Un article du Dossier
Placements : 2013, année erratique pour l’économie mondiale
Le marché des changes a été fortement affecté par la poursuite et la généralisation de l’assouplissement quantitatif mené par les banques centrales. Car si la plupart d’entre elles restent soumises à un régime de change flottant qui limite théoriquement leur capacité d’action directe sur le cours de la monnaie, l’utilisation de leur bilan pour tenter de maintenir l’activité économique et financière à flots a pour autre conséquence d’affaiblir potentiellement la valeur de leur monnaie. Un effet secondaire plutôt bienvenu en période de crise, en particulier pour les pays misant sur la reprise de leurs exportations pour retrouver un second souffle. « Avec la désinflation ambiante et l’usage intensif de la planche à billets, on assiste au retour en force du contrôle des changes, version XXIe siècle », annonce Patrick George, directeur de l’investissement et de l’allocation d’actifs à FFA Private Bank. Toutefois, la similitude des politiques accommodantes des banques centrales fait qu’il est difficile de prévoir quelle devise va souffrir plus que les autres », nuance Ali Janoudi, directeur général Mena à UBS. Reste que les grandes manœuvres ont commencé et que l’activité spéculative et le portage de devises sont en net regain en ce début 2013.
Hausse du dollar en perspective
Premier enseignement de ce semestre agité sur le marché des changes : la notion de “dollar fort”, qui semblait devenue désuète avec la crise, devrait revenir à la mode. En hausse de plus de 4 % depuis janvier, le billet vert reste soutenu par les signes de reprise économique aux États-Unis, voire par la perspective d’un retournement de la politique monétaire de la part de la Fed. « La Fed est beaucoup plus agressive dans ses variations de taux que la BCE. Par conséquent, en période d’anticipation de croissance il faut jouer sur le différentiel de taux et se positionner long sur le dollar », confirme Tarek el-Ahdab, vice-président de l’Arab Finance Corporation. L’évolution à moyen terme des fondamentaux du pays sera sans doute décisive pour faire de ce regain conjoncturel le début d’un cycle haussier. C’est en particulier vrai pour l’emploi, puisque c’est le chiffre du chômage qui a été revendiqué comme étalon du bien-fondé de sa politique par Ben Bernanke.
Une appréciation qui se distingue par conséquent de la situation européenne, où les pressions haussières semblent davantage dictées par le caractère moins accommodant de la politique monétaire que par une situation économique qui demeure récessive. Du coup, la fluctuation entre les deux devises est restée relativement stable, l’euro ayant perdu deux cents de dollars sur les cinq premiers mois de l’année, après avoir fluctué dans une fourchette étroite (entre 1,28 et 1,35 dollar).
« Contrairement à la plupart des pays qui interviennent sur les marchés dès que les risques d’appréciation apparaissent, il n’y a pas de “Monsieur euro” pour jouer ce rôle. La guerre des monnaies se fait donc sans la zone euro », résume Paul Douaihy, de l’Université Balamand. « Personne n’est capable d’évaluer la vraie valeur de l’euro dans le contexte actuel, du coup il reste déterminé par défaut et devrait rester stable par rapport au dollar et s’apprécier face aux monnaies émergentes », renchérit Georges Khoury, directeur de la banque privée de la BLF. Car la hausse du dollar, comme la non-appréciation de l’euro, est aussi, voire surtout, le collatéral de la cristallisation de la bataille monétaire sur le front asiatique.
Course à l’affaiblissement monétaire
Depuis la nomination du nouveau gouvernement nippon, fin 2012, et surtout depuis que la Banque du Japon a dévoilé les modalités de sa politique, le yen n’a cessé de se déprécier, perdant plus de 10 % de sa valeur face au dollar jusqu’à fin mai. Dans un premier temps, les banques centrales asiatiques sont demeurées relativement passives, du fait que nombre de leurs devises étaient déjà sous-évaluées et que les marchés faisaient d’eux-mêmes le gros du travail en les vendant contre des dollars. Mais face à la poursuite de la dégringolade du yen, elles ont fini, au printemps, par céder à la tentation de faire baisser leur monnaie. En mai, la Banque centrale sud-coréenne a abaissé son taux directeur de 25 points de base afin de soutenir des exportations mises à mal par l’appréciation sensible du won par rapport au yen (12,8 % entre janvier et mai). Dans la même période, la Banque de réserve australienne abaissait son taux directeur dans des proportions identiques, tandis que son homologue néo-zélandaise intervenait sur le marché des changes.
Et le reste du monde leur a emboité le pas : la Turquie, la Colombie, la Nouvelle-Zélande ou l’Argentine sont aussi intervenues à des degrés divers pour favoriser la dépréciation de leur monnaie. L’Inde a également procédé à sa troisième réduction successive de 25 points de base mais, contrairement aux autres pays, n’a pour l’instant pas inclu les soubresauts du marché des changes dans ses motivations. Quant à la Suisse – un des pays en pointe dans le lancement des hostilités pour avoir choisi, en 2011, de fixer un plancher de 1,20 franc suisse par euro afin de lutter contre son appréciation nominale importante –, elle a affiché, par la voix du président de sa Banque centrale, la volonté de maintenir sa politique tout en laissant entendre qu’une modification du taux plancher était envisageable. « Mais la situation demeure encore trop fragile pour que cette idée d’une remontée du plancher (à 1,25 franc suisse par euro par exemple) soit crédible », pronostique Christina Azouri, du Crédit Agricole Suisse Liban.
L’année du yuan ?
Dans ce panorama baissier, deux pays se singularisent particulièrement. Confronté à un retour de l’inflation, le Brésil a procédé en avril à un revirement dans sa politique monétaire en adoptant son premier relèvement de taux (de 25 points de base) depuis deux ans.
L’autre exception notable reste la Chine, où prévaut un régime de change quasi fixe. Pékin tend de plus en plus à relâcher lentement mais sûrement prise sur la fluctuation de sa devise et permettre ainsi son appréciation. Après avoir élargi une première fois, en avril 2012, la bande de flottement quotidien autorisé autour d’un cours pivot de 0,5 à 1 %, la Chine envisage désormais un flottement plus large – de 1,5 voire 2 % – afin notamment d’inciter les capitaux étrangers à rester en période de ralentissement de sa croissance. Résultat : le cours du yuan a connu un regain palpable au premier semestre, franchissant même la barre des 6,2 yuans par dollar en avril. Après des années de sous-évaluation calculée, la monnaie chinoise pourrait donc connaître une lente appréciation sur la durée. D’autant que « le yuan va progressivement s’imposer comme monnaie d’échange. En 2012, près de 8 % du total des transactions transfrontalières effectuées avec la Chine étaient libellées dans cette devise ; nous projetons que cette part grimpera à 30 % à l’horizon 2015 », affirme Peter Yeates, directeur général de HSBC Liban. Bref, si le premier semestre de 2013 est indiscutablement celui de la chute du yen, le second pourrait être celui de l’émergence du yuan.
Hausse du dollar en perspective
Premier enseignement de ce semestre agité sur le marché des changes : la notion de “dollar fort”, qui semblait devenue désuète avec la crise, devrait revenir à la mode. En hausse de plus de 4 % depuis janvier, le billet vert reste soutenu par les signes de reprise économique aux États-Unis, voire par la perspective d’un retournement de la politique monétaire de la part de la Fed. « La Fed est beaucoup plus agressive dans ses variations de taux que la BCE. Par conséquent, en période d’anticipation de croissance il faut jouer sur le différentiel de taux et se positionner long sur le dollar », confirme Tarek el-Ahdab, vice-président de l’Arab Finance Corporation. L’évolution à moyen terme des fondamentaux du pays sera sans doute décisive pour faire de ce regain conjoncturel le début d’un cycle haussier. C’est en particulier vrai pour l’emploi, puisque c’est le chiffre du chômage qui a été revendiqué comme étalon du bien-fondé de sa politique par Ben Bernanke.
Une appréciation qui se distingue par conséquent de la situation européenne, où les pressions haussières semblent davantage dictées par le caractère moins accommodant de la politique monétaire que par une situation économique qui demeure récessive. Du coup, la fluctuation entre les deux devises est restée relativement stable, l’euro ayant perdu deux cents de dollars sur les cinq premiers mois de l’année, après avoir fluctué dans une fourchette étroite (entre 1,28 et 1,35 dollar).
« Contrairement à la plupart des pays qui interviennent sur les marchés dès que les risques d’appréciation apparaissent, il n’y a pas de “Monsieur euro” pour jouer ce rôle. La guerre des monnaies se fait donc sans la zone euro », résume Paul Douaihy, de l’Université Balamand. « Personne n’est capable d’évaluer la vraie valeur de l’euro dans le contexte actuel, du coup il reste déterminé par défaut et devrait rester stable par rapport au dollar et s’apprécier face aux monnaies émergentes », renchérit Georges Khoury, directeur de la banque privée de la BLF. Car la hausse du dollar, comme la non-appréciation de l’euro, est aussi, voire surtout, le collatéral de la cristallisation de la bataille monétaire sur le front asiatique.
Course à l’affaiblissement monétaire
Depuis la nomination du nouveau gouvernement nippon, fin 2012, et surtout depuis que la Banque du Japon a dévoilé les modalités de sa politique, le yen n’a cessé de se déprécier, perdant plus de 10 % de sa valeur face au dollar jusqu’à fin mai. Dans un premier temps, les banques centrales asiatiques sont demeurées relativement passives, du fait que nombre de leurs devises étaient déjà sous-évaluées et que les marchés faisaient d’eux-mêmes le gros du travail en les vendant contre des dollars. Mais face à la poursuite de la dégringolade du yen, elles ont fini, au printemps, par céder à la tentation de faire baisser leur monnaie. En mai, la Banque centrale sud-coréenne a abaissé son taux directeur de 25 points de base afin de soutenir des exportations mises à mal par l’appréciation sensible du won par rapport au yen (12,8 % entre janvier et mai). Dans la même période, la Banque de réserve australienne abaissait son taux directeur dans des proportions identiques, tandis que son homologue néo-zélandaise intervenait sur le marché des changes.
Et le reste du monde leur a emboité le pas : la Turquie, la Colombie, la Nouvelle-Zélande ou l’Argentine sont aussi intervenues à des degrés divers pour favoriser la dépréciation de leur monnaie. L’Inde a également procédé à sa troisième réduction successive de 25 points de base mais, contrairement aux autres pays, n’a pour l’instant pas inclu les soubresauts du marché des changes dans ses motivations. Quant à la Suisse – un des pays en pointe dans le lancement des hostilités pour avoir choisi, en 2011, de fixer un plancher de 1,20 franc suisse par euro afin de lutter contre son appréciation nominale importante –, elle a affiché, par la voix du président de sa Banque centrale, la volonté de maintenir sa politique tout en laissant entendre qu’une modification du taux plancher était envisageable. « Mais la situation demeure encore trop fragile pour que cette idée d’une remontée du plancher (à 1,25 franc suisse par euro par exemple) soit crédible », pronostique Christina Azouri, du Crédit Agricole Suisse Liban.
L’année du yuan ?
Dans ce panorama baissier, deux pays se singularisent particulièrement. Confronté à un retour de l’inflation, le Brésil a procédé en avril à un revirement dans sa politique monétaire en adoptant son premier relèvement de taux (de 25 points de base) depuis deux ans.
L’autre exception notable reste la Chine, où prévaut un régime de change quasi fixe. Pékin tend de plus en plus à relâcher lentement mais sûrement prise sur la fluctuation de sa devise et permettre ainsi son appréciation. Après avoir élargi une première fois, en avril 2012, la bande de flottement quotidien autorisé autour d’un cours pivot de 0,5 à 1 %, la Chine envisage désormais un flottement plus large – de 1,5 voire 2 % – afin notamment d’inciter les capitaux étrangers à rester en période de ralentissement de sa croissance. Résultat : le cours du yuan a connu un regain palpable au premier semestre, franchissant même la barre des 6,2 yuans par dollar en avril. Après des années de sous-évaluation calculée, la monnaie chinoise pourrait donc connaître une lente appréciation sur la durée. D’autant que « le yuan va progressivement s’imposer comme monnaie d’échange. En 2012, près de 8 % du total des transactions transfrontalières effectuées avec la Chine étaient libellées dans cette devise ; nous projetons que cette part grimpera à 30 % à l’horizon 2015 », affirme Peter Yeates, directeur général de HSBC Liban. Bref, si le premier semestre de 2013 est indiscutablement celui de la chute du yen, le second pourrait être celui de l’émergence du yuan.