Un engouement certain pour les jeux vidéo et la téléphonie mobile, un pouvoir d’achat très élevé dans les pays du Golfe…
Ces ingrédients font de la zone Mena une cible de choix pour les développeurs de jeux sur Internet ou “smartphones”. Un créneau sur lequel des sociétés libanaises ont commencé à se positionner.
La première édition de la conférence Mega, organisée fin mars à l’ancienne station ferroviaire de Mar Mikhaël par l’IFP Group, a réuni une trentaine de professionnels venus d’une douzaine de pays pour tenter de décrypter le marché du jeu vidéo dans la zone Mena, nouvelle terre promise pour leur industrie. Certes, avec un chiffre d’affaires cumulé qui s’établit selon les sources (et en l’absence de statistiques fiables) dans une fourchette comprise entre 1 et 2,6 milliards de dollars, la région ne pèse pas lourd dans un marché mondial (équipements compris) estimé à 81,4 milliards de dollars en 2014 par Newzoo, un cabinet d’études spécialisé dans l’industrie du jeu. Mais avec un bassin de population de plus de 345 millions d’habitants – selon les chiffres de la Banque mondiale pour 2013 –, une langue commune qui devrait devenir la quatrième du Web, et un pouvoir d’achat particulièrement élevé dans les pays du Golfe, la zone Mena suscite de plus en plus de convoitises. Les géants vidéoludiques sont sur les rangs, mais aussi les quelques dizaines de développeurs de jeux libanais. Car, si les millions de dollars nécessaires pour développer les superproductions sur consoles et ordinateurs sont a priori hors de leur portée – l’an dernier, Activision Blizzard aurait investi quelque 500 millions de dollars dans un seul titre (Destiny) –, les développeurs libanais peuvent toujours tabler sur une niche à très fort potentiel : les jeux sur plates-formes Internet et mobiles.
Recettes internationales
Là encore, plusieurs facteurs suscitent leur enthousiasme : d’abord, un taux de pénétration de la téléphonie mobile qui a dépassé les 110 % dans la zone Mena en 2014 et devrait encore connaître une croissance à deux chiffres cette année. Ensuite, le fait que près de la moitié des détenteurs de terminaux de poche téléchargent des jeux, selon les données communiquées par l’IFP. Enfin et surtout, la multiplication des “success stories” internationales dans le segment des jeux sur Internet, réseaux sociaux et mobile. « En septembre dernier, Microsoft a déboursé 2,5 milliards de dollars pour racheter le suédois Mojang, le créateur indépendant du jeu Minecraft. C’est presque un milliard de plus que ce que le chinois Geely a déboursé pour acquérir Volvo », s’enthousiasmait lors de la conférence Mega Sten Selander, considéré comme l’un des pères fondateurs de l’industrie du jeu suédois. Confirmant la transition en cours, le cabinet Newzoo prédit qu’avec 30,3 milliards de dollars générés par les jeux mobiles cette année, leurs recettes dépasseront pour la première fois celles des jeux sur console, estimées, elles, à 25 milliards de dollars. « Les plates-formes mobiles devraient bientôt rivaliser technologiquement avec certaines consoles et entraîner une course aux armements au niveau des budgets. Ceci dit, même l’arrivée de géants comme Nintendo, qui vient de conclure un partenariat avec le développeur spécialisé DeNA, ne devrait pas empêcher de petits acteurs de chercher à percer avec des produits à moindre coût », anticipe Paul Chucrallah, directeur du fonds d’investissement Berytech Fund II. Une stratégie qui a réussi au Libanais Paul Salameh : conçu initialement comme un passe-temps, son “pet game” Pou a été téléchargé à plusieurs centaines de millions d’exemplaires depuis sa sortie en 2012.
Pour imposer la prochaine pépite sur le marché arabe, les développeurs libanais peuvent donc puiser certains ingrédients du succès dans les recettes de leurs pairs internationaux. D’abord en ce qui concerne la valorisation commerciale de leur œuvre : « La monétisation des produits et surtout le manque d’expérience locale en la matière constituent sans doute le principal obstacle à l’émergence de “success stories” arabes », considère le développeur saoudien Abdullah Hamed qui a notamment consacré une partie de sa courte carrière à conseiller ses homologues sur cet aspect. Car les grands succès du jeu mobile reposent sur un modèle économique spécifique, baptisé “freemium” ou “free to play”. À l’inverse de leurs pendants sur consoles, vendus la plupart du temps en version complète pour plusieurs dizaines de dollars, ces jeux sont gratuits lors du téléchargement – pour augmenter rapidement la base d’utilisateurs –, mais fournis dans une version bridée, afin de pousser le joueur à payer des options permettant de débloquer des bonus. Une formule qui a permis à certains studios, comme les scandinaves Supercell (éditeur de Clash Of Clans), King (Candy Crush) ou Riovo (Angry Birds) de générer des millions de dollars avec un seul jeu. Mais il s’agit là d’exceptions qui confirment toutes une règle identique : savoir arbitrer en permanence entre la visibilité de l’annonceur et le plaisir de l’utilisateur. « En moyenne, seuls 5 à 7 % des joueurs achètent ces options. Pour générer de l’argent, il faut donc concevoir le design et le placement dans le jeu de ces achats “In App” afin qu’ils soient le plus incitatifs possible sans pour autant altérer l’expérience du joueur », explique Lara Noujaïm, directrice marketing de Game Cooks qui a édité une dizaine de jeux sur mobile depuis 2012. « L’augmentation des capacités des appareils et du débit de connexion nous permet aussi d’envisager des alternatives de financement par de la publicité intelligente comme des vidéos que le joueur peut choisir de zapper ou de regarder pour obtenir des bonus », ajoute-t-elle, avant de rappeler que tous les jeux ne sont pas nécessairement conçus pour le “freemium” et que de plus en plus de titres payants commencent à trouver leur public.
Localisation du contenu
Car la valorisation d’un jeu à succès reste avant tout tributaire de son intérêt et de la créativité de ses développeurs. Si la diversité des concepts proposés ne cesse de s’accentuer, la tendance du “casual gaming” demeure solidement ancrée dans le marché. « Les consommateurs semblent plébisciter les jeux légers, aux règles simples, et ne réclamant pas d’implication trop prolongée. Mais il faut garder en tête que le succès est quasi impossible à prévoir : Riovo a sorti Angry Birds après une cinquantaine d’échecs… », observe Paul Chucrallah. De plus, après avoir multiplié les déclinaisons et produits dérivés de son célèbre opus, l’éditeur finlandais a fini par enchaîner les mauvais résultats financiers et licencier plus d’une centaine d’employés…
Un autre facteur-clé d’échec ou de succès potentiel, au niveau régional cette fois, réside dans l’adaptation aux spécificités et aux codes culturels de la clientèle arabe. Cela passe naturellement par le design des personnages, qui ne peuvent décemment suivre les canons physiques d’une Lara Croft, ainsi qu’une certaine circonspection dans le traitement de thématiques religieuses ou politiques. « En ce qui nous concerne, il ne s’agit pas vraiment d’autocensure, mais de simple bon sens. De ce point de vue, le fait de vivre dans un pays comme le Liban nous donne certainement un avantage comparatif par rapport aux développeurs occidentaux », avance Lara Noujaïm. Le facteur linguistique peut également se révéler un atout. « Les joueurs de la région ont besoin de contenus qui s’adressent directement à eux. Or encore très peu de jeux sont édités en langue arabe : il y en a moins de 300 de disponibles sur l’App Store par exemple », explique Vince Ghossoub, cofondateur de Falafel Games. Ce Libanais s’est installé en Chine avec une stratégie spécifique : bénéficier des opportunités locales en termes d’expérience technique tout en confiant la direction artistique de ses jeux Web et mobile à des salariés originaires de la zone Mena afin de leur conférer « un twist arabe ». « Plutôt que de puiser dans les références occidentales, nous avons fait le pari d’exploiter le formidable réservoir d’histoires, mythes et légendes que compte la région pour développer des jeux reposant sur une forte identité locale », précise-t-il. Un pari qui s’avère pour l’instant gagnant et permet à Vince Ghossoub d’espérer générer “quelques” millions de dollars de chiffre d’affaires en 2015. D’autant que cette approche locale n’est pas forcément incompatible avec une visée globale : « Par exemple, notre jeu Run for Peace, qui propose d’aider le héros Salim à courir pour la paix à travers le Moyen-Orient, a été téléchargé à 1,6 million d’exemplaires dans le monde. Cela prouve qu’il est tout à fait possible de séduire une audience internationale avec un jeu pensé au départ pour une cible arabe », conclut Lara Noujaïm.
Recettes internationales
Là encore, plusieurs facteurs suscitent leur enthousiasme : d’abord, un taux de pénétration de la téléphonie mobile qui a dépassé les 110 % dans la zone Mena en 2014 et devrait encore connaître une croissance à deux chiffres cette année. Ensuite, le fait que près de la moitié des détenteurs de terminaux de poche téléchargent des jeux, selon les données communiquées par l’IFP. Enfin et surtout, la multiplication des “success stories” internationales dans le segment des jeux sur Internet, réseaux sociaux et mobile. « En septembre dernier, Microsoft a déboursé 2,5 milliards de dollars pour racheter le suédois Mojang, le créateur indépendant du jeu Minecraft. C’est presque un milliard de plus que ce que le chinois Geely a déboursé pour acquérir Volvo », s’enthousiasmait lors de la conférence Mega Sten Selander, considéré comme l’un des pères fondateurs de l’industrie du jeu suédois. Confirmant la transition en cours, le cabinet Newzoo prédit qu’avec 30,3 milliards de dollars générés par les jeux mobiles cette année, leurs recettes dépasseront pour la première fois celles des jeux sur console, estimées, elles, à 25 milliards de dollars. « Les plates-formes mobiles devraient bientôt rivaliser technologiquement avec certaines consoles et entraîner une course aux armements au niveau des budgets. Ceci dit, même l’arrivée de géants comme Nintendo, qui vient de conclure un partenariat avec le développeur spécialisé DeNA, ne devrait pas empêcher de petits acteurs de chercher à percer avec des produits à moindre coût », anticipe Paul Chucrallah, directeur du fonds d’investissement Berytech Fund II. Une stratégie qui a réussi au Libanais Paul Salameh : conçu initialement comme un passe-temps, son “pet game” Pou a été téléchargé à plusieurs centaines de millions d’exemplaires depuis sa sortie en 2012.
Pour imposer la prochaine pépite sur le marché arabe, les développeurs libanais peuvent donc puiser certains ingrédients du succès dans les recettes de leurs pairs internationaux. D’abord en ce qui concerne la valorisation commerciale de leur œuvre : « La monétisation des produits et surtout le manque d’expérience locale en la matière constituent sans doute le principal obstacle à l’émergence de “success stories” arabes », considère le développeur saoudien Abdullah Hamed qui a notamment consacré une partie de sa courte carrière à conseiller ses homologues sur cet aspect. Car les grands succès du jeu mobile reposent sur un modèle économique spécifique, baptisé “freemium” ou “free to play”. À l’inverse de leurs pendants sur consoles, vendus la plupart du temps en version complète pour plusieurs dizaines de dollars, ces jeux sont gratuits lors du téléchargement – pour augmenter rapidement la base d’utilisateurs –, mais fournis dans une version bridée, afin de pousser le joueur à payer des options permettant de débloquer des bonus. Une formule qui a permis à certains studios, comme les scandinaves Supercell (éditeur de Clash Of Clans), King (Candy Crush) ou Riovo (Angry Birds) de générer des millions de dollars avec un seul jeu. Mais il s’agit là d’exceptions qui confirment toutes une règle identique : savoir arbitrer en permanence entre la visibilité de l’annonceur et le plaisir de l’utilisateur. « En moyenne, seuls 5 à 7 % des joueurs achètent ces options. Pour générer de l’argent, il faut donc concevoir le design et le placement dans le jeu de ces achats “In App” afin qu’ils soient le plus incitatifs possible sans pour autant altérer l’expérience du joueur », explique Lara Noujaïm, directrice marketing de Game Cooks qui a édité une dizaine de jeux sur mobile depuis 2012. « L’augmentation des capacités des appareils et du débit de connexion nous permet aussi d’envisager des alternatives de financement par de la publicité intelligente comme des vidéos que le joueur peut choisir de zapper ou de regarder pour obtenir des bonus », ajoute-t-elle, avant de rappeler que tous les jeux ne sont pas nécessairement conçus pour le “freemium” et que de plus en plus de titres payants commencent à trouver leur public.
Localisation du contenu
Car la valorisation d’un jeu à succès reste avant tout tributaire de son intérêt et de la créativité de ses développeurs. Si la diversité des concepts proposés ne cesse de s’accentuer, la tendance du “casual gaming” demeure solidement ancrée dans le marché. « Les consommateurs semblent plébisciter les jeux légers, aux règles simples, et ne réclamant pas d’implication trop prolongée. Mais il faut garder en tête que le succès est quasi impossible à prévoir : Riovo a sorti Angry Birds après une cinquantaine d’échecs… », observe Paul Chucrallah. De plus, après avoir multiplié les déclinaisons et produits dérivés de son célèbre opus, l’éditeur finlandais a fini par enchaîner les mauvais résultats financiers et licencier plus d’une centaine d’employés…
Un autre facteur-clé d’échec ou de succès potentiel, au niveau régional cette fois, réside dans l’adaptation aux spécificités et aux codes culturels de la clientèle arabe. Cela passe naturellement par le design des personnages, qui ne peuvent décemment suivre les canons physiques d’une Lara Croft, ainsi qu’une certaine circonspection dans le traitement de thématiques religieuses ou politiques. « En ce qui nous concerne, il ne s’agit pas vraiment d’autocensure, mais de simple bon sens. De ce point de vue, le fait de vivre dans un pays comme le Liban nous donne certainement un avantage comparatif par rapport aux développeurs occidentaux », avance Lara Noujaïm. Le facteur linguistique peut également se révéler un atout. « Les joueurs de la région ont besoin de contenus qui s’adressent directement à eux. Or encore très peu de jeux sont édités en langue arabe : il y en a moins de 300 de disponibles sur l’App Store par exemple », explique Vince Ghossoub, cofondateur de Falafel Games. Ce Libanais s’est installé en Chine avec une stratégie spécifique : bénéficier des opportunités locales en termes d’expérience technique tout en confiant la direction artistique de ses jeux Web et mobile à des salariés originaires de la zone Mena afin de leur conférer « un twist arabe ». « Plutôt que de puiser dans les références occidentales, nous avons fait le pari d’exploiter le formidable réservoir d’histoires, mythes et légendes que compte la région pour développer des jeux reposant sur une forte identité locale », précise-t-il. Un pari qui s’avère pour l’instant gagnant et permet à Vince Ghossoub d’espérer générer “quelques” millions de dollars de chiffre d’affaires en 2015. D’autant que cette approche locale n’est pas forcément incompatible avec une visée globale : « Par exemple, notre jeu Run for Peace, qui propose d’aider le héros Salim à courir pour la paix à travers le Moyen-Orient, a été téléchargé à 1,6 million d’exemplaires dans le monde. Cela prouve qu’il est tout à fait possible de séduire une audience internationale avec un jeu pensé au départ pour une cible arabe », conclut Lara Noujaïm.