Pionnier régional de la vidéo à la demande, Cinemoz a réalisé sa première levée de fonds en recevant 1,5 million de dollars de la BLC Bank dans le cadre de la circulaire 331 de la Banque du Liban. Une première consécration capitalistique pour ses fondateurs au parcours jusque-là ponctué de réussites et de ralentissements.
Cinemoz, le service de vidéo à la demande fondé par Karim Safieddine et Maroun Najm, est un cas d’école à bien des égards dans l’écosystème numérique libanais : tant sur l’art et la manière d’adapter un concept à succès aux particularités locales, que du point de vue des difficultés à gérer sa croissance capitalistique, ou des conditions de négociations avec ces investisseurs si particuliers que sont devenues les banques pour le secteur numérique.
En obtenant, mi-novembre, l’agrément de la Banque du Liban pour l’investissement de 1,5 million de dollars par la BLC Bank, Cinemoz a non seulement réalisé sa première levée de fonds mais également le deuxième investissement direct effectué dans le cadre de la circulaire 331 de la Banque centrale, après les 200 000 dollars injectés en juin par la banque al-Mawarid dans Presella (voir Le Commerce du Levant no 5654). Ce dispositif permet aux banques d’investir une partie de leurs fonds propres dans des sociétés (start-up, incubateurs et accélérateurs ou fonds d’investissement en capital-risque) œuvrant dans “l’économie de la connaissance”. Ces investissements bénéficient d’une garantie à 75 % de la BDL, qui récupère néanmoins la moitié des profits potentiellement réalisés lors de la sortie prévue dans un délai de sept ans (voir Le Commerce du Levant n° 5645). « Les négociations avec la BLC Invest, mandatée pour gérer l’opération, ont commencé en février dernier. Nous sommes très vite tombés d’accord sur la vision stratégique pour consacrer l’essentiel de cette période à la négociation des modalités et contreparties de cet apport », explique Karim Safieddine. Une durée qui tient certes aux particularités des mécanismes de la circulaire 331, sans doute aussi au parcours fructueux sur le plan industriel mais cahoteux, sur le plan de l’ouverture capitalistique, de ses fondateurs.
Genèse d’un “Hulu libanais”
Tout commence en 2011, lorsque Karim Safieddine décide de démissionner de son poste aux studios Miramax à New York pour tenter de surfer sur la vague du “streaming” vidéo en créant une plate-forme spécifiquement dédiée au monde arabe. Il investit donc avec son ami Maroun Najm 300 000 dollars dans la création de Cinemoz (contraction de cinéma et de “moz”, banane en arabe) et complète ces fonds par un crédit Kafalat de 200 000 dollars, obtenu grâce à l’entregent de Samer Karam, le fondateur de Seeqnce (voir Le Commerce du Levant n° 5646).
Reste le plus dur : recruter les troupes, constituer un catalogue et surtout définir une stratégie de développement économique dans un secteur aussi prometteur que balbutiant. « Plusieurs pistes, tant en termes de génération de revenus que de leur partage avec les ayants droit, s’ouvraient à nous et il fallait impérativement tenir compte des spécificités du marché arabe, où le paiement en ligne s’avère très compliqué alors que la publicité est en plein boom. Au modèle économique de la VOD par abonnement (SVOD en anglais) de Netflix, nous avons donc préféré celui de Hulu, gratuit pour l’utilisateur et financé par la publicité (AVOD en anglais) », explique Karim Safieddine. Pour ce qui est du contenu un seul impératif : l’identité arabe. Cinemoz devient ainsi le diffuseur en ligne de vedettes renommées telles que le réalisateur égyptien Youssef Chahine ou son concitoyen Adel Imam comme de courts-métrages de talents émergents du Liban et de la région. « En revanche, on a très vite écarté les grosses franchises télévisées pour des raisons de rentabilité : un format Web coûte quelques dizaines de milliers de dollars par saison, alors qu’il faudra en investir plusieurs centaines pour les droits d’une série à succès », argumente Karim Safieddine. La rémunération des producteurs se fait soit par le partage des revenus publicitaires, soit par acquisition de licence ou une combinaison des deux.
Traversée du désert
Si la croissance commerciale suit une trajectoire exponentielle, permettant à Cinemoz de générer plus de 400 000 dollars de revenus publicitaires (essentiellement depuis 2013), son développement industriel est, lui, très vite subordonné aux contraintes d’un secteur particulièrement gourmand en capitaux pour financer les coûts de stockage, de diffusion et d’alimentation du catalogue. C’est là que les deux compères vont subir leurs premières véritables déconvenues. Quelques offres d’investisseurs internationaux se présentent pourtant, mais elles soulèvent plusieurs problèmes. « Pour résumer, alors que les investisseurs arabes s’avéraient particulièrement frileux et exigeaient des garanties énormes pour se couvrir, une boîte américaine nous a proposé 3 millions de dollars contre 30 % du capital, mais en nous fixant des objectifs complètement disproportionnés avec la réalité du marché régional. D’autres exigeaient une implantation en Californie... Or les montants et la valorisation importent peu s’il n’y a pas de véritable concordance de vues sur la stratégie et la visibilité sur l’avenir. En refusant ces fonds, on a perdu un an en termes de performance et de développement, mais acquis une expérience précieuse », raconte-t-il.
De ce rite de passage, il tire la leçon suivante : « Pour lever des fonds au Liban, il faut avoir un nom immaculé, pouvoir s’appuyer sur quelqu’un capable de mettre de l’huile dans les rouages et, si possible, le soutien d’une banque du fait de leur position incontournable dans le pays. » Reste que ces échecs successifs les obligent à recalibrer leur stratégie de croissance initiale vers une tactique plus défensive de consolidation de leurs parts de marché qui peut s’avérer périlleuse dans un secteur en accélération permanente. C’est donc en pleine traversée du désert qu’apparaît un rayon de lumière : la publication de la circulaire 331.
Partage d’expérience
Les deux compères comprennent très vite que le mécanisme peut changer les règles du jeu et résoudre les problèmes inhérents à la région, à condition toutefois de trouver les conditions permettant un véritable partage d’expérience entre deux mondes jusque-là étrangers l’un pour l’autre. « Notre partenaire s’est donné le temps de comprendre la valeur potentielle d’une entreprise tirant ses revenus de la publicité numérique. À notre grande surprise, il s’est même montré plus ambitieux que nous et bien plus enclin à nous laisser l’initiative stratégique que les investisseurs rencontrés jusque-là », se réjouit Maroun Najm. Un satisfecit qui ne peut que faire jubiler Fouad Rahmé, le directeur général de la BLC Invest mandatée pour structurer l’opération : « Au départ, il a fallu que chacun comprenne que nous avons les mêmes intérêts. Par exemple, plutôt que de débattre indéfiniment sur les conditions d’entrée et la valorisation de la société à ce moment-là ; nous avons défini une perspective stimulante de sortie en prévoyant un mécanisme d’indexation sur les performances futures, qui leur donnera droit à une part plus importante du capital s’ils obtiennent certains résultats. » Autre avantage : c’est désormais la BLC Invest qui, en sa qualité de partenaire stratégique, ira également lever 4 millions de dollars supplémentaires auprès d’autres investisseurs dans le courant de l’année 2015.
Des capitaux qui seront consacrés à la réactivation du plan de croissance initial avec trois piliers à peu près équitablement répartis : l’enrichissement du contenu, via l’acquisition de nouvelles licences et la mise en place d’une production interne pour permettre de franchir le seuil des 2 000 références (contre 1 200 actuellement) en un an ; le renforcement du marketing ; et enfin les ressources humaines, pour permettre aux fondateurs de se verser enfin un salaire et augmenter de 40 % leur masse salariale libanaise. Avec un double objectif pour la première année : tripler leur audience – à 1,2 million de vidéos vues par mois – et augmenter leurs revenus de 90 %, à 700 000 dollars. À plus long terme, le duo souhaite imposer Cinemoz comme la référence de la VOD arabe, et prendre la plus grande part possible d’un gâteau en croissance exponentielle mais déjà fragmenté entre près d’une dizaine d’acteurs, dont le jordanien Istikana, l’émirien ICFlix ou le service dédié du géant saoudien Rotana. Ce « pour être au rendez-vous quand un gros acteur mondial voudra pénétrer le marché arabe en nous rachetant », s’enthousiasme Karim Safieddine.
En obtenant, mi-novembre, l’agrément de la Banque du Liban pour l’investissement de 1,5 million de dollars par la BLC Bank, Cinemoz a non seulement réalisé sa première levée de fonds mais également le deuxième investissement direct effectué dans le cadre de la circulaire 331 de la Banque centrale, après les 200 000 dollars injectés en juin par la banque al-Mawarid dans Presella (voir Le Commerce du Levant no 5654). Ce dispositif permet aux banques d’investir une partie de leurs fonds propres dans des sociétés (start-up, incubateurs et accélérateurs ou fonds d’investissement en capital-risque) œuvrant dans “l’économie de la connaissance”. Ces investissements bénéficient d’une garantie à 75 % de la BDL, qui récupère néanmoins la moitié des profits potentiellement réalisés lors de la sortie prévue dans un délai de sept ans (voir Le Commerce du Levant n° 5645). « Les négociations avec la BLC Invest, mandatée pour gérer l’opération, ont commencé en février dernier. Nous sommes très vite tombés d’accord sur la vision stratégique pour consacrer l’essentiel de cette période à la négociation des modalités et contreparties de cet apport », explique Karim Safieddine. Une durée qui tient certes aux particularités des mécanismes de la circulaire 331, sans doute aussi au parcours fructueux sur le plan industriel mais cahoteux, sur le plan de l’ouverture capitalistique, de ses fondateurs.
Genèse d’un “Hulu libanais”
Tout commence en 2011, lorsque Karim Safieddine décide de démissionner de son poste aux studios Miramax à New York pour tenter de surfer sur la vague du “streaming” vidéo en créant une plate-forme spécifiquement dédiée au monde arabe. Il investit donc avec son ami Maroun Najm 300 000 dollars dans la création de Cinemoz (contraction de cinéma et de “moz”, banane en arabe) et complète ces fonds par un crédit Kafalat de 200 000 dollars, obtenu grâce à l’entregent de Samer Karam, le fondateur de Seeqnce (voir Le Commerce du Levant n° 5646).
Reste le plus dur : recruter les troupes, constituer un catalogue et surtout définir une stratégie de développement économique dans un secteur aussi prometteur que balbutiant. « Plusieurs pistes, tant en termes de génération de revenus que de leur partage avec les ayants droit, s’ouvraient à nous et il fallait impérativement tenir compte des spécificités du marché arabe, où le paiement en ligne s’avère très compliqué alors que la publicité est en plein boom. Au modèle économique de la VOD par abonnement (SVOD en anglais) de Netflix, nous avons donc préféré celui de Hulu, gratuit pour l’utilisateur et financé par la publicité (AVOD en anglais) », explique Karim Safieddine. Pour ce qui est du contenu un seul impératif : l’identité arabe. Cinemoz devient ainsi le diffuseur en ligne de vedettes renommées telles que le réalisateur égyptien Youssef Chahine ou son concitoyen Adel Imam comme de courts-métrages de talents émergents du Liban et de la région. « En revanche, on a très vite écarté les grosses franchises télévisées pour des raisons de rentabilité : un format Web coûte quelques dizaines de milliers de dollars par saison, alors qu’il faudra en investir plusieurs centaines pour les droits d’une série à succès », argumente Karim Safieddine. La rémunération des producteurs se fait soit par le partage des revenus publicitaires, soit par acquisition de licence ou une combinaison des deux.
Traversée du désert
Si la croissance commerciale suit une trajectoire exponentielle, permettant à Cinemoz de générer plus de 400 000 dollars de revenus publicitaires (essentiellement depuis 2013), son développement industriel est, lui, très vite subordonné aux contraintes d’un secteur particulièrement gourmand en capitaux pour financer les coûts de stockage, de diffusion et d’alimentation du catalogue. C’est là que les deux compères vont subir leurs premières véritables déconvenues. Quelques offres d’investisseurs internationaux se présentent pourtant, mais elles soulèvent plusieurs problèmes. « Pour résumer, alors que les investisseurs arabes s’avéraient particulièrement frileux et exigeaient des garanties énormes pour se couvrir, une boîte américaine nous a proposé 3 millions de dollars contre 30 % du capital, mais en nous fixant des objectifs complètement disproportionnés avec la réalité du marché régional. D’autres exigeaient une implantation en Californie... Or les montants et la valorisation importent peu s’il n’y a pas de véritable concordance de vues sur la stratégie et la visibilité sur l’avenir. En refusant ces fonds, on a perdu un an en termes de performance et de développement, mais acquis une expérience précieuse », raconte-t-il.
De ce rite de passage, il tire la leçon suivante : « Pour lever des fonds au Liban, il faut avoir un nom immaculé, pouvoir s’appuyer sur quelqu’un capable de mettre de l’huile dans les rouages et, si possible, le soutien d’une banque du fait de leur position incontournable dans le pays. » Reste que ces échecs successifs les obligent à recalibrer leur stratégie de croissance initiale vers une tactique plus défensive de consolidation de leurs parts de marché qui peut s’avérer périlleuse dans un secteur en accélération permanente. C’est donc en pleine traversée du désert qu’apparaît un rayon de lumière : la publication de la circulaire 331.
Partage d’expérience
Les deux compères comprennent très vite que le mécanisme peut changer les règles du jeu et résoudre les problèmes inhérents à la région, à condition toutefois de trouver les conditions permettant un véritable partage d’expérience entre deux mondes jusque-là étrangers l’un pour l’autre. « Notre partenaire s’est donné le temps de comprendre la valeur potentielle d’une entreprise tirant ses revenus de la publicité numérique. À notre grande surprise, il s’est même montré plus ambitieux que nous et bien plus enclin à nous laisser l’initiative stratégique que les investisseurs rencontrés jusque-là », se réjouit Maroun Najm. Un satisfecit qui ne peut que faire jubiler Fouad Rahmé, le directeur général de la BLC Invest mandatée pour structurer l’opération : « Au départ, il a fallu que chacun comprenne que nous avons les mêmes intérêts. Par exemple, plutôt que de débattre indéfiniment sur les conditions d’entrée et la valorisation de la société à ce moment-là ; nous avons défini une perspective stimulante de sortie en prévoyant un mécanisme d’indexation sur les performances futures, qui leur donnera droit à une part plus importante du capital s’ils obtiennent certains résultats. » Autre avantage : c’est désormais la BLC Invest qui, en sa qualité de partenaire stratégique, ira également lever 4 millions de dollars supplémentaires auprès d’autres investisseurs dans le courant de l’année 2015.
Des capitaux qui seront consacrés à la réactivation du plan de croissance initial avec trois piliers à peu près équitablement répartis : l’enrichissement du contenu, via l’acquisition de nouvelles licences et la mise en place d’une production interne pour permettre de franchir le seuil des 2 000 références (contre 1 200 actuellement) en un an ; le renforcement du marketing ; et enfin les ressources humaines, pour permettre aux fondateurs de se verser enfin un salaire et augmenter de 40 % leur masse salariale libanaise. Avec un double objectif pour la première année : tripler leur audience – à 1,2 million de vidéos vues par mois – et augmenter leurs revenus de 90 %, à 700 000 dollars. À plus long terme, le duo souhaite imposer Cinemoz comme la référence de la VOD arabe, et prendre la plus grande part possible d’un gâteau en croissance exponentielle mais déjà fragmenté entre près d’une dizaine d’acteurs, dont le jordanien Istikana, l’émirien ICFlix ou le service dédié du géant saoudien Rotana. Ce « pour être au rendez-vous quand un gros acteur mondial voudra pénétrer le marché arabe en nous rachetant », s’enthousiasme Karim Safieddine.