Un article du Dossier
Éducation : profs au bord de la crise de nerfs
Comment le ministère de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur compte-t-il réformer le secteur public pour en améliorer l’efficience ? Entretien avec Fadi Yarak, directeur général de cette administration.
Le Liban conserve une éducation de qualité, notamment grâce à une spécificité historique liée à la liberté d’enseignement qui a depuis longtemps permis une véritable facilité d’accès à l’éducation dans le pays. C’est notamment grâce au système éducatif qu’il y a une forte mobilité sociale dans le pays.
Bien sûr, nous pouvons encore nous améliorer dans de nombreux domaines, et notamment pour conserver l’ensemble des élèves qui rentrent dans le système jusqu’à la fin. Mais il ne s’agit pas de critiquer ce qui a déjà été fait. Nous avons connu d’importantes réformes comme celle portant sur les programmes dans les années 1990. C’était une base essentielle. Nous nous attaquons désormais aux autres étapes du développement du secteur.
Quelles sont les priorités du gouvernement en matière d’éducation ?
Nous avons lancé en 2010 un vaste plan quinquennal de développement du secteur qui définit cinq priorités : assurer l’égalité des chances dans l’accès à l’éducation, assurer une éducation de qualité, contribuer à l’intégration sociale, coopérer au développement économique et, enfin, améliorer la gouvernance du secteur.
Ces priorités ont été déclinées en 10 programmes :
• L’augmentation de la préscolarisation des enfants de trois à cinq ans. Cela passe notamment par : l’extension de deux à trois années de la scolarisation au jardin d’enfants, ainsi que la réhabilitation et l’équipement des établissements n’ayant pas encore de petite section.
• La diminution des redoublements et de l’abandon scolaire. Cela passe notamment par la mise en œuvre effective de l’obligation scolaire, l’augmentation du nombre de jours d’enseignement à l’école publique et le lancement de procédures de soutien aux élèves en difficulté.
• L’amélioration des infrastructures à travers la réhabilitation des écoles qui en ont besoin.
• La professionnalisation du corps enseignant. Cela passe notamment par le développement de la formation continue, un recrutement limité aux professeurs ayant un diplôme spécialisé et une redistribution des effectifs en fonction des besoins.
• La modernisation du management. Avec par exemple la réorganisation interne des écoles comprenant notamment un renforcement du rôle des comités de parents.
• L’actualisation du curriculum à partir des critères et des mécanismes d’évaluation des acquis que nous allons mettre en place, ainsi que la définition de critères d’évaluation des manuels.
• Le renforcement de l’éducation civique. Cela comprend notamment la promotion d’activités scolaires en lien avec la citoyenneté et la mise en œuvre d’un programme de service d’intérêt général basé sur le volontariat.
• L’intégration des nouvelles technologies dans l’enseignement.
• La mise en place d’un cadre national de certifications basé sur l’identification des qualifications requises par les différents métiers et la détermination de passerelles entre les parcours pédagogiques.
• Une réforme organisationnelle du ministère. Elle se traduira notamment par une simplification des procédures, le développement de mécanismes d’évaluation et de contrôle, et le développement de formations internes.
Comment ces programmes seront-ils financés ? Leur mise en œuvre va-t-elle nécessiter une augmentation du budget du ministère ?
Outre une enveloppe annuelle de 20 millions de dollars mise à la disposition par l’État libanais pour le développement du secteur, ces projets sont essentiellement financés à travers des crédits ou des aides accordés par des bailleurs de fonds internationaux. Il y a d’abord une enveloppe de 40 millions de dollars de la Banque mondiale dans le cadre du deuxième projet de développement de l’éducation (NDLR : le premier projet a été mis en œuvre entre 2000 et 2009) qui décline trois grandes priorités : le renforcement de l’éducation préprimaire, en finançant notamment l’établissement de petites sections dans les jardins d’enfants qui en sont dépourvus ; l’amélioration de la qualité d’enseignement à travers notamment la formation continue des enseignants ; et la réforme structurelle du ministère comprenant notamment le recrutement d’un personnel spécialement formé pour l’évaluation de la réforme. Un autre projet baptisé “D-Rasati” financé à hauteur de 75 millions de dollars par l’agence de développement américaine (Usaid) porte notamment sur l’équipement des écoles en laboratoires scientifiques et informatiques, ou la formation continue des professeurs en anglais. Un troisième projet de sept millions d’euros a été élaboré avec l’Union européenne pour assurer l’éducation à la citoyenneté et améliorer la réussite scolaire. Il y a également un projet en préparation avec l’Agence française de développement (AFD) qui prête quarante millions d’euros pour la construction de nouvelles écoles et la formation des professeurs.
Quels sont les mécanismes d’évaluation prévus ?
Nous allons créer pour la première fois une cellule de contrôle et d’évaluation qui sera composée d’experts venant du ministère ou délégués par les bailleurs de fonds, chaque projet ayant ses critères spécifiques. Nous avons également mis en place un dispositif national d’évaluation avec l’Organisation internationale de la francophonie. Enfin, la participation aux tests internationaux comme le TIMMS et bientôt le PISA est un autre moyen d’analyse.
Dans quelle mesure ce projet permettra-t-il au Liban de répondre aux objectifs de développement du millénaire de l’Onu sur lesquels le pays s’est engagé pour 2015 et qui prévoit en particulier la garantie d’une scolarisation primaire complète pour tous les élèves ?
Nos projets répondent pleinement à cet objectif. Le Liban n’a pas vraiment de problèmes sur l’accessibilité à l’éducation formelle, nous devons surtout améliorer la qualité et lutter contre des handicaps précis, comme le décrochage scolaire.
Un nouveau diplôme : le baccalauréat arabe international Au Liban comme ailleurs, l’éducation est le cadre d’expérimentations visant à proposer des méthodes alternatives d’enseignement ou de nouveaux diplômes censés améliorer la qualité de la formation ou étoffer le curriculum vitae des étudiants. Le baccalauréat arabe international (BAI) créé par le Centre de recherches pédagogiques (ERC), une société du groupe Sayegh qui œuvre dans le domaine de l’enseignement, commence à connaître un certain succès : lancé simultanément en 2010 dans quatre pays (Jordanie, Arabie saoudite, Égypte et Liban), ce diplôme concerne désormais près de 6 000 élèves du secondaire dans 33 écoles, dont 2 000 Libanais scolarisés dans onze écoles publiques et sept privées. S’il n’a pas vocation à se substituer aux programmes officiels, le BAI propose des méthodes d’évaluation spécifiques, fondées notamment sur le contrôle continu, un barème de notation propre et le choix entre deux niveaux de validation des savoirs par matière (de base ou de maîtrise) selon les spécialisations choisies par les apprenants. « On est parti du constat que les enseignants forment davantage à la réussite des examens qu’à la réussite personnelle. Le but du BAI est de permettre un apprentissage privilégiant le développement d’un raisonnement critique et des facultés de communication à la seule mémorisation », argumente son concepteur Ibrahim Halloun. Pour être accréditées, les écoles doivent remplir un certain nombre de critères liés notamment à l’environnement scolaire et devront à terme s’acquitter de frais de participation dont le montant n’a pas été communiqué. Par ailleurs, les professeurs doivent suivre une formation – un an de formation initiale à partir de 2014 – avant d’enseigner dans ce cadre. Selon l’ERC, la reconnaissance du BAI par des universités arabes et occidentales, voire une équivalence avec les diplômes officiels est à l’étude. La première promotion sera diplômée à la fin de cette année scolaire. |