Un article du Dossier
Le Liban débordé par l'afflux de réfugiés syriens
Youssef, un travail au Liban en attendant des jours meilleurs
Fatigué des bombardements, cet habitant de Damas a choisi de venir travailler à Beyrouth, et espère retourner en Syrie à la fin du conflit.
Youssef* reconnaît avoir eu de la chance. Il n’envisageait pas de quitter Damas sans avoir de quoi vivre ailleurs. Partir de Syrie était pourtant devenu une nécessité. Cela faisait sept mois que ce trentenaire ne travaillait plus : « Plus de contrat, ou alors impossible de m’y rendre car il fallait traverser la ville et ses check-points. » Surtout : « On ne peut pas vivre constamment dans la peur. En Syrie, tu es pris dans la guerre que tu le veuilles ou non. »
Au cours d’une visite chez sa sœur, installée à Beyrouth avec son mari depuis le début du conflit, il dépose des candidatures et est finalement accepté dans une entreprise libanaise du secteur des médias (qu’il préfère ne pas nommer). Ce contrat à durée indéterminée lui donne la possibilité d’accéder à un logement de fonction, en colocation. Avec son salaire de 800 dollars il peut payer sa nourriture, ses frais de communication et de vie courante mais aussi « envoyer de l’argent à ma mère restée en Syrie ».
À Damas, Youssef vivait avec elle et un de ses frères qui a pu conserver son activité malgré le conflit. Grâce à son permis de travail et à son permis de résidence au Liban, il est en règle et ne craint pas de retourner en Syrie régulièrement pour voir sa famille. Un aller-retour par mois lui coûte 50 dollars, son principal budget après la nourriture.
Même si le niveau de vie est plus élevé au Liban, ces derniers mois tout a augmenté en Syrie, alors il ne se plaint pas. Cet emploi à Beyrouth représente aussi pour lui un moyen de préparer l’avenir : « Malgré la guerre, je dois penser à ma carrière ! » Aujourd’hui, il commence à trouver ses marques au Liban, à seulement une centaine de kilomètres de son ancienne vie.
C’est aussi pour cela qu’il a accepté ce travail ; ne pas trop s’éloigner de la Syrie. « J’aime mon pays, explique Youssef. Quand tout sera fini, je compte bien y retourner. »
Une vie de réfugié entre Tripoli et Beyrouth
Nabil est installé dans la grande ville du Nord avec sa femme et ses deux enfants. Pour vivre, il a trouvé un travail à Beyrouth et bénéficie de la solidarité des ONG et des Libanais.
Nabil est arrivé au Liban il y a trois mois. Cet habitant d’Alep a pris la décision de quitter la Syrie quand sa maison a été bombardée, juste après la mort de son frère, tué dans un bombardement alors qu’il se rendait à son travail. Ce père de deux enfants a fait ses valises et a pris la direction du poste frontière de Arida dans le nord du Liban. Depuis il vit à Tripoli, d’où est originaire sa femme : « C’était un atout pour nous au moment de passer la frontière. Les soldats nous ont laissés tranquille, car ma femme est libanaise. »
Pour autant les facilités s’arrêtent là, car la famille de Leila ne peut les aider. Ils trouvent donc un logement dans le quartier d’al-Mina. Une zone déshéritée de la grande ville du Nord, faite d’habitats provisoires et peuplée majoritairement de Libanais ayant perdu leur logement lors d’une crue du fleuve Abou Ali dans le milieu des années 50. Deux pièces pour vivre, un confort sommaire, un toit de tôle qui prend l’eau à chaque grosse averse, Nabil regrette sa maison à Alep. Pour pouvoir payer le loyer de 250 dollars, l’ancien informaticien a trouvé un travail dans le bâtiment à Beyrouth, sa femme s’occupe des enfants, dont le plus âgé est scolarisé gratuitement l’après-midi dans une école libanaise de Tripoli. Sur les 14 dollars qu’il gagne par jour, près de la moitié lui sert à payer le transport entre Tripoli et la capitale. Mais il n’a pas le choix : « Impossible pour nous de payer un logement à Beyrouth, et le seul travail que l’on me proposait était là-bas. J’essaye de trouver à Tripoli mais c’est compliqué. » Tripoli est l’une des principales villes d’accueil des réfugiés syriens et le taux de chômage y est parmi les plus élevés au Liban. Alors pour vivre il compte sur l’aide des ONG ou des Libanais. Une fondation américaine distribue des bons de nourriture dans le quartier, une autre, française, leur a donné du bois pour consolider le toit à l’approche de l’hiver, et puis il y a ces Tripolitains qui s’organisent par charité pour amener de la nourriture ou des couvertures aux familles de réfugiés. Si les conditions de vie sont dures, Nabil ne regrette pas son choix d’être venu au Liban « pour la sécurité de ma famille ». Même s’il avoue que dans ses rêves il ne pense qu’à une chose : retourner en Syrie quand tout sera fini.
Vivre grâce à la solidarité
Aicha et sa famille ont trouvé refuge il y a quatre mois près de Halba. Sans travail, ils comptent sur l’aide de proches et des Libanais.
Aicha* a quitté Homs il y a quatre mois. Avec ses deux sœurs, leur mari, et leurs sept enfants, elle a pris le chemin de l’exil direction le Liban, dont la frontière est à seulement 30 kilomètres.
Un temps installés à Wadi Khaled, ils ont poussé un peu plus loin dans les terres et sont arrivés tout près de Halba (le chef-lieu du caza du Akkar) : « Il y avait beaucoup trop de monde à Wadi Khaled, impossible de trouver un logement », explique Aicha. Depuis, ils logent dans une maison grâce à l’aide d’un de leur oncle installé à Tripoli qui les aide à payer leur loyer de 250 dollars par mois. Le mari de Aicha est informaticien. Il a bien essayé de trouver du travail à Beyrouth, mais sans succès. « Et puis j’avais peur pour lui, ajoute la jeune femme, il y a beaucoup de Syriens dans la capitale, mais je ne sais pas s’ils sont très acceptés. »
Alors ils restent là, à attendre des jours meilleurs, sans activité et sans ressources. « Heureusement, les Libanais chez qui nous vivons sont très accueillants, ils nous prêtent des couvertures, nous partageons des repas. » Aicha s’estime chanceuse : « On s’entend bien, les enfants jouent ensemble. » Sa seule crainte avec l’hiver et les températures qui ont passé la barre de 0 degré dans la région ; ne pas pouvoir payer le mazout pour chauffer la maison, les couches pour le bébé. Quelques organisations humanitaires locales, déjà présentes pour aider la population libanaise pauvre du Akkar, leur apportent de la nourriture et des produits de première nécessité, « mais on ne les voit pas souvent ». Le reste se fait à crédit, auprès de Libanais qu’il faudra bientôt rembourser. Son mari ne perd pas espoir de trouver un petit boulot, « pas trop loin de la maison ». La jeune femme ne se plaint pas : ses enfants sont à l’abri, les plus âgés vont à l’école, ouverte l’après-midi pour les enfants de réfugiés. Pour l’avenir une seule chose compte : retrouver sa ville et sa maison. « Dans quel état ? Je ne préfère pas l’imaginer...»
(*) Les prénoms ont été changés.
Fatigué des bombardements, cet habitant de Damas a choisi de venir travailler à Beyrouth, et espère retourner en Syrie à la fin du conflit.
Youssef* reconnaît avoir eu de la chance. Il n’envisageait pas de quitter Damas sans avoir de quoi vivre ailleurs. Partir de Syrie était pourtant devenu une nécessité. Cela faisait sept mois que ce trentenaire ne travaillait plus : « Plus de contrat, ou alors impossible de m’y rendre car il fallait traverser la ville et ses check-points. » Surtout : « On ne peut pas vivre constamment dans la peur. En Syrie, tu es pris dans la guerre que tu le veuilles ou non. »
Au cours d’une visite chez sa sœur, installée à Beyrouth avec son mari depuis le début du conflit, il dépose des candidatures et est finalement accepté dans une entreprise libanaise du secteur des médias (qu’il préfère ne pas nommer). Ce contrat à durée indéterminée lui donne la possibilité d’accéder à un logement de fonction, en colocation. Avec son salaire de 800 dollars il peut payer sa nourriture, ses frais de communication et de vie courante mais aussi « envoyer de l’argent à ma mère restée en Syrie ».
À Damas, Youssef vivait avec elle et un de ses frères qui a pu conserver son activité malgré le conflit. Grâce à son permis de travail et à son permis de résidence au Liban, il est en règle et ne craint pas de retourner en Syrie régulièrement pour voir sa famille. Un aller-retour par mois lui coûte 50 dollars, son principal budget après la nourriture.
Même si le niveau de vie est plus élevé au Liban, ces derniers mois tout a augmenté en Syrie, alors il ne se plaint pas. Cet emploi à Beyrouth représente aussi pour lui un moyen de préparer l’avenir : « Malgré la guerre, je dois penser à ma carrière ! » Aujourd’hui, il commence à trouver ses marques au Liban, à seulement une centaine de kilomètres de son ancienne vie.
C’est aussi pour cela qu’il a accepté ce travail ; ne pas trop s’éloigner de la Syrie. « J’aime mon pays, explique Youssef. Quand tout sera fini, je compte bien y retourner. »
Une vie de réfugié entre Tripoli et Beyrouth
Nabil est installé dans la grande ville du Nord avec sa femme et ses deux enfants. Pour vivre, il a trouvé un travail à Beyrouth et bénéficie de la solidarité des ONG et des Libanais.
Nabil est arrivé au Liban il y a trois mois. Cet habitant d’Alep a pris la décision de quitter la Syrie quand sa maison a été bombardée, juste après la mort de son frère, tué dans un bombardement alors qu’il se rendait à son travail. Ce père de deux enfants a fait ses valises et a pris la direction du poste frontière de Arida dans le nord du Liban. Depuis il vit à Tripoli, d’où est originaire sa femme : « C’était un atout pour nous au moment de passer la frontière. Les soldats nous ont laissés tranquille, car ma femme est libanaise. »
Pour autant les facilités s’arrêtent là, car la famille de Leila ne peut les aider. Ils trouvent donc un logement dans le quartier d’al-Mina. Une zone déshéritée de la grande ville du Nord, faite d’habitats provisoires et peuplée majoritairement de Libanais ayant perdu leur logement lors d’une crue du fleuve Abou Ali dans le milieu des années 50. Deux pièces pour vivre, un confort sommaire, un toit de tôle qui prend l’eau à chaque grosse averse, Nabil regrette sa maison à Alep. Pour pouvoir payer le loyer de 250 dollars, l’ancien informaticien a trouvé un travail dans le bâtiment à Beyrouth, sa femme s’occupe des enfants, dont le plus âgé est scolarisé gratuitement l’après-midi dans une école libanaise de Tripoli. Sur les 14 dollars qu’il gagne par jour, près de la moitié lui sert à payer le transport entre Tripoli et la capitale. Mais il n’a pas le choix : « Impossible pour nous de payer un logement à Beyrouth, et le seul travail que l’on me proposait était là-bas. J’essaye de trouver à Tripoli mais c’est compliqué. » Tripoli est l’une des principales villes d’accueil des réfugiés syriens et le taux de chômage y est parmi les plus élevés au Liban. Alors pour vivre il compte sur l’aide des ONG ou des Libanais. Une fondation américaine distribue des bons de nourriture dans le quartier, une autre, française, leur a donné du bois pour consolider le toit à l’approche de l’hiver, et puis il y a ces Tripolitains qui s’organisent par charité pour amener de la nourriture ou des couvertures aux familles de réfugiés. Si les conditions de vie sont dures, Nabil ne regrette pas son choix d’être venu au Liban « pour la sécurité de ma famille ». Même s’il avoue que dans ses rêves il ne pense qu’à une chose : retourner en Syrie quand tout sera fini.
Vivre grâce à la solidarité
Aicha et sa famille ont trouvé refuge il y a quatre mois près de Halba. Sans travail, ils comptent sur l’aide de proches et des Libanais.
Aicha* a quitté Homs il y a quatre mois. Avec ses deux sœurs, leur mari, et leurs sept enfants, elle a pris le chemin de l’exil direction le Liban, dont la frontière est à seulement 30 kilomètres.
Un temps installés à Wadi Khaled, ils ont poussé un peu plus loin dans les terres et sont arrivés tout près de Halba (le chef-lieu du caza du Akkar) : « Il y avait beaucoup trop de monde à Wadi Khaled, impossible de trouver un logement », explique Aicha. Depuis, ils logent dans une maison grâce à l’aide d’un de leur oncle installé à Tripoli qui les aide à payer leur loyer de 250 dollars par mois. Le mari de Aicha est informaticien. Il a bien essayé de trouver du travail à Beyrouth, mais sans succès. « Et puis j’avais peur pour lui, ajoute la jeune femme, il y a beaucoup de Syriens dans la capitale, mais je ne sais pas s’ils sont très acceptés. »
Alors ils restent là, à attendre des jours meilleurs, sans activité et sans ressources. « Heureusement, les Libanais chez qui nous vivons sont très accueillants, ils nous prêtent des couvertures, nous partageons des repas. » Aicha s’estime chanceuse : « On s’entend bien, les enfants jouent ensemble. » Sa seule crainte avec l’hiver et les températures qui ont passé la barre de 0 degré dans la région ; ne pas pouvoir payer le mazout pour chauffer la maison, les couches pour le bébé. Quelques organisations humanitaires locales, déjà présentes pour aider la population libanaise pauvre du Akkar, leur apportent de la nourriture et des produits de première nécessité, « mais on ne les voit pas souvent ». Le reste se fait à crédit, auprès de Libanais qu’il faudra bientôt rembourser. Son mari ne perd pas espoir de trouver un petit boulot, « pas trop loin de la maison ». La jeune femme ne se plaint pas : ses enfants sont à l’abri, les plus âgés vont à l’école, ouverte l’après-midi pour les enfants de réfugiés. Pour l’avenir une seule chose compte : retrouver sa ville et sa maison. « Dans quel état ? Je ne préfère pas l’imaginer...»
(*) Les prénoms ont été changés.