Un article du Dossier
La création libanaise accède au podium mondial
C’est l’un des rendez-vous incontournables du secteur. La cérémonie des oscars et son défilé de stars. Une exposition de choix pour le monde de la couture. Sur le tapis rouge de cette 89e édition, les créateurs libanais ont encore brillé. D’Élie Saab à Georges Chakra en passant par Zuhair Murad, pas moins de huit personnalités parées de modèles estampillés “pays du Cèdre” ont fait crépiter les flashs des photographes. Un bon indicateur de la notoriété des maisons de couture libanaises. Et l’illustration d’autant de réussites individuelles. Difficile pourtant de se faire une idée du poids du secteur au Liban tant l’opacité règne derrière les murs des ateliers. En 2007, une étude de l’Université américaine de Beyrouth (AUB) chiffrait le milieu de la mode à 40 millions de dollars. « On peut estimer qu’une dizaine de créateurs libanais réalisent aujourd’hui un chiffre d’affaires de plus de dix millions de dollars », avance Nadim Chammas, ancien directeur général de la maison Élie Saab, désormais consultant et fondateur de la franchise de prêt-à-porter Slowear. Si ces chiffres ne résultent pas de la seule activité couture des maisons libanaises, cette dernière s’est imposée comme une vitrine. « Beaucoup des grands noms ont d’abord installé leur marque en couture dans le paysage de la mode, avant ensuite de diversifier leur offre, puis de s’étendre géographiquement. » « Par couture, on entend un travail artisanal fait sur-mesure en opposition au côté industriel du prêt-à-porter, détaille Marie-Christine Tabet, auteure d’une enquête sur le secteur en 2015 pour le réseau de soutien mondial aux entrepreneurs Endeavor. « L’avantage compétitif du Liban se situe clairement sur cette activité, poursuit-elle. D’abord grâce à un savoir-faire et une réputation solide, mais aussi car contrairement au prêt-à-porter qui nécessite une production de masse, donc une industrie structurée qui demeure peu développée au Liban, la couture est un artisanat avec un volume de production faible, mais à forte valeur monétaire. » Avec des robes qui se vendent jusqu’à plusieurs dizaines de milliers de dollars – voire parfois davantage – ne faire que dans la couture sur-mesure relèverait donc d’une activité rentable. « Nous grandissons de façon organique, sans prêt, ni recours à des investisseurs privés, affirme Krikor Jabotian, qui a opté pour ce modèle. Si le manque de tissus pousse les couturiers à importer, côté production, la tendance reste, elle, nettement au “Made in Lebanon”. « La main-d’œuvre de qualité est là, même si elle risque de disparaître du fait du manque de formations aux métiers techniques », alerte Marie-Christine Tabet. D’autant qu’avec le conflit voisin en Syrie, de plus en plus d’ouvriers qualifiés viennent désormais frapper aux portes des établissements libanais. « Ils sont prêts à travailler pour 500 dollars par mois, lorsque le salaire de base de nos employés est de 1 000 dollars », confie le responsable d’un établissement qui préfère garder l’anonymat. Des maisons centrées sur une production locale donc mais aussi dans le même temps tournées vers l’étranger, passage obligé pour dépasser un marché libanais étroit. Et conquérir une nouvelle clientèle. Dans cette optique, les habitants du Golfe et leur fort pouvoir d’achat ont toujours constitué un public choyé par les créateurs libanais. Mais avec le désamour des touristes de la péninsule pour le Liban à partir de 2012, les maisons de couture ont dû s’adapter. « Nous avons dû multiplier les allers-retours pour partir à leur rencontre », détaille Krikor Jabotian dont plus de la moitié de la clientèle se situe dans ces pays.
« Sortir des petites mentalités »
Avec autant de réussites érigées en modèle, les couturiers libanais ont fait naître des vocations. Pour Nadim Chammas, « Élie Saab a ouvert la voie avec sa notoriété acquise à l’étranger ». « Il y a eu une création de valeur à partir des années 2000 », relève l’intéressé. En dix-huit ans, pas moins de sept écoles ou formations dans les universités consacrées aux métiers de la mode ont vu le jour. Des établissements parrainés par les icônes du secteur comme Rabih Kayrouz avec l’Académie libanaise des beaux-arts (Alba). Cette tendance des couturiers confirmés à enfiler le costume de mentors se confirme dans l’étude d’Endeavor selon laquelle un tiers des jeunes créateurs consultés ont fait leurs premiers pas dans les maisons d’Élie Saab ou de Rabih Kayrouz. Ce dernier permet d’ailleurs depuis 2008 à des talents d’émerger via la fondation Starch créée avec Tala Hajjar. « En neuf ans, Starch a permis à une quinzaine de créateurs de mode de se lancer », se félicite-t-il. « L’écosystème est en formation, mais il est inabouti, il manque l’argent, le nerf de la guerre », estime Nadim Chammas. Les métiers de la création ne sont pas valorisés. » L’entrepreneur en veut pour preuve la circulaire 331 mise en place par la Banque du Liban pour accompagner l’économie de la connaissance qui aurait dû selon lui « s’appliquer aux industries créatives au sens large, car elles disposent d’un effet démultiplicateur incroyable ». « Les investisseurs perçoivent encore les couturiers comme des artistes et non comme des hommes d’affaires, créateurs de richesses », abonde Marie-Christine Tabet. Un cas particulièrement vrai pour les jeunes en quête de financements pour se lancer. « Beyrouth est le numéro deux de la couture dans le monde », estime Élie Saab. La clé pour grimper sur la première marche du podium ? « S’unir, faire un syndicat efficace et sortir des petites mentalités », confie-t-il. Car aujourd’hui, peu de projets semblent en mesure de fédérer le secteur à l’image de ce qui se fait dans les Fashion Week new-yorkaise, londonienne, milanaise ou parisienne. « Une semaine de la mode implique beaucoup de logistique, une coordination, l’intérêt des sponsors, des clients, de la presse internationale… or, nous avons déjà du mal à former un gouvernement… », soupire Georges Chakra. « Nous avons essayé à plusieurs reprises, mais cela a toujours échoué, regrette de son côté Élie Saab. Il nous faudrait des soutiens… Il ne s’agit pas ici de faire rentrer de l’argent, mais bien de créer une vitrine pour le pays. » Un rôle qu’a depuis endossé Dubaï, actif à travers tout un réseau d’événements et d’accompagnements pour les designers de la région. Dernier exemple en date : la quatrième édition de l’Arab Fashion Week qui se déroule dans l’émirat du 16 au 20 mai (2017) à l’initiative de l’Arab Fashion Council (AFC) sur le modèle de la “ready-couture” (des créations à mi-chemin entre la couture et le prêt-à-porter). La manifestation, financée intégralement par des sponsors, offrait une série d’avantages aux créateurs sélectionnés, dont la fourniture du nécessaire à la production d’un défilé : depuis le maquillage jusqu’aux mannequins. Et une exposition, dans la lignée des défilés des plus grandes capitales de la mode.
« Sortir des petites mentalités »
Avec autant de réussites érigées en modèle, les couturiers libanais ont fait naître des vocations. Pour Nadim Chammas, « Élie Saab a ouvert la voie avec sa notoriété acquise à l’étranger ». « Il y a eu une création de valeur à partir des années 2000 », relève l’intéressé. En dix-huit ans, pas moins de sept écoles ou formations dans les universités consacrées aux métiers de la mode ont vu le jour. Des établissements parrainés par les icônes du secteur comme Rabih Kayrouz avec l’Académie libanaise des beaux-arts (Alba). Cette tendance des couturiers confirmés à enfiler le costume de mentors se confirme dans l’étude d’Endeavor selon laquelle un tiers des jeunes créateurs consultés ont fait leurs premiers pas dans les maisons d’Élie Saab ou de Rabih Kayrouz. Ce dernier permet d’ailleurs depuis 2008 à des talents d’émerger via la fondation Starch créée avec Tala Hajjar. « En neuf ans, Starch a permis à une quinzaine de créateurs de mode de se lancer », se félicite-t-il. « L’écosystème est en formation, mais il est inabouti, il manque l’argent, le nerf de la guerre », estime Nadim Chammas. Les métiers de la création ne sont pas valorisés. » L’entrepreneur en veut pour preuve la circulaire 331 mise en place par la Banque du Liban pour accompagner l’économie de la connaissance qui aurait dû selon lui « s’appliquer aux industries créatives au sens large, car elles disposent d’un effet démultiplicateur incroyable ». « Les investisseurs perçoivent encore les couturiers comme des artistes et non comme des hommes d’affaires, créateurs de richesses », abonde Marie-Christine Tabet. Un cas particulièrement vrai pour les jeunes en quête de financements pour se lancer. « Beyrouth est le numéro deux de la couture dans le monde », estime Élie Saab. La clé pour grimper sur la première marche du podium ? « S’unir, faire un syndicat efficace et sortir des petites mentalités », confie-t-il. Car aujourd’hui, peu de projets semblent en mesure de fédérer le secteur à l’image de ce qui se fait dans les Fashion Week new-yorkaise, londonienne, milanaise ou parisienne. « Une semaine de la mode implique beaucoup de logistique, une coordination, l’intérêt des sponsors, des clients, de la presse internationale… or, nous avons déjà du mal à former un gouvernement… », soupire Georges Chakra. « Nous avons essayé à plusieurs reprises, mais cela a toujours échoué, regrette de son côté Élie Saab. Il nous faudrait des soutiens… Il ne s’agit pas ici de faire rentrer de l’argent, mais bien de créer une vitrine pour le pays. » Un rôle qu’a depuis endossé Dubaï, actif à travers tout un réseau d’événements et d’accompagnements pour les designers de la région. Dernier exemple en date : la quatrième édition de l’Arab Fashion Week qui se déroule dans l’émirat du 16 au 20 mai (2017) à l’initiative de l’Arab Fashion Council (AFC) sur le modèle de la “ready-couture” (des créations à mi-chemin entre la couture et le prêt-à-porter). La manifestation, financée intégralement par des sponsors, offrait une série d’avantages aux créateurs sélectionnés, dont la fourniture du nécessaire à la production d’un défilé : depuis le maquillage jusqu’aux mannequins. Et une exposition, dans la lignée des défilés des plus grandes capitales de la mode.
Le petit écran, tremplin de carrière Quinze candidats, treize semaines de compétition, un jury présidé par Élie Saab, et à la clé un chèque de 50 000 dollars, un contrat d’un an avec l’espace créatif Dubai Design District (D3), une carte annuelle de membre au Dubai Fashion Council, et un article dans le magazine de mode Harper’s Bazaar Arabia. La première édition de l’émission “Project Runway Middle East”, diffusée sur MBC, a récompensé le Libanais Alaa Najd. « C’est la pierre angulaire pour tout entrepreneur qui vise le succès, estime le vainqueur qui en plus de bénéficier d’une forte exposition régionale a pu ouvrir sa propre maison de couture avec le montant récolté. Dubai One y était allée aussi de son programme l’an dernier avec la diffusion de “Fashion Star”, parrainé par la créatrice libanaise Reem Acra. Faut-il voir derrière ces émissions un aveu d’échec dans l’accompagnement des jeunes créateurs dans la région ? Alaa Najd y perçoit plutôt « un coup de pouce nécessaire pour exister par soi-même et devenir un designer à succès et réputé ». Et certainement pour les chaînes de télévision de très bons résultats d’audiences dans la lignée de ces émissions mettant en valeur des “talents” qui rassemblent chaque semaine des millions de téléspectateurs. |