aiment bien et ont les moyens de personnaliser des bateaux neufs. » Firas Khalifé estime, quant à lui, que « les bateaux américains et grecs ont inondé le pays, portant un coup au marché local de seconde main ». 
Quoi qu’il en soit, la saturation des marinas, ressentie depuis deux-trois ans, freine le développement actuel du marché.
« Maintenant, un acheteur potentiel n’accepte de conclure la vente que lorsque nous lui assurons une place de mouillage », s’inquiète Roger Daou, fondateur de Yacht Vision.
« Nous réduisons notre présence au Boat Show de mai, car nous prévoyons moins de ventes en raison du manque de places », confirme Alain Maaraoui, à la tête de Sea Pros.
Des marinas sont actuellement en cours de construction : Solidere en prévoit une nouvelle en face du BIEL pour 2014, le Summerland en construit une autre (voir page 72)… Cela fait dire à Moustapha Chéhab, directeur marketing de Chehab Marine, que le manque de places est temporaire.

Une attractivité limitée pour les Libanais… et les touristes !

L’un des inconvénients majeurs de la côte libanaise est qu’elle offre peu de balades intéressantes pour les bateaux, surtout comparée aux côtés turques et grecques voisines, où l'on peut naviguer d’île en île et de port en port. Il y a bien l’île aux Lapins, au large de Tripoli, mais son attractivité est limitée : pas de plage de sable blanc, beaucoup de promeneurs du dimanche… « La mer libanaise a mauvaise réputation auprès des plaisanciers, confirme un propriétaire de voilier. Elle est jugée sale et polluée. » 
Le cabotage, qui pourrait attirer plus de touristes et permettre aux Libanais de faire de longues promenades, est fortement limité par diverses lois héritées des périodes de trouble et de la volonté de contrôle d’armes dans les eaux territoriales libanaises : les bateaux doivent obtenir une autorisation s'ils souhaitent passer la nuit dans une marina dépendant d'un autre port que celui auquel leur bateau est rattaché ; ils doivent demander une autorisation spéciale s’ils veulent naviguer au-delà de six miles nautiques (versus 12 dans d’autres pays) ; la résolution 1507 les oblige à passer par un barrage de la Finul situé au large de Beyrouth s’ils veulent rentrer ou sortir des eaux territoriales libanaises.
Mais la côte libanaise a également ses défenseurs. Alain Maaraoui lui relève au moins deux avantages : elle est située à moins d’une journée de voyage de la Turquie, de Chypre et de la Grèce ; et les sorties en bateau sont possibles huit mois dans l’année, alors que dans d'autres pays, elles sont souvent limitées à trois ou quatre mois. Fady Jreissati, vice-président de IFP, note quant à lui son potentiel de développement auprès des clients arabes : « Les touristes arabes aiment déjà venir au Liban, où ils apprécient nos hôtels, restaurants, boîtes de nuit et bars ; il ne nous reste plus qu’à construire les marinas nécessaires pour accueillir leurs bateaux, souvent très gros. »
 

Un produit de luxe

Posséder un yacht est un signe distinctif de richesse. Si l’on peut trouver de petits bateaux à moins de
10 000 dollars, les prix grimpent très vite. Les bateaux les plus performants et luxueux se vendent à des dizaines de millions de dollars. À ce coût de départ, il faut ajouter les prix de mouillage, qui varient en fonction des marinas, l’assurance, les divers permis requis, les cours de pilotage si nécessaire, les salaires de l’équipage, l’entretien annuel, le mazout…
« L’entretien d’un bateau, contrairement à celui d’une voiture, est compliqué et cher, le service après-vente est donc essentiel », explique Firas Khalifé, de Blue Point Yachting.
« En moyenne, un bateau nécessite entre 10 000 et 100 000 dollars par an, en fonction de sa taille et de l'importance de son équipage », estime Roger Abi Akl, à la tête avec son frère de la société Sailing Plus. Le profil type de l'acheteur de bateau est donc souvent un homme d'affaires libanais de 30 à 45 ans.
Une culture de la voile encore limitée

L’écrasante majorité des quelque 2 000 bateaux hébergés au Liban sont des bateaux à moteur ; les voiliers et autres catamarans sont encore rares, bien qu’en augmentation, et destinés avant tout à des passionnés de voile. « Il s’agit d’une autre culture, d’une autre notion du temps », témoigne Walid Khoury, fils du propriétaire de la marina de Dbayé, qui compte une vingtaine de voiliers sur les 432 bateaux à quai.
« En voilier, on est à l’écoute du vent, des vagues, on prend son temps, la balade en soi est une destination », témoigne un propriétaire de catamaran qui souhaite rester anonyme. Des clubs de voile sont en train de voir le jour : le dernier en date a ouvert cette année et est situé à Zaitunay Bay, dans le centre-ville de Beyrouth. 
Les avis sont partagés quant à l’attrait de la mer libanaise pour la voile. Pour certains, l’intérêt d’avoir un voilier est limité. « Il faut plusieurs heures pour se rendre de Beyrouth à Jbeil par exemple, alors que le bateau doit rentrer à son port la nuit », explique le propriétaire d’un bateau à moteur.
Pour d’autres au contraire, la présence constante de vents, à dominante sud-ouest, assure des sorties régulières. De plus, « la mer est agitée en été, en juillet-août, rendant les sorties en bateau à moteur moins agréables », estime Joe Bassoul, en charge de la marina du Holiday Beach.
Pas de droits de douane… pour les grands bateaux !

Les bateaux importés, qui constituent l'écrasante majorité du marché, sont soumis à des droits de douane de 15 % si leur taille est inférieure à 15 mètres.
Les bateaux de plus de 15 mètres sont exemptés de droits de douane. Cette mesure pour le moins surprenante aurait été prise pour protéger l’industrie locale, qui fabrique essentiellement des petits bateaux (Lenco Marine, la seule usine locale, produit des bateaux jusqu’à 17 mètres). D’autres personnes l'attribuent à la volonté de l'ancien Premier ministre Rafic Hariri d’encourager les gros bateaux saoudiens à battre pavillon libanais.
La demande locale de bateaux est souvent orientée vers des bateaux de moins de 15 mètres : il n’est donc pas rare de voir des bateaux afficher des pavillons panaméens ou de Delaware, deux localisations où ils sont exemptés de droits de douane.

 

 

 

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