Premier fonds d’investissement autorisé à opérer dans le cadre de la circulaire 331 de la Banque du Liban, Impact a annoncé cinq investissements initiaux d’une valeur totale de 12,5 millions de dollars. Devant être clôturé à plus de 55 millions de dollars, le fonds géré par MEVP lève ainsi une partie du voile sur les modalités des investissements indirects permis par la circulaire.
Quatorze mois après son adoption, et cinq mois après l’injection de 200 000 dollars par la banque al-Mawarid dans Presella (voir Le Commerce du Levant n° 5654), le dispositif mis en place par la circulaire 331 de la Banque du Liban (BDL) trouve une nouvelle application avec le lancement opérationnel, fin octobre, d’Impact, le premier fonds d’investissement entièrement dédié à ce type d’opération. Lancé en décembre 2013 par son gestionnaire, le groupe d’investissement en capital-risque Middle East Venture Partners (MEVP), Impact démarre avec cinq investissements dans les sociétés Bookwitty, Fadel, Fuel, Klangoo et Mobinets (voir encadré), pour une valeur totale de 12,5 millions de dollars sur les plus de 55 millions que prévoit d’investir le fonds à terme.
Deux autres fonds sont en cours de constitution dans le cadre de la circulaire 331 : le Berytech Fund II de l’incubateur éponyme (voir Le Commerce du Levant n° 5656) ; et le fonds Leap Ventures des investisseurs Henri Asseily (fondateur de Shopzilla, voir Le Commerce du Levant n° 5580), Hervé Cuviliez (fondateur de Diwanee, voir Le Commerce du Levant n° 5644) et Hala Fadel (présidente du chapitre panarabe du MIT Enterprise Forum). En attendant, ce lancement est déjà un cas d’école pour une “Lebanon Valley” impatiente de bénéficier des 400 millions de dollars prévus, mais contrainte d’observer au cas par cas les premiers effets d’un mécanisme aussi innovant d’un point de vue financier que sibyllin dans certaines de ses modalités pratiques.
Procédure spécifique de validation
Conçue pour permettre aux banques commerciales d’investir dans le capital d’entreprises œuvrant dans l’“économie de la connaissance”, la circulaire intermédiaire
n° 331 instaure un mécanisme de subventions permettant aux banques de bénéficier d’une garantie à 75 % de la BDL (voir Le Commerce du Levant n° 5645). Les bénéficiaires peuvent être des start-up, des incubateurs et des accélérateurs ou bien des fonds en capital-risque spécialisés. « Cette possibilité a été introduite au dernier moment, car le cœur de métier des banques est d’accorder du crédit à des compagnies matures disposant d’une bonne trésorerie ; alors que la circulaire vise des investissements capitalistiques dans des start-up qui n’ont pas ou peu de “cash flow” », résume Walid Hanna, associé gérant de MEVP. De fait, la plupart des banques interrogées à ce sujet avaient déclaré vouloir privilégier ce type d’investissements indirects, de manière exclusive ou complémentaire, afin de diversifier davantage leur portefeuille et bénéficier de l’expertise d’acteurs déjà implantés dans le secteur (voir Le Commerce du Levant n° 5657).
Cette possibilité implique des modalités différentes quant au processus de validation et de contrôle des investissements par la Banque centrale que la gestation d’Impact permet de mieux cerner. Dans le cas d’un investissement direct par une banque, la circulaire prévoit une validation préalable de la BDL en fonction de deux critères. D’abord, l’investissement ne doit pas dépasser un dixième de l’enveloppe globale autorisée par la circulaire, limitée à 0,3 % du capital de la banque, et ne pas dépasser 80 % du capital de la société cible. Il doit ensuite respecter le champ défini par la circulaire, soit notamment le fait que la société soit libanaise, qu’elle œuvre dans l’“ économie de la connaissance”, que son projet contribue au développement des “talents créatifs” et à la croissance économique et sociale du pays, etc. Lorsque les investissements sont réalisés à travers un fonds, le circuit de validation est différent et un peu plus long. La BDL doit d’abord approuver le fonds lui-même en vérifiant qu’il répond aux critères énoncés ci-dessus, et en validant sa structure juridique. Elle doit ensuite donner son quitus à chaque banque investissant dans le fonds, selon des modalités similaires à celle d’un investissement direct dans une start-up. En revanche, « contrairement aux investissements directs, la Banque centrale n’a pas à approuver chacun des investissements réalisés dans les start-up », relève Walid Hanna.
Si en théorie, rien n’interdit à un fonds de compter d’autres types d’investisseurs que les banques, seules ces dernières bénéficient du mécanisme de garantie de la BDL et sont par conséquent soumises individuellement à sa validation. « Pour des raisons de simplicité, nous avons choisi de gérer uniquement des investissements bancaires », indique Walid Hanna. Six d’entre elles ont déjà obtenu l’accord de la BDL et ont signé le protocole d’accord le 24 octobre : il s’agit de la banque al-Mawarid, qui a investi un million de dollars, la Bank Audi, la BankMed, la Blom Bank, qui ont investi 10 millions chacune, le Crédit libanais (1,5 million). Et la Fransabank (5,5 millions). Selon le gestionnaire, six à neuf autres banques devraient signer lors de la clôture définitive, le 14 novembre, et permettre à Impact de dépasser les 55 millions de dollars.
20 % des bénéfices pour le gestionnaire
« Impact ne cible que des start-up actives dans les technologies de l’information et de la communication (TIC), dont les fondateurs ont déjà une certaine expérience dans le secteur. Elles doivent viser un développement régional et proposer des produits à fort potentiel de marges », précise Walid Mansour, également associé gérant de MEVP. Alors que de nombreux observateurs continuent de s’interroger sur l’inclusion d’activités comme le design dans le champ de l’“économie de la connaissance”, le gestionnaire a donc opté à ce stade pour une définition restrictive de ce champ.
Impact devrait investir dans une vingtaine de sociétés sur une période de quatre ans. « La circulaire oblige le gestionnaire à liquider les actifs du fonds au bout de sept ans, mais on se tient prêt à envisager toute opportunité de sortie antérieure et il reste possible de demander à la BDL une prorogation exceptionnelle de ce délai si les circonstances l’exigent », ajoute Walid Hanna, qui vise un taux de rentabilité interne global de 25 %. Ces participations, qui resteront toujours minoritaires, iront du capital d’amorçage à des levées de série B, pour des tickets compris entre 500 000 dollars et 5 millions de dollars. Les banques n’ont pas besoin de mettre, ex ante, l’intégralité des fonds à disposition du gestionnaire : ce n’est qu’après avoir identifié la société cible et obtenu l’accord du comité d’investissement que celui-ci procède à un appel de capitaux correspondant au montant nécessaire. Par ailleurs, les banques souscriptrices pourront bénéficier, à partir d’un certain niveau d’engagement dans le fonds (au minimum 5 millions de dollars) de la possibilité de coinvestir avec lui dans les sociétés sélectionnées sans avoir à effectuer leur propre contrôle de diligence.
Pour le reste, hormis sa structure juridique conçue ex nihilo, Impact reprend un mode de fonctionnement classique pour la plupart des marchés de capital-risque : en sa qualité de gestionnaire, MEVP touchera 20 % des bénéfices réalisés par le fonds au moment des sorties, en sus des frais de gestion (2 % par an). Le reste des profits sera ensuite partagé équitablement entre les banques investisseuses et la BDL, qui assume de facto 75 % des pertes éventuelles. « Les bénéfices éventuels réalisés par la start-up pendant notre engagement ne devrait pas donner lieu au versement de dividendes, mais être réinjectés dans le développement de la société », indique par ailleurs Walid Hanna.
Deux autres fonds sont en cours de constitution dans le cadre de la circulaire 331 : le Berytech Fund II de l’incubateur éponyme (voir Le Commerce du Levant n° 5656) ; et le fonds Leap Ventures des investisseurs Henri Asseily (fondateur de Shopzilla, voir Le Commerce du Levant n° 5580), Hervé Cuviliez (fondateur de Diwanee, voir Le Commerce du Levant n° 5644) et Hala Fadel (présidente du chapitre panarabe du MIT Enterprise Forum). En attendant, ce lancement est déjà un cas d’école pour une “Lebanon Valley” impatiente de bénéficier des 400 millions de dollars prévus, mais contrainte d’observer au cas par cas les premiers effets d’un mécanisme aussi innovant d’un point de vue financier que sibyllin dans certaines de ses modalités pratiques.
Procédure spécifique de validation
Conçue pour permettre aux banques commerciales d’investir dans le capital d’entreprises œuvrant dans l’“économie de la connaissance”, la circulaire intermédiaire
n° 331 instaure un mécanisme de subventions permettant aux banques de bénéficier d’une garantie à 75 % de la BDL (voir Le Commerce du Levant n° 5645). Les bénéficiaires peuvent être des start-up, des incubateurs et des accélérateurs ou bien des fonds en capital-risque spécialisés. « Cette possibilité a été introduite au dernier moment, car le cœur de métier des banques est d’accorder du crédit à des compagnies matures disposant d’une bonne trésorerie ; alors que la circulaire vise des investissements capitalistiques dans des start-up qui n’ont pas ou peu de “cash flow” », résume Walid Hanna, associé gérant de MEVP. De fait, la plupart des banques interrogées à ce sujet avaient déclaré vouloir privilégier ce type d’investissements indirects, de manière exclusive ou complémentaire, afin de diversifier davantage leur portefeuille et bénéficier de l’expertise d’acteurs déjà implantés dans le secteur (voir Le Commerce du Levant n° 5657).
Cette possibilité implique des modalités différentes quant au processus de validation et de contrôle des investissements par la Banque centrale que la gestation d’Impact permet de mieux cerner. Dans le cas d’un investissement direct par une banque, la circulaire prévoit une validation préalable de la BDL en fonction de deux critères. D’abord, l’investissement ne doit pas dépasser un dixième de l’enveloppe globale autorisée par la circulaire, limitée à 0,3 % du capital de la banque, et ne pas dépasser 80 % du capital de la société cible. Il doit ensuite respecter le champ défini par la circulaire, soit notamment le fait que la société soit libanaise, qu’elle œuvre dans l’“ économie de la connaissance”, que son projet contribue au développement des “talents créatifs” et à la croissance économique et sociale du pays, etc. Lorsque les investissements sont réalisés à travers un fonds, le circuit de validation est différent et un peu plus long. La BDL doit d’abord approuver le fonds lui-même en vérifiant qu’il répond aux critères énoncés ci-dessus, et en validant sa structure juridique. Elle doit ensuite donner son quitus à chaque banque investissant dans le fonds, selon des modalités similaires à celle d’un investissement direct dans une start-up. En revanche, « contrairement aux investissements directs, la Banque centrale n’a pas à approuver chacun des investissements réalisés dans les start-up », relève Walid Hanna.
Si en théorie, rien n’interdit à un fonds de compter d’autres types d’investisseurs que les banques, seules ces dernières bénéficient du mécanisme de garantie de la BDL et sont par conséquent soumises individuellement à sa validation. « Pour des raisons de simplicité, nous avons choisi de gérer uniquement des investissements bancaires », indique Walid Hanna. Six d’entre elles ont déjà obtenu l’accord de la BDL et ont signé le protocole d’accord le 24 octobre : il s’agit de la banque al-Mawarid, qui a investi un million de dollars, la Bank Audi, la BankMed, la Blom Bank, qui ont investi 10 millions chacune, le Crédit libanais (1,5 million). Et la Fransabank (5,5 millions). Selon le gestionnaire, six à neuf autres banques devraient signer lors de la clôture définitive, le 14 novembre, et permettre à Impact de dépasser les 55 millions de dollars.
20 % des bénéfices pour le gestionnaire
« Impact ne cible que des start-up actives dans les technologies de l’information et de la communication (TIC), dont les fondateurs ont déjà une certaine expérience dans le secteur. Elles doivent viser un développement régional et proposer des produits à fort potentiel de marges », précise Walid Mansour, également associé gérant de MEVP. Alors que de nombreux observateurs continuent de s’interroger sur l’inclusion d’activités comme le design dans le champ de l’“économie de la connaissance”, le gestionnaire a donc opté à ce stade pour une définition restrictive de ce champ.
Impact devrait investir dans une vingtaine de sociétés sur une période de quatre ans. « La circulaire oblige le gestionnaire à liquider les actifs du fonds au bout de sept ans, mais on se tient prêt à envisager toute opportunité de sortie antérieure et il reste possible de demander à la BDL une prorogation exceptionnelle de ce délai si les circonstances l’exigent », ajoute Walid Hanna, qui vise un taux de rentabilité interne global de 25 %. Ces participations, qui resteront toujours minoritaires, iront du capital d’amorçage à des levées de série B, pour des tickets compris entre 500 000 dollars et 5 millions de dollars. Les banques n’ont pas besoin de mettre, ex ante, l’intégralité des fonds à disposition du gestionnaire : ce n’est qu’après avoir identifié la société cible et obtenu l’accord du comité d’investissement que celui-ci procède à un appel de capitaux correspondant au montant nécessaire. Par ailleurs, les banques souscriptrices pourront bénéficier, à partir d’un certain niveau d’engagement dans le fonds (au minimum 5 millions de dollars) de la possibilité de coinvestir avec lui dans les sociétés sélectionnées sans avoir à effectuer leur propre contrôle de diligence.
Pour le reste, hormis sa structure juridique conçue ex nihilo, Impact reprend un mode de fonctionnement classique pour la plupart des marchés de capital-risque : en sa qualité de gestionnaire, MEVP touchera 20 % des bénéfices réalisés par le fonds au moment des sorties, en sus des frais de gestion (2 % par an). Le reste des profits sera ensuite partagé équitablement entre les banques investisseuses et la BDL, qui assume de facto 75 % des pertes éventuelles. « Les bénéfices éventuels réalisés par la start-up pendant notre engagement ne devrait pas donner lieu au versement de dividendes, mais être réinjectés dans le développement de la société », indique par ailleurs Walid Hanna.
Les cinq premiers investissements d’Impact Bookwitty, 4 millions de dollars : - Plate-forme globale de commerce et distribution de livres en ligne (voir Le Commerce du Levant n° 5645). - Fondée en 2013 par Cyril Hadji-Thomas et Sany Naufal. Fadel Partners, montant non communiqué officiellement (environ deux millions de dollars) : - Solutions de gestion de la propriété intellectuelle. - Fondée en 2003 par Tarek Fadel. Fuel, 2 millions de dollars : - Services multi-joueurs pour développeurs de jeux mobiles. - Fondée en 2011 (rebaptisée Fuel en 2014) par Alan Price et Mikhael Naayem. Klangoo, 1,5 million de dollars : - Outil d’analyse sémantique et de valorisation de contenus. - Fondée en 2014 par Johnny Azzi, Romeo Issa, Walid Sada et Eddy Touma. Mobinets, 3 millions de dollars : - Solutions de maintenance opérationnelle de réseaux télécoms. - Fondée en 2003 par Labib Chalak. |
Un montage juridique inédit Plus de six mois se sont écoulés entre la décision de MEVP de créer Impact et son approbation par la Banque centrale (BDL), en juin dernier. Une structure créée avec deux partenaires stratégiques, BlomInvest et MedSecurities Investment, chargés de convaincre les investisseurs potentiels. Outre le fait qu’il s’agissait du premier cas d’espèce, il fallait en effet surmonter un obstacle de taille : « Si la circulaire 331 de la BDL prévoit que les banques puissent investir dans des sociétés libanaises dont l’objet exclusif est de financer des start-up, elle ne dit rien sur la nature juridique de ces véhicules d’investissement. Or ce type de fonds d’investissement n’est pas prévu dans notre législation… », explique Me Tarek Nahas, avocat associé gérant du cabinet d’affaires Sami Nahas, qui a géré les aspects juridiques de la structuration d’Impact. « Nous avons donc opté pour le statut de la holding, tout en lui adjoignant un pacte d’actionnaires et une série de contrats d’investissements permettant de conserver l’esprit d’un fonds d’investissement et en particulier la véritable autonomie du gestionnaire », résume sa collaboratrice Me Hala Akl. La holding Impact est ainsi structurée sous la forme d’une pyramide à trois niveaux : la société anonyme libanaise MEVP qui gère son fonctionnement et les décisions stratégiques (et, holding oblige, y dispose d’une action) ; le comité d’investissement (composé de cinq membres indépendants) qui contrôle les conditions d’entrée et de sortie dans le capital des sociétés cibles ; et enfin le conseil d’administration (composé également de cinq membres, avec une représentation majoritaire pour le gestionnaire) qui confie l’implémentation de ces décisions au gestionnaire et peut éventuellement révoquer – à 75 % des voix –ce dernier s’il manque à ses obligations vis-à-vis du comité d’investissement. Autre particularité : le capital de la holding n’est que de 20 000 dollars, car elle ne reçoit pas ses investissements sous la forme de capital, mais de prêts d’actionnaires non subordonnés (considérés comme des quasi fonds propres). « Cela permet de faciliter le remboursement des investisseurs au terme des sept ans impartis par la circulaire sans devoir procéder à une diminution de capital et s’embarrasser de procédures juridiques lourdes », justifie Tarek Nahas. Reste à savoir si les autres fonds d’investissement suivront ce sillon validé par la BDL ou trouveront à leur tour d’autres innovations juridiques pour conjuguer les exigences de la loi libanaise et les objectifs de la circulaire. |