Un article du Dossier
La création libanaise accède au podium mondial
C’est un empire qu’il a construit de ses mains. Deux collections de haute couture par saison, quatre autres de prêt-à-porter vendues dans cent-cinquante points de vente répartis dans une cinquantaine de pays, une quinzaine de parfums, des sacs à main, des chaussures, des accessoires. Trente-cinq ans qu’Élie Saab dessine, crée, donne corps aux tissus et façonne les matériaux pour habiller les femmes du monde entier. Au point d’avoir réussi à élever son nom au rang de marque, réputée bien au-delà des frontières libanaises. Cette notoriété, Élie Saab l’a construite étape par étape, bâtissant son modèle économique méthodiquement. Car derrière le créateur se cache une autre figure moins connue : celle d’un homme d’affaires méticuleux, guidé par une vision. « Il ne suffit pas d’avoir des idées et de créer, il faut aussi savoir diriger son entreprise », confie-t-il au Commerce du Levant au cinquième étage de la Maison Élie Saab, établie depuis 2005 au centre-ville de Beyrouth. « J’ai une énorme équipe autour de moi – le groupe compte trois cents employés au Liban et près d’un millier au total dans le monde, mais c’est moi qui centralise les grandes décisions, dit-il. Depuis le premier jour, mon intention est de faire une fondation qui me survive. »
Dès son plus jeune âge, Élie Saab sait qu’il veut aller loin. Et vite. Lassé par ses premiers cours de couture, le Beyrouthin maîtrise très tôt les codes du métier et décide de mener son projet seul. Âgé d’à peine dix-huit ans, il ouvre en 1982 son premier atelier dans la capitale. Le Liban d’alors bénéficie d’un savoir-faire reconnu dans le monde entier. Mais là où la plupart de ses pairs se contentent de reproduire les robes des grands couturiers, Élie Saab veut créer, imprimer son style. Une signature qui ne le quittera plus, où se mêlent les influences modernes arabes et occidentales, où l’art de vivre libanais fait corps avec l’architecture et le design. Pour s’en donner les moyens, le couturier part dès ses débuts se fournir en tissus en France. Il autofinance sa première collection, vend l’intégralité, puis réinvestit les bénéfices dans la suivante. « Au bout de deux ans, j’avais déjà une liste de clientes importantes », se souvient-il. Ses premières adeptes sont libanaises, mais très vite, son cercle s’étend aux autres femmes de la région et Élie Saab conquiert les pays du Golfe. « En 1988, j’étais en pleine expansion, la presse régionale s’intéressait à mon travail, je sentais que le marché arabe était saturé », relève-t-il.
C’est donc tout naturellement vers l’épicentre de la mode que se tourne le couturier. Une première étape le mène en Italie. Rome devient la vitrine de sa couture, Milan le terrain d’expérimentation de ses premières lignes de prêt-à-porter. « Il me fallait élargir mon offre, proposer de nouveaux produits », explique-t-il pour justifier les débuts de sa diversification. Dès lors, Élie Saab développe son prêt-à-porter. « Le marché italien reste à une échelle nationale, au bout de dix collections présentées à Rome, je me suis dit qu’il fallait aller plus loin pour atteindre un marché international. »
Les années 2000 marquent le grand saut : le créateur se sent prêt pour partir à l’assaut de la capitale mondiale de la mode. Ses modèles et sa notoriété lui valent d’être invité par la Chambre syndicale de haute couture de Paris, la seule institution habilitée à délivrer le label “Haute Couture”. Élie Saab installe un siège dans le triangle d’or parisien, l’un des poumons du luxe mondial. Quelques coups de projecteurs donnent à son travail une nouvelle dimension comme ce jour de mars 2002 où la robe de satin au corsage brodé de fleurs portée par l’actrice américaine Halle Berry crève l’écran sur le tapis rouge de la soixante-quatorzième cérémonie des oscars.
L’entrée dans une nouvelle ère
Pendant cette ascension, Élie Saab n’oublie jamais le Liban. Si la promotion et la vente de sa couture se concentrent sur le Vieux Continent, le créateur continue de dessiner, de confier la confection de ses robes à ses ouvrières à Beyrouth. Seule la production de son prêt-à-porter – du fait, selon lui, du manque d’une « industrie structurée » au pays du Cèdre – est réalisée en Europe. Au début des années 2010, la Maison Élie Saab entre dans une nouvelle ère. Pour grandir et conquérir davantage de marchés, elle doit s’entourer, mettre de côté son modèle autosuffisant et lever de l’argent. La société ouvre son capital au fonds d’investissements Luxury Fund qui devient actionnaire à hauteur de 17 %. De nouveaux flagships – ces magasins qui portent une marque dans le monde – ouvrent à travers les grandes capitales. La dernière en date, la dixième du genre, s’établit en novembre sur la très chic Bruton Street de Londres, au cœur du quartier Mayfair. Une ouverture chiffrée à 12 millions de livres sterling, soit quelque 15 millions de dollars. Tout en misant sur la haute couture – elle représentait en 2016 entre 30 et 40 % de l’activité de son groupe –, Élie Saab compte sur sa large gamme de produits (accessoires, sacs, bijoux) et surtout sur le prêt-à-porter pour poursuivre son expansion. Une activité jugée nécessaire pour s’étendre et conquérir une nouvelle clientèle via une série de produits accessibles labellisés Élie Saab. La stratégie est payante. Le chef d’entreprise refuse de communiquer ses résultats financiers. Mais selon des données publiques disponibles en ligne, le chiffre d’affaires de la Maison Élie Saab France – l’un des deux principaux pôles d’activité de la marque – atteignait, en 2015, 15,3 millions d’euros (16,2 millions de dollars). Soit à titre d’exemple, de meilleurs résultats dans l’Hexagone qu’une Maison comme Paco Rabanne (13,8 millions d’euros) et presque aussi bons que celle d’un Jean-Paul Gauthier (15,7 millions d’euros). Pour continuer à grandir – une croissance qu’il veut géographique – Élie Saab veut être en mesure de proposer des collections susceptibles de plaire aux quatre coins de la planète, qu’il s’agisse d’une cliente japonaise ou bien d’une américaine. En termes de business, il est impressionné par Zara : « Ce groupe a eu l’intelligence de créer des produits standard à vocation globale. » Côté style et ambition, le couturier aime citer le parcours de Chanel – « une maison et une stratégie exceptionnelles », mais aussi ceux de Valentino ou de Christian Dior. Élie Saab sait que pour continuer de grandir, il lui faudra être endurant, tout en restant créatif.
« C’est l’un des métiers les plus difficiles au monde, il bouffe l’énergie, le temps, l’argent. Chaque jour, je dois prouver que je suis toujours là pour que la machine continue de tourner. »
Dès son plus jeune âge, Élie Saab sait qu’il veut aller loin. Et vite. Lassé par ses premiers cours de couture, le Beyrouthin maîtrise très tôt les codes du métier et décide de mener son projet seul. Âgé d’à peine dix-huit ans, il ouvre en 1982 son premier atelier dans la capitale. Le Liban d’alors bénéficie d’un savoir-faire reconnu dans le monde entier. Mais là où la plupart de ses pairs se contentent de reproduire les robes des grands couturiers, Élie Saab veut créer, imprimer son style. Une signature qui ne le quittera plus, où se mêlent les influences modernes arabes et occidentales, où l’art de vivre libanais fait corps avec l’architecture et le design. Pour s’en donner les moyens, le couturier part dès ses débuts se fournir en tissus en France. Il autofinance sa première collection, vend l’intégralité, puis réinvestit les bénéfices dans la suivante. « Au bout de deux ans, j’avais déjà une liste de clientes importantes », se souvient-il. Ses premières adeptes sont libanaises, mais très vite, son cercle s’étend aux autres femmes de la région et Élie Saab conquiert les pays du Golfe. « En 1988, j’étais en pleine expansion, la presse régionale s’intéressait à mon travail, je sentais que le marché arabe était saturé », relève-t-il.
C’est donc tout naturellement vers l’épicentre de la mode que se tourne le couturier. Une première étape le mène en Italie. Rome devient la vitrine de sa couture, Milan le terrain d’expérimentation de ses premières lignes de prêt-à-porter. « Il me fallait élargir mon offre, proposer de nouveaux produits », explique-t-il pour justifier les débuts de sa diversification. Dès lors, Élie Saab développe son prêt-à-porter. « Le marché italien reste à une échelle nationale, au bout de dix collections présentées à Rome, je me suis dit qu’il fallait aller plus loin pour atteindre un marché international. »
Les années 2000 marquent le grand saut : le créateur se sent prêt pour partir à l’assaut de la capitale mondiale de la mode. Ses modèles et sa notoriété lui valent d’être invité par la Chambre syndicale de haute couture de Paris, la seule institution habilitée à délivrer le label “Haute Couture”. Élie Saab installe un siège dans le triangle d’or parisien, l’un des poumons du luxe mondial. Quelques coups de projecteurs donnent à son travail une nouvelle dimension comme ce jour de mars 2002 où la robe de satin au corsage brodé de fleurs portée par l’actrice américaine Halle Berry crève l’écran sur le tapis rouge de la soixante-quatorzième cérémonie des oscars.
L’entrée dans une nouvelle ère
Pendant cette ascension, Élie Saab n’oublie jamais le Liban. Si la promotion et la vente de sa couture se concentrent sur le Vieux Continent, le créateur continue de dessiner, de confier la confection de ses robes à ses ouvrières à Beyrouth. Seule la production de son prêt-à-porter – du fait, selon lui, du manque d’une « industrie structurée » au pays du Cèdre – est réalisée en Europe. Au début des années 2010, la Maison Élie Saab entre dans une nouvelle ère. Pour grandir et conquérir davantage de marchés, elle doit s’entourer, mettre de côté son modèle autosuffisant et lever de l’argent. La société ouvre son capital au fonds d’investissements Luxury Fund qui devient actionnaire à hauteur de 17 %. De nouveaux flagships – ces magasins qui portent une marque dans le monde – ouvrent à travers les grandes capitales. La dernière en date, la dixième du genre, s’établit en novembre sur la très chic Bruton Street de Londres, au cœur du quartier Mayfair. Une ouverture chiffrée à 12 millions de livres sterling, soit quelque 15 millions de dollars. Tout en misant sur la haute couture – elle représentait en 2016 entre 30 et 40 % de l’activité de son groupe –, Élie Saab compte sur sa large gamme de produits (accessoires, sacs, bijoux) et surtout sur le prêt-à-porter pour poursuivre son expansion. Une activité jugée nécessaire pour s’étendre et conquérir une nouvelle clientèle via une série de produits accessibles labellisés Élie Saab. La stratégie est payante. Le chef d’entreprise refuse de communiquer ses résultats financiers. Mais selon des données publiques disponibles en ligne, le chiffre d’affaires de la Maison Élie Saab France – l’un des deux principaux pôles d’activité de la marque – atteignait, en 2015, 15,3 millions d’euros (16,2 millions de dollars). Soit à titre d’exemple, de meilleurs résultats dans l’Hexagone qu’une Maison comme Paco Rabanne (13,8 millions d’euros) et presque aussi bons que celle d’un Jean-Paul Gauthier (15,7 millions d’euros). Pour continuer à grandir – une croissance qu’il veut géographique – Élie Saab veut être en mesure de proposer des collections susceptibles de plaire aux quatre coins de la planète, qu’il s’agisse d’une cliente japonaise ou bien d’une américaine. En termes de business, il est impressionné par Zara : « Ce groupe a eu l’intelligence de créer des produits standard à vocation globale. » Côté style et ambition, le couturier aime citer le parcours de Chanel – « une maison et une stratégie exceptionnelles », mais aussi ceux de Valentino ou de Christian Dior. Élie Saab sait que pour continuer de grandir, il lui faudra être endurant, tout en restant créatif.
« C’est l’un des métiers les plus difficiles au monde, il bouffe l’énergie, le temps, l’argent. Chaque jour, je dois prouver que je suis toujours là pour que la machine continue de tourner. »