À 43 ans, le fondateur de Cleartag, Tarek Dajani, dirige l’agence Mirum pour le Moyen Orient et l’Afrique.Retour sur un parcours inattendu.
Si l’agence de publicité digitale Mirum est l’une des plus importantes de la région, elle met un point d’honneur à maintenir un esprit de start-up. Installée à Spears, quelques étages au-dessus de l’espace de coworking AntWorks, c’est un lieu coloré et décontracté.
L’homme derrière ce succès, c’est Tarek Dajani, qui nous reçoit dans son bureau, sans prétentions, pour nous raconter son parcours.
Tout commence par des études d’architecture à l’Université américaine de Beyrouth (AUB) – un univers créatif où il se sent bien. «Ces années font partie des meilleures de ma vie, j’adorais l’architecture mais, à un moment, mes rêves se sont heurtés à la réalité. J’ai compris que pour mener à bien un projet, il fallait que quelqu’un me fasse confiance avec des millions et que, pour en arriver là, il fallait beaucoup de temps. Or moi, j’ai toujours été impatient», dit-il.
Après un an passé à travailler sur un projet qui finalement ne voit pas le jour, il jette l’éponge et réfléchit à son avenir.
Nous sommes en 1999, l’univers de l’informatique et d’internet commence à attirer le regard du grand public. Tarek Dajani et celle qui deviendra son associée, Maya Karanouh, pensent alors à s’inspirer des modèles 3D utilisés en architecture pour développer des animations digitales.
Quelques mois plus tard, ce qu’on n’appelle pas encore une start-up autofinancée naît sous le nom de Cleartag. C’est l’une des premières entreprises libanaises de web-design et des programmes d’animation.
En 2001, une autre idée s’impose à Dajani. Face à une pile de menus de restaurants qui proposent tous des services de livraison, il pense à regrouper le tout sur une plate-forme digitale. Avec le développeur Marwan Taher ils lèvent environ 70 000 dollars auprès de leurs proches et lancent Beirut Delivery, une sorte de Deliveroo avant l’heure. En huit mois, la plate-forme compte déjà 20 000 utilisateurs et enregistre une centaine de commandes quotidiennes.
À la manière d’un call center, Beirut Delivery reçoit les commandes et les transmet aux restaurants, mais rapidement le rêve s’effondre. «Dans le contexte de l’après 11-septembre, nous n’avons pas pu lever de fonds – c’était très frustrant, se souvient-il. Il y avait aussi une forme de pression sociale, j’avais Cleartag, qui fonctionnait bien, m’apportait de la sécurité et on ne comprenait pas que je veuille m’engager dans une autre aventure, peut-être plus risquée. Quelque part, j’ai cédé à cette pression.» Après moins d’un an d’activité, Beirut Delivery tire le rideau.
Pendant ce temps, Cleartag poursuit son développement avec de plus en plus de clients et des nouveaux services. En 2003, Tarek Dajani et sa future épouse décident de poursuivre leurs études aux États-Unis. Dajani continue à gérer son entreprise à distance et obtient un master en ingénierie, spécialisé en technologies de l’information de l’université MIT.Une expérience qui change son regard.
«Je suis rentré au Liban avec un état d’esprit différent vis-à-vis des nouvelles technologies. J’ai compris la valeur du détail. Ce n’est pas tant que les États-Unis étaient plus avancés, mais les gens là-bas sont très sérieux sur les implications potentielles d’une technologie. Toute avancée est vue comme une réelle opportunité», explique-t-il.
Après le coup dur infligé par la guerre de 2006, Cleartag décolle et se lance dans une expansion régionale qui la porte notamment aux Émirats arabes unis et en Arabie saoudite. L’entreprise offre entre autres des services de web-design, de gestion et analyse de stratégies réseaux sociaux, d’animation, et de développement de stratégies mobiles pour des clients aussi variés que des banques, des centres commerciaux ou des administrations publiques.
En 2015, Dajani se lance dans un nouveau projet: le groupe DNY. Cette entité hybride qui cumule les fonctions de création d’entreprises, d’incubation et d’investissement. Toujours dans le secteur de la communication et des nouvelles technologies, DNY développe des entreprises qui allient hardware, software et modèle économique innovant. «Cela me donne la possibilité d’expérimenter de nouvelles choses, même si parfois c’est un peu fou», explique Dajani. Le groupe DNY détient la majorité des parts des entreprises sous son aile, parmi lesquelles: ReefKinetics – un système de nettoyage automatique des aquariums ; Vinlite – un système de voitures connectées ; ou encore Mealr – une application de livraison de nourriture qui s’adapte aux envies de l’utilisateur.
En parallèle, une rencontre avec Roy Haddad, président Mena de l’agence de publicité JWT, offre à Cleartag l’opportunité de passer à la vitesse supérieure.
«Nous avons tout de suite eu un bon rapport et, après une conversation qui a duré environ un an, nous avons décidé de nous associer», raconte Tarek Dajani.
Fin 2015, la maisonmère de JWT, le groupe mondial WPP, annonce l’acquisition de la majorité des parts de Cleartag. À l’époque, l’agence libanaise employait 65 personnes entre Beyrouth et Dubaï, et ses revenus s’élevaient à 3,6 millions de dollars. En face, le groupe WPP employait 3000 personnes dans la région Mena et générait quelque 400 millions de dollars de revenus.
Cette opération, dont le montant n’a pas été dévoilé, Dajani ne la regrette aucunement. «Nous nous étions développés autant que possible, mais à un moment il fallait passer à l’étape supérieure, et c’est ce que cette fusion nous a permis. C’était une sorte de bouton d’accélération», dit-il.
L’agence rejoint ainsi le réseau global de JWT et, en novembre 2016, Cleartag fusionne avec l’agence sud-africaine Quirk et la britannique Heath Wallace pour créer une nouvelle entité: Mirum. Ce géant dégage à présent plus de 200 millions de dollars de revenus annuels et compte environ 300 employés répartis sur une cinquantaine de bureaux. À 43 ans, Tarek Dajani en est le CEO pour la région Moyen-Orient et Afrique.
«J’aime ce que nous faisons, c’est un travail gratifiant où l’on sent qu’on a véritablement un impact» ; dit-il.
Si le parcours est impressionnant, il n’est pas sans encombre, et à la question quel défi vous a suivi tout au long de votre carrière? La réponse fuse: la gestion des flux de trésorerie. «Plus une entreprise grandit, plus elle dépense d’argent et si un gros client est en retard dans ses paiements, tout peut s’effondrer », dit-il.
Dajani apprécie toutefois la manière dont l’écosystème libanais a évolué ces vingt dernières années. «La circulaire 331 est une initiative brillante, j’aurai aimé qu’elle soit mise en place plus tôt, il fallait absolument injecter de l’argent dans ce secteur, c’est un pari sur l’avenir», ajoute-t-il.
Aux entrepreneurs en herbe, Dajani répète : «Il faut écouter les conseils qu’on vous donne, même quand ils ne semblent pas pertinents. Ensuite, il faut savoir que l’entrepreneuriat, ce n’est pas une partie de plaisir.Il ne s’agit pas de participer à des conférences. Il faut beaucoup travailler et ne jamais perdre à l’esprit ce que pense le consommateur », dit-il.