Un article du Dossier

Le Liban débordé par l'afflux de réfugiés syriens

Les villages frontaliers de Wadi Khaled abritent 12 000 réfugiés syriens sur une population libanaise de 21 000 habitants. Leur sens de l’hospitalité résiste de plus en plus mal aux conséquences économiques et sociales de cet afflux massif.

Six villages, et au bout d’une route, la Syrie, à seulement quelques centaines de mètres. Wadi Khaled est situé dans le caza du Akkar, à l’extrême nord-est du Liban. Tout autour, serpente la ligne de démarcation avec le voisin syrien.
L’été dernier, une vague de réfugiés est arrivée dans la région après les bombardements de Homs située à seulement 30 kilomètres de Wadi Khaled. Près de 5 000 Syriens ont passé la frontière. Certains sont repartis un peu plus loin rejoindre leur famille ou la grande ville de Tripoli, pour trouver du travail. D’autres sont restés. « Pour pouvoir repartir au plus vite quand tout sera fini », explique Salma, installée à Wadi Khaled depuis quatre mois avec son mari et leurs six enfants.
Au total, la municipalité a enregistré près de 12 000 réfugiés à Wadi Khaled, pour une population libanaise de 21 000 habitants. La première vague a été accueillie dans des familles libanaises. Les derniers arrivants louent des appartements, parfois aidés par des organisations humanitaires qui payent une partie du loyer.
Mais les logements commencent à manquer et les familles syriennes sont à présent orientées vers des maisons en cours de construction. Absence de vitres aux fenêtres, pas d’électricité, les conditions de vie sont rudimentaires. Dans une région où l’hiver est rude – début janvier les températures étaient en dessous de zéro et la pluie est tombée en abondance –, cette situation inquiète la municipalité. « Nous avons besoin de l’État mais aussi de l’aide internationale, nous ne pouvons pas continuer à accueillir ces gens dans ces conditions », s’exclame Fayad Saddalah, membre du conseil municipal.
Jusqu’à présent c’est surtout l’hospitalité des Libanais qui a permis l’accueil des réfugiés. « C’est normal, explique Soubainé, vous ne le feriez pas vous ? Ils n’ont rien, plus de maison, plus d’habits, c’est pour cela que je les aide... » Cette Libanaise accueille gratuitement une famille de neuf enfants dans une partie de sa maison qu’elle destinait à son fils tout juste fiancé. Le mariage a été repoussé. La famille syrienne reçoit en outre des dons d’Organisations non gouvernementales (ONG) pour les besoins de première nécessité (nourriture et vêtements principalement).
L’accueil se fait naturellement, car les liens familiaux entre Syriens et Libanais de la frontière sont nombreux : Ibrahim héberge aujourd’hui deux cousines et leurs familles : « Je ne me suis pas posé la question. Elles auraient fait la même chose de l’autre côté. » Un acte de solidarité naturel qui commence à peser sur la famille, d’autant que l’activité d’Ibrahim est au point mort... Il importait du béton de Syrie. Dans la cour de sa maison, les camions qui effectuaient les liaisons sont vides, à l’arrêt.

Une économie au ralenti

Wadi Khaled a toujours été lié économiquement à la Syrie : importation de fruits et légumes, achat de fournitures pour la maison ; la plupart des produits de consommation courante étant moins chers en Syrie, Ibrahim raconte qu’il allait faire ses courses à Homs avant la guerre. Certains se faisaient même soigner de l’autre côté. La contrebande était également florissante ; mazout, vivres, médicaments et produits périssables, le trafic se faisait au vu et au su de tous. 
Depuis le début du conflit tout s’est arrêté, ou presque... restent ces jeunes qui font des allers-retours, le visage masqué, pour transporter, selon les témoignages des habitants, du carburant, des armes ou des cigarettes, voire des poches de sang ou des médicaments.
Les habitants de Wadi Khaled sont fortement affectés par la fermeture de la frontière. Sur les étals, les prix ont augmenté. Le kilo de tomates est passé de 1 000 à 2 000 livres libanaises, car les légumes qui étaient importés de Syrie viennent maintenant de Tripoli où ils sont plus chers, avec un coût de transport par la route plus important (Tripoli est à 70 km contre seulement une poignée de kilomètres pour atteindre les premiers villages syriens).
Le 20 novembre Robert Watkins, le coordinateur spécial des Nations unies au Liban, a effectué une visite dans le Akkar pour estimer les besoins de la région à destination des réfugiés, mais aussi des Libanais. Une première. Il a annoncé que le PNUD avait débloqué 250 000 dollars pour financer seize projets de développement dans le Akkar afin de venir en aide aux habitants : « Le but est simple  : injecter de l’argent dans l’économie pour permettre aux Libanais de vivre. » Le premier projet concerne le déblaiement d’une route qui relie une communauté du Akkar à un hôpital. Outre ce programme, un demi-million de dollars est en cours d’allocation afin de subvenir aux besoins immédiats des populations locales. Avec l’arrivée des réfugiés, certains médicaments sont en rupture de stock dans les pharmacies gouvernementales ou les centres médicaux, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) va aider à les renflouer. Des programmes sont aussi envisagés pour donner du travail aux Libanais, car l’arrivée de réfugiés à la recherche d’un emploi pour vivre a créé de la concurrence.
L’économie du Akkar est majoritairement agricole ; le tiers de la population active travaille dans ce secteur, selon une étude de l’association Mada parue en 2008. Issam Douery, membre de la municipalité de Wadi Khaled, explique que la main-d’œuvre syrienne bon marché concurrence les travailleurs libanais déjà en difficulté, le taux d’activité dans le district étant de 26 % (contre 34 % au niveau national, selon cette même étude).
Depuis le début du conflit, la population libanaise doit donc faire face à cet afflux de travailleurs mais aussi à l’insécurité à la frontière qui a bouleversé certaines activités. Mohammad possède des champs sur la ligne de démarcation entre les deux pays. Aujourd’hui ses terres ont été minées par l’armée syrienne régulière. Impossible pour lui de continuer à les exploiter. Il a également perdu trois de ses sept vaches dans l’explosion d’une mine. Pour faire vivre sa famille, il doit maintenant travailler comme main-d’œuvre pour des compatriotes, laissant ses terres à l’abandon. Mais avec l’hiver, les travaux se font plus rares.
Dans cette région déshéritée du Liban, où plus de 63 % de la population vit sous le seuil de pauvreté, le travail des associations humanitaires est primordial pour soutenir les familles qui accueillent des réfugiés.
Le Haut-Commissariat aux réfugiés ou le Danish Council distribuent par exemple des couvertures et de la nourriture. Tous les jours sur la route qui relie Halba à Qobayat un centre ouvre pour distribuer des rations à chaque famille. Les réfugiés de Wadi Khaled ne peuvent s’y rendre eux-mêmes car l’armée leur interdit de passer le check-point. Les humanitaires doivent donc se déplacer pour leur apporter les colis alimentaires. Mais en novembre, l’accès a été coupé pendant quelques jours. Aucune organisation ne pouvait passer. Les forces armées libanaises n’avaient à l’époque pas donné d’explications. Les intempéries début janvier ont causé d’importants dégâts dans le Akkar. Routes impraticables, coupures d’électricité répétées... ces conditions rendent plus difficile le travail d’aide aux réfugiés de ces associations qui s’inquiètent de l’installation du conflit dans la durée  : comment accueillir les nouveaux arrivants ? Comment ne pas laisser de côté les Libanais ? Sur cette question Robert Watkins est clair : « Il faut mettre en place une organisation particulière car, selon le mandat du HCR, seuls les réfugiés syriens peuvent recevoir une assistance. »
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