Augmentation des débits, baisse des tarifs, déploiement de la fibre optique à la fois par le secteur public et privé… En multipliant les initiatives, après des années d’inertie, la nouvelle équipe en place à la tête du ministère des Télécoms et d’Ogero ranime l’éternelle promesse du haut débit. Difficile toutefois d’évaluer les effets de ces mesures sur un secteur qui manque toujours aussi cruellement d’un cadre stratégique.
L’Internet haut débit au Liban, c’est presque une légende urbaine. Tout le monde en a entendu parler, mais rares sont ceux qui l’ont réellement expérimenté, du moins sur le réseau fixe. Un rapport du ministère des Télécommunications publié en 2016 affirme que 74 % des abonnés de l’Internet fixe bénéficient d’une vitesse allant de 2 à 10 mégabits par seconde (Mbps), qui correspond théoriquement à du haut débit. Mais la réalité est tout autre. Au premier semestre 2016, la vitesse moyenne de l’Internet au Liban a été estimée par la société américaine Akamai à seulement 1,8 Mbps, contre une moyenne mondiale de 6,3 Mbps. Malgré les nombreux investissements réalisés par l’État ces dix dernières années, la majorité des Libanais restent privés d’une connexion Internet de qualité. L’arrivée de Jamal Jarrah à la tête du ministère des Télécommunications et la nomination d’un nouveau directeur à Ogero, l’organisme public qui gère le réseau fixe, sont présentées par la coalition gouvernementale actuelle comme un tournant dans l’histoire chaotique de ce secteur. La nouvelle équipe promet une amélioration notable du service dans les mois à venir et des décisions majeures ont récemment été prises. La plus emblématique est certainement l’autorisation accordée à un acteur privé d’exploiter un réseau de fibre optique, alors que le gouvernement n’a toujours pas fixé des objectifs clairs, ni le cadre structurel lui permettant de les atteindre. Le haut débit n’est pas une fin en soi, d’autant qu’avec les progrès technologiques, la notion est très évolutive. D’où l’intérêt de développer un cadre stratégique qui répond à une série de questions : d’abord les télécommunications sont-elles simplement une source de revenus pour l’État, comme c’est le cas au Liban, ou un vecteur de développement économique et social ? Dans cette deuxième optique, comment les pouvoirs publics peuvent-ils en maximiser les retours ? L’État a-t-il intérêt à financer et développer des infrastructures neutres, et les ouvrir à la concurrence ou au contraire laisser faire la logique commerciale des opérateurs privés ? Comment concilier les objectifs de rentabilité, d’aménagement du territoire et d’intérêt public ? Ces questions, ni le ministre actuel ni ses prédécesseurs n’y ont répondu, et ce vide est sans doute à l’origine des résultats plus que mitigés obtenus jusque-là.
L’arrivée du DSL
Les premières promesses de haut débit remontent à 2007, date de l’arrivée de la technologie DSL qui a remplacé le traditionnel “dial-up” sur les lignes téléphoniques, grâce à l’installation aux deux extrémités du réseau d’équipements permettant de faire passer la voix et les données simultanément : dans les centraux téléphoniques de l’État et chez l’utilisateur. Le réseau, encore en cuivre à l’époque, étant la propriété de l’État, Ogero a été chargée de gérer ce nouveau service. Cet organisme hérité de l’époque mandataire (officiellement appelé Organisme de gestion et d’exploitation des équipements transférés par Radio-Orient à l’État libanais) bénéficie d’un statut particulier par rapport à d’autres administrations. Les gouvernements d’après-guerre y ont donc vu un moyen de recruter des compétences dans le secteur, sans passer par la fonction publique. Au départ, en 1994, il a été chargé des travaux de maintenance du réseau de télécommunication fixe pour le compte de l’État. Puis au fil des ans, les décisions du même type se sont succédées, confiant à Ogero diverses tâches liées au contrôle ou à l’exécution de travaux, aux câbles terrestres et sous-marins, aux satellites, jusqu’au réseau DSL… Mais à cette époque, le ministre des Télécommunications, Marwan Hamadé, décide d’impliquer aussi le secteur privé, dans l’esprit de la loi de libéralisation du secteur votée cinq ans plus tôt (la loi 431). Cette loi prévoit le transfert des actifs de l’État à un opérateur public, Liban Télécom, appelé à être partiellement privatisé, et l’entrée sur le marché d’opérateurs privés, licenciés par une Autorité de régulation, qui agirait comme un arbitre entre les différents acteurs. Le ministère, lui, devait établir la politique générale du secteur, définissant les objectifs de déploiement et le rôle de l’Etat, dans l’intérêt public. Mais cette loi n’ayant jamais été mise en œuvre, le ministre passe outre en ouvrant la porte seulement aux entreprises privées déjà actives dans le secteur, les Data Service Provider (DSP). Ces opérateurs, au nombre de six, avaient obtenu en 1996 une autorisation du Conseil des ministres leur permettant de construire un réseau sans fil pour répondre aux besoins de transmission de données des grandes entreprises, notamment des banques qui avaient besoin de communiquer avec leurs différentes branches, en attendant la réhabilitation du réseau filaire public, endommagé par la guerre civile. Elles ont obtenu des licences leur accordant le droit d’utiliser les fréquences de l’État pour une période de cinq ans moyennant une redevance de 20 %. Des licences renouvelées chaque année depuis, même si elles ont théoriquement perdu leur raison d’être. Ces réseaux permettent la transmission de données pour de grands clients, mais aussi des données Internet pour le compte des fournisseurs d’accès à Internet, les ISP (Internet Service Provider dont les principaux étaient des filiales des DSP), à travers des technologies sans fil. Avec l’arrivée du DSL, un décret approuvé en 2007 leur donne pour la première fois accès au réseau filaire, en leur permettant d’installer leurs propres équipements dans les centraux de l’État. Le développement des opérateurs privés sur ce créneau s’est toutefois heurté à une logique concurrente défendue par Abdel Menhem Youssef, qui cumulait à l’époque les fonctions de directeur d’Ogero et de directeur général de l’exploitation et de la maintenance du ministère des Télécommunications, et qui les considérait comme une menace pour la future Liban Télécom.
Le puissant Abdel Menhem Youssef
À défaut de cadre structurant le secteur des télécoms en général et le service Internet en particulier, la jeune Autorité de régulation des télécoms (ART) créée en 2007 s’est retrouvée dans la position d’un arbitre entre différents joueurs sans aucune règle du jeu de référence. Son rôle a été affaibli, d’une part, par le ministère qui, faute d’une politique générale, voulait conserver sa capacité d’intervention sur le secteur et, d’autre part, par les opérateurs privés existants qui craignaient une ouverture du marché susceptible de menacer leurs positions acquises. L’autorité ne tarde pas à entrer dans un semi-coma, dont elle n’est toujours pas sortie à ce jour. Dans ce contexte, la puissance statutaire d’Ogero lui permet de s’imposer face aux autres, pour occuper une position quasi monopolistique sur le marché du détail.
L’emprise d’Ogero sur le secteur est d’autant plus importante qu’il gère également la chaîne en amont, au niveau des capacités internationales. Le Liban accède à la bande passante internationale à travers des câbles maritimes dont la sous-capacité a longtemps constitué un goulot d’étranglement. Mais les tuyaux ont ensuite été largement ouverts, l’État ayant investi 45 millions de dollars dans le câble Imewe (India Middle East Western Europe) en 2011, puis 37,5 millions de dollars dans le câble Alexandros en 2013 pour assurer une redondance en cas de panne. Ogero est toutefois resté maître de la distribution de ce débit : la bande passante internationale achetée par l’État est distribuée aux différents acteurs du marché sous la forme de lignes E1 donnant 2 Mbps chacune, et dont le prix est fixé en Conseil des ministres. La forte augmentation de la bande passante internationale devait en théorie se traduire par une augmentation du nombre de E1 distribuées et une baisse des prix. Si cette deuxième conséquence s’est vérifiée, en revanche les volumes n’ont pas suivi : pendant des années, Abdel Menhem Youssef a entretenu une pénurie artificielle en distribuant les E1 au compte-gouttes, ralentissant les débits disponibles et favorisant au passage la création d’un important marché noir. Dénoncé par le ministre Charbel Nahas et son successeur Nicolas Sehnaoui, ainsi que par la plupart des opérateurs du secteur privé, ce comportement n’a pas été remis en question, le soutien à la personne de Abdel Menhem Youssef – proche du courant du Futur – ayant été transformé en enjeu politico-confessionnel. La frustration est d’autant plus grande que les investissements importants réalisés sur le réseau ne se traduisent pas par une amélioration palpable pour les consommateurs.
Le backbone en fibre optique
En 2011, le ministre Nahas décide en effet de déployer 4 500 kilomètres de fibre optique sur la partie centrale du réseau : le réseau dorsal (dit backbone) qui relie les points d’accès des câbles maritimes aux centraux téléphoniques du pays, et quelque 350 gros utilisateurs (fournisseurs d’accès, administrations, banques, universités, hôpitaux, des médias ainsi que les deux réseaux de téléphonie mobile en vue de préparer le lancement de la 3G). La promesse était alors de permettre aux Libanais de bénéficier d’une vitesse théorique de connexion de 15 Mbps, dans un délai d’un an à 16 mois. L’appel d’offres est remporté par la joint-venture CET-Alcatel pour un montant de 40 millions de dollars. Mais les travaux prennent du retard, notamment en raison des conflits existants avec Ogero, et ne s’achèveront que fin 2013, date à laquelle le ministre Boutros Harb prend le relai. Ce dernier conteste la qualité des travaux menés sur certains tronçons du réseau en fibre, et rechigne à l’activer. Aucun changement notable n’est constaté au niveau des E1, ni des vitesses de connexion. En revanche, le ministre annonce en grande pompe un projet très ambitieux : le remplacement des câbles en cuivre par de la fibre optique sur la deuxième partie du réseau, la boucle locale ou dernier kilomètre (local loop ou last mile en anglais), qui relie les centraux téléphoniques aux utilisateurs finaux, en passant par les armoires de rues installées dans les quartiers, appelés sous-répartiteurs (Cabinet ou Curb), les rues et les immeubles. Montant estimé du projet : plus de 600 millions de dollars, un montant sous-évalué selon certains experts.
Boutros Harb et le FTTx
La paire de cuivre permet de fournir du haut débit grâce à différentes techniques regroupées sous le terme générique xDSL. L’inconvénient est qu’elle subit une atténuation importante au bout de quelques kilomètres. Concrètement, sur les réseaux en cuivre, la vitesse dépend de la distance entre l’utilisateur et le central téléphonique. L’ADSL 2+, par exemple, qui est installée dans certains centraux, permet un débit théorique maximal de 25 Mbps, à condition d’être situé à moins de 3 000 mètres du central. Au-delà, les débits sont les mêmes que ceux proposés par l’ADSL. Le VDSL 2, lui, offre un débit théorique de 50 Mbps mais seulement sur une distance inférieure à 300 mètres.
Le débit de la fibre optique, en revanche, ne décline presque pas avec la distance. La fibre peut être déployée en complément de la paire de cuivre, seulement du central téléphonique jusqu’aux sous-répétiteurs dans les quartiers (Fiber to the Curb − FTTC), ce qui permet de profiter pleinement des technologies xDSL ; ou directement jusqu’à l’abonné, en se passant totalement du cuivre. La fibre jusqu’aux bureaux (Fiber to the Office − FTTO) ; jusqu’aux immeubles (Fiber to the Building − FFTB) ou aux appartements individuels ou les maisons (Fiber to the Home − FTTH), permet d’accéder à du très haut débit, plus de 100 Mbps, mais son coût de déploiement est très élevé. Pour cette raison, la fibre jusqu’à l’abonné est en général privilégiée dans les zones urbaines denses. Le ministre Harb, lui, promet un déploiement sur l’ensemble du territoire à l’horizon 2020, mais durant les deux années de son mandat, aucun appel d’offres n’est annoncé, du moins publiquement. Quelques projets pilotes sont réalisés par Ogero, sans que les critères de sélection ne soient justifiés. Le FTTC est déployé par exemple dans la région de Koura, permettant aux habitants du village de Ras Maska de bénéficier d’une vitesse de 100 Mbps grâce au VDSL2, tandis que les heureux habitants d’un immeuble résidentiel à Verdun, Beirut 2020, accèdent à une vitesse supérieure à 500 Mbps grâce à la FTTH. Dans le dernier rapport d’avancement du projet, le ministère faisait état de 8 253 bénéficiaires de la FTTC et 288 de la FTTO.
L’ouverture des robinets
L’entrée en fonctions du nouveau gouvernement de Saad Hariri en 2017 marque une nouvelle étape pour le secteur, le remplacement de Abdel Menhem Youssef étant l’une de ses premières décisions. Politiquement fragilisé, l’inamovible patron d’Ogero est remplacé par Imad Kreidié. Celui-ci change immédiatement sa politique d’octroi de E1. Des tests effectués en avril révèlent l’impact de l’ouverture du robinet : les vitesses enregistrées vont jusqu’à 16 Mbps, voire 27 Mbps, chez certains utilisateurs. « Il n’y avait simplement pas assez de capacité distribuée sur le marché, explique-t-il. Rien ne justifie la politique menée à ce niveau ces dix dernières années. » Début juin, le Conseil des ministres consacre cette nouvelle orientation en adoptant par décret une baisse drastique des prix de l’Internet fournis par Ogero et des E1, qui sont réduits de plus de la moitié. Mais le texte, qui à l’heure de passer sous presse n’avait pas encore été publié au Journal officiel, est contesté, car il introduit, pour la première fois, des tarifs de E1 dégressifs selon les tranches de consommation. Dans un avis consultatif, le Conseil d’État s’était prononcé contre cette mesure qui favorise, selon lui, les gros opérateurs au détriment des petits, et fausse donc la concurrence.
Fibre optique pour GDS
Cette mesure est d’autant plus contestée que le ministre Jamal Jarrah a accordé, quelques semaines plus tôt, discrètement, un avantage considérable à une entreprise privée, dont les propriétaires sont réputés proches à la fois des courants aounistes et du courant du Futur : Global Data Services. GDS qui, selon son PDG Habib Torbey, est le plus grand DSP du pays avec près de 60 % du marché des transmissions de données, a obtenu le droit de déployer la fibre optique jusqu’à l’abonné (Fiber to the Home) en utilisant les conduits d’Ogero, ou en creusant les siens. Là encore, cette décision ne s’est appuyée sur aucune stratégie clairement définie. Le ministre, qui n’a pas répondu à nos multiples demandes d’entretien, l’a simplement justifié par l’existence d’un décret adopté en Conseil des ministres en 2000 accordant à GDS et à deux autres DSP le droit de passage et de connexion au réseau de l’État. « Nous savions déjà à l’époque que notre infrastructure sans fil serait insuffisante, à terme, pour répondre aux besoins de nos clients. Le ministre actuel n’a fait qu’appliquer le décret en définissant les conditions exécutives de ce droit de passage », explique Habib Torbey. Selon lui, les principales conditions imposées par le ministre sont le versement d’une redevance de 20 % à l’État (desquels sont soustraits les droits de passage que l’opérateur doit payer séparément pour chaque mètre de conduit utilisé, définis en Conseil des ministres) et l’engagement à traiter les fournisseurs d’accès Internet (ISP) sur un pied d’égalité, sachant que GDS est une société sœur d’IDM, l’un des principaux ISP du pays. La décision du ministre, révélée par le quotidien al-Akhbar, a toutefois été suspendue par le juge des référés de Baabda, saisi par un activiste de la société civile, qui a par ailleurs présenté aussi un recours auprès du Conseil d’État. Ce dernier ne s’est pas encore prononcé, mais le juge des référés a demandé à GDS de justifier son lien avec la société Data Sat, bénéficiaire du décret de 2000 et avec laquelle GDS affirme avoir fusionné, de préciser la méthode de calcul des frais de passage et d’étayer son engagement à respecter la concurrence.
La course aux conduits
Le droit accordé de gré à gré à GDS a naturellement suscité un tollé auprès de ses concurrents. Le ministre promet alors la même décision à toutes les entreprises ayant déjà obtenu un droit de passage en 2000, et de faire valoir ce droit pour les autres auprès du Conseil des ministres. Début juin, Waves et Trisat obtiennent à leur tour le droit de déployer la fibre optique (sur la base du décret de 2000) tandis que d’autres DSP déposent leur candidature, comme Pesco Telecom. « Nous avons fait une demande auprès du ministère, confirme son PDG, Rony Kaddoum. Mais il semble que le Conseil des ministres réclame désormais un cadre général pour organiser le déploiement en amont. » Par souci de rentabilité, les opérateurs vont vouloir s’installer dans les régions les plus lucratives, abritant une forte densité de population ou de grandes entreprises, alors que la capacité d’accueil des conduits de l’État est limitée dans certaines zones. « Il faut absolument un chef d’orchestre, un régulateur qui répartisse les zones par adjudication, sachant que cette opération n’est vraiment pas simple », estime Rony Kaddoum. Pour le PDG de GDS, au contraire « il faut faire confiance à la fonction autorégulatrice d’une économie libérale. Il y a certaines zones où nous pourrons partager les conduits et d’autres où nous serons en concurrence. De toutes les manières, en l’absence d’une autorité opérationnelle, la fonction de régulation revient au ministère ».
Un expert du secteur des télécommunications, qui a souhaité conserver l’anonymat, affirme pour sa part qu’il « n’y a qu’une ou deux entreprises au Liban qui ont réellement les moyens de déployer la fibre optique à grande échelle. Les autres ont intérêt à se regrouper au sein d’une joint-venture. L’essentiel en tout cas est que les Libanais bénéficient enfin de la fibre optique ». Cet argument se heurte toutefois à de nombreuses questions qui restent pour le moment en suspens. Selon quels critères les opérateurs sont-ils sélectionnés ? Ont-il la moindre obligation en termes de couverture, de qualité ou de prix ? Les infrastructures déployées seront-elles mises à disposition d’autres fournisseurs de services et dans quelles conditions ? Car la véritable richesse de la fibre optique réside dans les services à valeur ajoutée qu’elle permet de proposer. « La concurrence se jouera sur les services de télécommunications, pas seulement sur l’Internet, mais aussi le câble, la TV sur demande, etc. », confirme Habib Torbey. Dans le cas de GDS par exemple, qui est à la fois un DSP, un ISP (IDM) et un fournisseur de câble (Econet), le risque d’abus de position dominante n’est pas négligeable. L’ouverture du marché pose également la question de l’avenir d’Ogero et de la future Liban Télécom.
L’avenir d’Ogero
Les salariés d’Ogero ont vu dans la décision de leur ministre de tutelle une menace pour leurs emplois et l’ont clairement exprimée. Mais leur patron, lui, semble plutôt serein. « Même en Norvège, il a fallu dix ans pour déployer la fibre optique sur 70 % du territoire. La fibre jusqu’à l’abonné est un objectif ultime, mais au lieu de dépenser l’argent du contribuable sur le FTTH (fibre jusqu’à l’utilisateur), Ogero va se concentrer d’abord sur le FTTC (fibre jusqu’au sous-répétiteur) », déclare Imad Kreidié. Un appel d’offres sera lancé dans les semaines à venir, après l’approbation du cahier des charges en Conseil des ministres, pour étendre la fibre optique jusqu’aux sous-répétiteurs et remplacer 7 700 armoires de rues, un projet estimé à plus de 140 millions de dollars. « Les utilisateurs pourront accéder au DSL normal avec des vitesses légèrement inférieures à 50 Mbps, c’est-à-dire au-dessus du benckmark international qui est de 35 Mbps, ou parfois à la technologie VDSL+ qui peut offrir plus de 150 Mbps. » Le déploiement sera progressif, mais la durée totale du projet est de quatre ans. « Ogero est en position de force sur le DSL, avec une part sur le marché du détail d’environ 65 %, poursuit-il. Je ne considère pas la fibre jusqu’à l’abonné comme une menace, car c’est encore un marché de niche au Liban, destiné notamment aux grandes entreprises et à quelques particuliers. Il est certainement amené à se développer dans les années à venir, mais Ogero ne va pas s’empêcher de concurrencer le secteur privé sur ce créneau, en raccordant directement certains gros utilisateurs. Nous venons d’ailleurs de multiplier notre force de vente par six. Il faut savoir aussi que GDS est tenu, lorsqu’il creuse ses propres conduits, de les mettre à disposition d’Ogero. » Conscient sans doute de l’absence de cadre cohérent dans lequel s’inscrivent à la fois les projets publics et privés, Ogero s’enorgueillit de jouer en partie le rôle de régulateur du marché, garant de l’intérêt général. L’organisme détermine en effet, à travers le Conseil des ministres, les prix des E1 en amont et les prix de vente au détail. Le décret adopté début juin fixe d’ailleurs pour la première baisse des tarifs de la fibre optique jusqu’à l’abonné. En théorie, ces tarifs ne s’appliquent qu’à l’organisme public mais, étant donné sa position de leader, les autres acteurs du marché sont tenus de s’y aligner. « Nous gardons ainsi les marges des opérateurs privés dans une certaine fourchette, dit-il. Nous veillerons aussi à ce que les zones non rentables pour eux soient couvertes par Ogero. » Ces affirmations ne reposent toutefois sur aucun cadre politique et réglementaire.
L’arrivée du DSL
Les premières promesses de haut débit remontent à 2007, date de l’arrivée de la technologie DSL qui a remplacé le traditionnel “dial-up” sur les lignes téléphoniques, grâce à l’installation aux deux extrémités du réseau d’équipements permettant de faire passer la voix et les données simultanément : dans les centraux téléphoniques de l’État et chez l’utilisateur. Le réseau, encore en cuivre à l’époque, étant la propriété de l’État, Ogero a été chargée de gérer ce nouveau service. Cet organisme hérité de l’époque mandataire (officiellement appelé Organisme de gestion et d’exploitation des équipements transférés par Radio-Orient à l’État libanais) bénéficie d’un statut particulier par rapport à d’autres administrations. Les gouvernements d’après-guerre y ont donc vu un moyen de recruter des compétences dans le secteur, sans passer par la fonction publique. Au départ, en 1994, il a été chargé des travaux de maintenance du réseau de télécommunication fixe pour le compte de l’État. Puis au fil des ans, les décisions du même type se sont succédées, confiant à Ogero diverses tâches liées au contrôle ou à l’exécution de travaux, aux câbles terrestres et sous-marins, aux satellites, jusqu’au réseau DSL… Mais à cette époque, le ministre des Télécommunications, Marwan Hamadé, décide d’impliquer aussi le secteur privé, dans l’esprit de la loi de libéralisation du secteur votée cinq ans plus tôt (la loi 431). Cette loi prévoit le transfert des actifs de l’État à un opérateur public, Liban Télécom, appelé à être partiellement privatisé, et l’entrée sur le marché d’opérateurs privés, licenciés par une Autorité de régulation, qui agirait comme un arbitre entre les différents acteurs. Le ministère, lui, devait établir la politique générale du secteur, définissant les objectifs de déploiement et le rôle de l’Etat, dans l’intérêt public. Mais cette loi n’ayant jamais été mise en œuvre, le ministre passe outre en ouvrant la porte seulement aux entreprises privées déjà actives dans le secteur, les Data Service Provider (DSP). Ces opérateurs, au nombre de six, avaient obtenu en 1996 une autorisation du Conseil des ministres leur permettant de construire un réseau sans fil pour répondre aux besoins de transmission de données des grandes entreprises, notamment des banques qui avaient besoin de communiquer avec leurs différentes branches, en attendant la réhabilitation du réseau filaire public, endommagé par la guerre civile. Elles ont obtenu des licences leur accordant le droit d’utiliser les fréquences de l’État pour une période de cinq ans moyennant une redevance de 20 %. Des licences renouvelées chaque année depuis, même si elles ont théoriquement perdu leur raison d’être. Ces réseaux permettent la transmission de données pour de grands clients, mais aussi des données Internet pour le compte des fournisseurs d’accès à Internet, les ISP (Internet Service Provider dont les principaux étaient des filiales des DSP), à travers des technologies sans fil. Avec l’arrivée du DSL, un décret approuvé en 2007 leur donne pour la première fois accès au réseau filaire, en leur permettant d’installer leurs propres équipements dans les centraux de l’État. Le développement des opérateurs privés sur ce créneau s’est toutefois heurté à une logique concurrente défendue par Abdel Menhem Youssef, qui cumulait à l’époque les fonctions de directeur d’Ogero et de directeur général de l’exploitation et de la maintenance du ministère des Télécommunications, et qui les considérait comme une menace pour la future Liban Télécom.
Le puissant Abdel Menhem Youssef
À défaut de cadre structurant le secteur des télécoms en général et le service Internet en particulier, la jeune Autorité de régulation des télécoms (ART) créée en 2007 s’est retrouvée dans la position d’un arbitre entre différents joueurs sans aucune règle du jeu de référence. Son rôle a été affaibli, d’une part, par le ministère qui, faute d’une politique générale, voulait conserver sa capacité d’intervention sur le secteur et, d’autre part, par les opérateurs privés existants qui craignaient une ouverture du marché susceptible de menacer leurs positions acquises. L’autorité ne tarde pas à entrer dans un semi-coma, dont elle n’est toujours pas sortie à ce jour. Dans ce contexte, la puissance statutaire d’Ogero lui permet de s’imposer face aux autres, pour occuper une position quasi monopolistique sur le marché du détail.
L’emprise d’Ogero sur le secteur est d’autant plus importante qu’il gère également la chaîne en amont, au niveau des capacités internationales. Le Liban accède à la bande passante internationale à travers des câbles maritimes dont la sous-capacité a longtemps constitué un goulot d’étranglement. Mais les tuyaux ont ensuite été largement ouverts, l’État ayant investi 45 millions de dollars dans le câble Imewe (India Middle East Western Europe) en 2011, puis 37,5 millions de dollars dans le câble Alexandros en 2013 pour assurer une redondance en cas de panne. Ogero est toutefois resté maître de la distribution de ce débit : la bande passante internationale achetée par l’État est distribuée aux différents acteurs du marché sous la forme de lignes E1 donnant 2 Mbps chacune, et dont le prix est fixé en Conseil des ministres. La forte augmentation de la bande passante internationale devait en théorie se traduire par une augmentation du nombre de E1 distribuées et une baisse des prix. Si cette deuxième conséquence s’est vérifiée, en revanche les volumes n’ont pas suivi : pendant des années, Abdel Menhem Youssef a entretenu une pénurie artificielle en distribuant les E1 au compte-gouttes, ralentissant les débits disponibles et favorisant au passage la création d’un important marché noir. Dénoncé par le ministre Charbel Nahas et son successeur Nicolas Sehnaoui, ainsi que par la plupart des opérateurs du secteur privé, ce comportement n’a pas été remis en question, le soutien à la personne de Abdel Menhem Youssef – proche du courant du Futur – ayant été transformé en enjeu politico-confessionnel. La frustration est d’autant plus grande que les investissements importants réalisés sur le réseau ne se traduisent pas par une amélioration palpable pour les consommateurs.
Le backbone en fibre optique
En 2011, le ministre Nahas décide en effet de déployer 4 500 kilomètres de fibre optique sur la partie centrale du réseau : le réseau dorsal (dit backbone) qui relie les points d’accès des câbles maritimes aux centraux téléphoniques du pays, et quelque 350 gros utilisateurs (fournisseurs d’accès, administrations, banques, universités, hôpitaux, des médias ainsi que les deux réseaux de téléphonie mobile en vue de préparer le lancement de la 3G). La promesse était alors de permettre aux Libanais de bénéficier d’une vitesse théorique de connexion de 15 Mbps, dans un délai d’un an à 16 mois. L’appel d’offres est remporté par la joint-venture CET-Alcatel pour un montant de 40 millions de dollars. Mais les travaux prennent du retard, notamment en raison des conflits existants avec Ogero, et ne s’achèveront que fin 2013, date à laquelle le ministre Boutros Harb prend le relai. Ce dernier conteste la qualité des travaux menés sur certains tronçons du réseau en fibre, et rechigne à l’activer. Aucun changement notable n’est constaté au niveau des E1, ni des vitesses de connexion. En revanche, le ministre annonce en grande pompe un projet très ambitieux : le remplacement des câbles en cuivre par de la fibre optique sur la deuxième partie du réseau, la boucle locale ou dernier kilomètre (local loop ou last mile en anglais), qui relie les centraux téléphoniques aux utilisateurs finaux, en passant par les armoires de rues installées dans les quartiers, appelés sous-répartiteurs (Cabinet ou Curb), les rues et les immeubles. Montant estimé du projet : plus de 600 millions de dollars, un montant sous-évalué selon certains experts.
Boutros Harb et le FTTx
La paire de cuivre permet de fournir du haut débit grâce à différentes techniques regroupées sous le terme générique xDSL. L’inconvénient est qu’elle subit une atténuation importante au bout de quelques kilomètres. Concrètement, sur les réseaux en cuivre, la vitesse dépend de la distance entre l’utilisateur et le central téléphonique. L’ADSL 2+, par exemple, qui est installée dans certains centraux, permet un débit théorique maximal de 25 Mbps, à condition d’être situé à moins de 3 000 mètres du central. Au-delà, les débits sont les mêmes que ceux proposés par l’ADSL. Le VDSL 2, lui, offre un débit théorique de 50 Mbps mais seulement sur une distance inférieure à 300 mètres.
Le débit de la fibre optique, en revanche, ne décline presque pas avec la distance. La fibre peut être déployée en complément de la paire de cuivre, seulement du central téléphonique jusqu’aux sous-répétiteurs dans les quartiers (Fiber to the Curb − FTTC), ce qui permet de profiter pleinement des technologies xDSL ; ou directement jusqu’à l’abonné, en se passant totalement du cuivre. La fibre jusqu’aux bureaux (Fiber to the Office − FTTO) ; jusqu’aux immeubles (Fiber to the Building − FFTB) ou aux appartements individuels ou les maisons (Fiber to the Home − FTTH), permet d’accéder à du très haut débit, plus de 100 Mbps, mais son coût de déploiement est très élevé. Pour cette raison, la fibre jusqu’à l’abonné est en général privilégiée dans les zones urbaines denses. Le ministre Harb, lui, promet un déploiement sur l’ensemble du territoire à l’horizon 2020, mais durant les deux années de son mandat, aucun appel d’offres n’est annoncé, du moins publiquement. Quelques projets pilotes sont réalisés par Ogero, sans que les critères de sélection ne soient justifiés. Le FTTC est déployé par exemple dans la région de Koura, permettant aux habitants du village de Ras Maska de bénéficier d’une vitesse de 100 Mbps grâce au VDSL2, tandis que les heureux habitants d’un immeuble résidentiel à Verdun, Beirut 2020, accèdent à une vitesse supérieure à 500 Mbps grâce à la FTTH. Dans le dernier rapport d’avancement du projet, le ministère faisait état de 8 253 bénéficiaires de la FTTC et 288 de la FTTO.
L’ouverture des robinets
L’entrée en fonctions du nouveau gouvernement de Saad Hariri en 2017 marque une nouvelle étape pour le secteur, le remplacement de Abdel Menhem Youssef étant l’une de ses premières décisions. Politiquement fragilisé, l’inamovible patron d’Ogero est remplacé par Imad Kreidié. Celui-ci change immédiatement sa politique d’octroi de E1. Des tests effectués en avril révèlent l’impact de l’ouverture du robinet : les vitesses enregistrées vont jusqu’à 16 Mbps, voire 27 Mbps, chez certains utilisateurs. « Il n’y avait simplement pas assez de capacité distribuée sur le marché, explique-t-il. Rien ne justifie la politique menée à ce niveau ces dix dernières années. » Début juin, le Conseil des ministres consacre cette nouvelle orientation en adoptant par décret une baisse drastique des prix de l’Internet fournis par Ogero et des E1, qui sont réduits de plus de la moitié. Mais le texte, qui à l’heure de passer sous presse n’avait pas encore été publié au Journal officiel, est contesté, car il introduit, pour la première fois, des tarifs de E1 dégressifs selon les tranches de consommation. Dans un avis consultatif, le Conseil d’État s’était prononcé contre cette mesure qui favorise, selon lui, les gros opérateurs au détriment des petits, et fausse donc la concurrence.
Fibre optique pour GDS
Cette mesure est d’autant plus contestée que le ministre Jamal Jarrah a accordé, quelques semaines plus tôt, discrètement, un avantage considérable à une entreprise privée, dont les propriétaires sont réputés proches à la fois des courants aounistes et du courant du Futur : Global Data Services. GDS qui, selon son PDG Habib Torbey, est le plus grand DSP du pays avec près de 60 % du marché des transmissions de données, a obtenu le droit de déployer la fibre optique jusqu’à l’abonné (Fiber to the Home) en utilisant les conduits d’Ogero, ou en creusant les siens. Là encore, cette décision ne s’est appuyée sur aucune stratégie clairement définie. Le ministre, qui n’a pas répondu à nos multiples demandes d’entretien, l’a simplement justifié par l’existence d’un décret adopté en Conseil des ministres en 2000 accordant à GDS et à deux autres DSP le droit de passage et de connexion au réseau de l’État. « Nous savions déjà à l’époque que notre infrastructure sans fil serait insuffisante, à terme, pour répondre aux besoins de nos clients. Le ministre actuel n’a fait qu’appliquer le décret en définissant les conditions exécutives de ce droit de passage », explique Habib Torbey. Selon lui, les principales conditions imposées par le ministre sont le versement d’une redevance de 20 % à l’État (desquels sont soustraits les droits de passage que l’opérateur doit payer séparément pour chaque mètre de conduit utilisé, définis en Conseil des ministres) et l’engagement à traiter les fournisseurs d’accès Internet (ISP) sur un pied d’égalité, sachant que GDS est une société sœur d’IDM, l’un des principaux ISP du pays. La décision du ministre, révélée par le quotidien al-Akhbar, a toutefois été suspendue par le juge des référés de Baabda, saisi par un activiste de la société civile, qui a par ailleurs présenté aussi un recours auprès du Conseil d’État. Ce dernier ne s’est pas encore prononcé, mais le juge des référés a demandé à GDS de justifier son lien avec la société Data Sat, bénéficiaire du décret de 2000 et avec laquelle GDS affirme avoir fusionné, de préciser la méthode de calcul des frais de passage et d’étayer son engagement à respecter la concurrence.
La course aux conduits
Le droit accordé de gré à gré à GDS a naturellement suscité un tollé auprès de ses concurrents. Le ministre promet alors la même décision à toutes les entreprises ayant déjà obtenu un droit de passage en 2000, et de faire valoir ce droit pour les autres auprès du Conseil des ministres. Début juin, Waves et Trisat obtiennent à leur tour le droit de déployer la fibre optique (sur la base du décret de 2000) tandis que d’autres DSP déposent leur candidature, comme Pesco Telecom. « Nous avons fait une demande auprès du ministère, confirme son PDG, Rony Kaddoum. Mais il semble que le Conseil des ministres réclame désormais un cadre général pour organiser le déploiement en amont. » Par souci de rentabilité, les opérateurs vont vouloir s’installer dans les régions les plus lucratives, abritant une forte densité de population ou de grandes entreprises, alors que la capacité d’accueil des conduits de l’État est limitée dans certaines zones. « Il faut absolument un chef d’orchestre, un régulateur qui répartisse les zones par adjudication, sachant que cette opération n’est vraiment pas simple », estime Rony Kaddoum. Pour le PDG de GDS, au contraire « il faut faire confiance à la fonction autorégulatrice d’une économie libérale. Il y a certaines zones où nous pourrons partager les conduits et d’autres où nous serons en concurrence. De toutes les manières, en l’absence d’une autorité opérationnelle, la fonction de régulation revient au ministère ».
Un expert du secteur des télécommunications, qui a souhaité conserver l’anonymat, affirme pour sa part qu’il « n’y a qu’une ou deux entreprises au Liban qui ont réellement les moyens de déployer la fibre optique à grande échelle. Les autres ont intérêt à se regrouper au sein d’une joint-venture. L’essentiel en tout cas est que les Libanais bénéficient enfin de la fibre optique ». Cet argument se heurte toutefois à de nombreuses questions qui restent pour le moment en suspens. Selon quels critères les opérateurs sont-ils sélectionnés ? Ont-il la moindre obligation en termes de couverture, de qualité ou de prix ? Les infrastructures déployées seront-elles mises à disposition d’autres fournisseurs de services et dans quelles conditions ? Car la véritable richesse de la fibre optique réside dans les services à valeur ajoutée qu’elle permet de proposer. « La concurrence se jouera sur les services de télécommunications, pas seulement sur l’Internet, mais aussi le câble, la TV sur demande, etc. », confirme Habib Torbey. Dans le cas de GDS par exemple, qui est à la fois un DSP, un ISP (IDM) et un fournisseur de câble (Econet), le risque d’abus de position dominante n’est pas négligeable. L’ouverture du marché pose également la question de l’avenir d’Ogero et de la future Liban Télécom.
L’avenir d’Ogero
Les salariés d’Ogero ont vu dans la décision de leur ministre de tutelle une menace pour leurs emplois et l’ont clairement exprimée. Mais leur patron, lui, semble plutôt serein. « Même en Norvège, il a fallu dix ans pour déployer la fibre optique sur 70 % du territoire. La fibre jusqu’à l’abonné est un objectif ultime, mais au lieu de dépenser l’argent du contribuable sur le FTTH (fibre jusqu’à l’utilisateur), Ogero va se concentrer d’abord sur le FTTC (fibre jusqu’au sous-répétiteur) », déclare Imad Kreidié. Un appel d’offres sera lancé dans les semaines à venir, après l’approbation du cahier des charges en Conseil des ministres, pour étendre la fibre optique jusqu’aux sous-répétiteurs et remplacer 7 700 armoires de rues, un projet estimé à plus de 140 millions de dollars. « Les utilisateurs pourront accéder au DSL normal avec des vitesses légèrement inférieures à 50 Mbps, c’est-à-dire au-dessus du benckmark international qui est de 35 Mbps, ou parfois à la technologie VDSL+ qui peut offrir plus de 150 Mbps. » Le déploiement sera progressif, mais la durée totale du projet est de quatre ans. « Ogero est en position de force sur le DSL, avec une part sur le marché du détail d’environ 65 %, poursuit-il. Je ne considère pas la fibre jusqu’à l’abonné comme une menace, car c’est encore un marché de niche au Liban, destiné notamment aux grandes entreprises et à quelques particuliers. Il est certainement amené à se développer dans les années à venir, mais Ogero ne va pas s’empêcher de concurrencer le secteur privé sur ce créneau, en raccordant directement certains gros utilisateurs. Nous venons d’ailleurs de multiplier notre force de vente par six. Il faut savoir aussi que GDS est tenu, lorsqu’il creuse ses propres conduits, de les mettre à disposition d’Ogero. » Conscient sans doute de l’absence de cadre cohérent dans lequel s’inscrivent à la fois les projets publics et privés, Ogero s’enorgueillit de jouer en partie le rôle de régulateur du marché, garant de l’intérêt général. L’organisme détermine en effet, à travers le Conseil des ministres, les prix des E1 en amont et les prix de vente au détail. Le décret adopté début juin fixe d’ailleurs pour la première baisse des tarifs de la fibre optique jusqu’à l’abonné. En théorie, ces tarifs ne s’appliquent qu’à l’organisme public mais, étant donné sa position de leader, les autres acteurs du marché sont tenus de s’y aligner. « Nous gardons ainsi les marges des opérateurs privés dans une certaine fourchette, dit-il. Nous veillerons aussi à ce que les zones non rentables pour eux soient couvertes par Ogero. » Ces affirmations ne reposent toutefois sur aucun cadre politique et réglementaire.
Modernisation des centraux En attendant la fibre optique, le ministre des Télécommunications, Jamal Jarrah, a lancé un projet de modernisation des quelque 300 centraux téléphoniques du pays, en trois phases. L’objectif est de fournir 200 000 lignes téléphoniques supplémentaires et de développer des centraux qui datent de 1994. Ces derniers seront dotés d’une architecture de nouvelle génération, qui permet de supporter la fourniture de services multimédias (téléphonie, Internet et télévision). Un premier contrat de 12 millions de dollars a été attribué le 22 juin, par appel d’offres, à l'entreprise chinoise Huawei, qui a battu la finlandaise Nokia (avec une offre de 18 millions de dollars) et la suédoise Ericsson (36 millions de dollars). L’ouverture des plis pour les deux autres contrats aura lieu « après la fête du Fitr », a déclaré le ministre. Selon lui, une trentaine d’entreprises ont participé à l’appel d’offres, dont onze ont postulé pour les trois phases. |