À 22 ans, ce Libanais vient de remporter avec son équipe, la Team Liquid, le prestigieux tournoi de jeux vidéo de Seattle. Avec à la clé une prime, pour lui, de deux millions de dollars.
Vous ne connaissez sans doute pas Maroun Merhej. Pourtant, à 22 ans, GH – son pseudo – pourrait bien devenir le nouveau Neymar du monde de l’eSport, une discipline en plein essor (voir encadré). « C’est une star », assure un jeune fan libanais. Du moins pour les mordus de jeux vidéo, et plus particulièrement de Dota 2, un jeu d’arène, au succès planétaire, qui se déroule en équipe de cinq contre cinq. À ce jour, Maroun Merhej figure parmi la poignée de joueurs professionnels libanais, au sein d’une communauté mondiale de quelque 400 à 500 “pro-gamers” et d’environ 30 millions de joueurs réguliers. Fluctuant entre la première et la troisième position mondiale, le jeune Libanais, qui a participé à une dizaine de gros tournois déjà, a rejoint la Team Liquid en décembre 2016. Avec cette équipe hollandaise, fondée en 2000, il vient de remporter la septième édition de The International sur Dota 2, un des plus importants tournois de jeux vidéo qui se déroulait à Seattle, aux États-Unis, début août. Pour les cinq joueurs de la Team Liquid, cette victoire, par quasi K.-O. (3-0), contre une équipe chinoise est un coup de maître : ensemble, ils ont engrangé quelque 10,8 millions de dollars de primes, soit près de deux millions de dollars par joueur.
Un modèle économique original
Peu connu encore dans la région, ce tournoi, organisé par l’éditeur de jeux vidéo Valve, qui détient les droits pour Dota 2, offrait la plus grosse dotation financière de l’univers de l’eSport avec, cette année, près de 24 millions de dollars dans le pot. Rien d’exceptionnel à cela : en 2015 déjà, Seattle écrasait tous les autres grands shows avec 18 millions de dollars à gagner ! Ce “prize money” est en partie financé par les fans, grâce à l’achat de contenu au sein du jeu. « On appelle cela des “compendiums” : ce sont des éléments insérés dans le jeu dont l’acquisition coûte environ 10 dollars chacun. Ils leur permettent de vêtir les personnages, d’embellir le jeu et surtout de prédire des faits futurs… », assure Maroun Merhej, qui poursuit : « S’y ajoutent bien sûr les grands annonceurs qui trouvent dans ce jeu l’exposition publicitaire recherchée. » La compétition étant retransmise sur internet, les firmes internationales accourent pour cibler une communauté très jeune (la plupart des fans sont des milléniaux, entre 21 et 35 ans), pour qui la télévision, le canal habituel de communication de ces grandes sociétés, est un objet désuet. Tout n’est pas cependant une question d’argent. La renommée s’avère, elle aussi, phénoménale dans l’eSport. Retransmis dans le monde entier, l’événement a été suivi par 4,7 millions d’internautes sans compter les quelque 20 000 spectateurs “live” qui, eux, ont payé pour assister à cet énorme show. « Signer des selfies ou des dédicaces fait partie de mon boulot », dit-il, alors que la tête encore ailleurs, “physiquement vidé”, il se remet à peine de cette joute. « Post Seattle, ce qu’on voulait c’était une douche, un Mac Do, voire une soirée pour décompresser. Mais dans la salle, où l’on nous accueillait, les fans nous attendaient tous : j’ai mis trois heures pour parvenir jusqu’au bar pour me servir un verre. »
Un job à part entière
À ce niveau de compétition, la réussite a forcément quelque chose de grisant. Pourtant, on sent Maroun Merhej aussi porté vers une vie plus paisible. « Quand je suis au Liban, c’est une vie très simple : un déjeuner en famille, des plages avec des amis, un match de ping-pong… » Élevé à Mansourié, où sa famille vit toujours, c’est son frère, de trois ans son aîné, qui lui a transmis le virus du jeu. « À dix ans, je jouais déjà sur Play Station ». La folie Dota – Dota 1 à l’époque – le saisit à 11 ans. Il passera à la version 2 en 2013 quand celle-ci sera lancée par l’éditeur. « Dota est un jeu qui m’a accompagné depuis mon enfance. Ce que j’aime réellement, c’est cet esprit de compétition et l’émotion qui s’attache aux tournois. » Après son bac, Maroun Merhej rejoint l’Université Saint-Joseph pour de très sérieuses études de droit. « Mais je ne réussissais pas mes examens, parce que je jouais ; je ne m’entraînais pas assez, parce que j’allais à la fac. J’ai décidé du coup d’arrêter le droit et de tenter ma chance. » A-t-il le sentiment d’avoir sacrifié son avenir ? Maroun Merhej ne réfléchit pas en ces termes. « J’ai fait un choix. » Un choix qui s’avère payant, mais au prix de longues heures d’entraînement. Pour devenir ce champion d’un nouveau genre, l’ex-gamin du collège Saint-Grégoire de Jamhour bosse d’arrache-pied. « À ce niveau de la compétition, seule une implication de tous les instants s’avère gagnante. Être joueur professionnel, c’est un job à plein-temps. »
Stakhanovisme
En tant que membre de la Team Liquid depuis décembre 2016, Maroun Merhej reçoit un salaire, dont le montant reste confidentiel. Mais des joueurs de rang équivalent évoquent, dans des articles de presse, des émoluments de l’ordre de 1 000 à 10 000 euros mensuels, selon les niveaux et les circuits. Son contrat s’achève fin septembre, mais il n’est pas inquiet pour la suite. « Quand on gagne, en général, on reste dans la même équipe. » Fin octobre d’ailleurs, il doit rejoindre un bootcamp aux États-Unis, afin de reprendre l’entraînement : « Nous nous réveillons vers 10 heures. Un chef cuisinier nous présente le petit déjeuner, puis échauffement libre… En début d’après-midi, on démarre nos entraînements contre d’autres équipes. Nous faisons environ 5 à 6 jeux par jour, de 30 à 50 minutes chacun. Soit environ huit heures, figés devant l’écran. » La vie de rêve semble d’un coup plus banal.
L’eSport, un business prometteur Fifa, League of Legends, HearthStone, Call of Duty, Dota 2... Pour beaucoup, ces jeux vidéo ne sont qu’un passe-temps. Mais pour des jeunes comme Maroun Merhej, c’est un vrai gagne-pain. On parle désormais d’eSport (ou de sport électronique), c’est-à-dire de la pratique d’un jeu vidéo, seul ou à plusieurs, dans le cadre d’une compétition. Poumon économique de ce business ? Les tournois. Avec l’explosion d’internet et du streaming, ces shows, qui ont toujours existé dans l’univers des jeux, connaissent une seconde jeunesse. Comme à Seattle, promoteurs indépendants et éditeurs organisent d’énormes joutes interéquipes, retransmises sur toute la planète. League of Legends (LOL), le jeu le plus pratiqué de la planète, a ainsi réuni 17 000 personnes à Berlin cet hiver et pas moins de 36 millions devant leur écran partout dans le monde. Cité dans un article du quotidien français Les Échos, le créateur de l’Electronic Sports World Cup, Mathieu Dallon, assure ainsi que « le modèle économique des promoteurs de compétition, c’est celui du sport business : 40 à 50 % des recettes viennent du sponsoring, 30 % de la vente des tickets et 20 % des droits de retransmission ». Les marges de progression sont énormes : l’eSport représenterait d’ici à fin 2017 une audience de 296 millions d’individus dans le monde, selon Business Insider Intelligence. Goldman Sachs chiffre d’ailleurs le secteur à quelque 500 millions de dollars en 2016. Avec des prévisions de croissance annuelle moyenne de 22 % d’ici à 2019, les revenus du secteur pourraient dépasser 1,1 milliard de dollars d’ici à deux ans. Pas surprenant dans ces conditions que la pratique des joueurs se professionnalise : qu’ils soient en équipe ou en indépendant, ces pros multiplient les sources de revenus : contrats de sponsoring, récompenses (lorsqu’ils gagnent des compétitions) et revenus publicitaires tirés de leurs vidéos mises en ligne sur internet. Si Maroun Merhej n’a pas encore passé le pas, nombre de joueurs ont une chaîne sur YouTube ou sur la plate-forme de streaming Twitch, où ils se filment en direct pendant leur entraînement. |