Nichés au cœur d'une orangeraie de 7 300 m2, les Ateliers de Tyr sont sortis de terre en 2018. Ce petit village appartient à Maha el-Khalil, présidente de l’Association internationale pour la sauvegarde de Tyr et ambassadrice de bonne volonté de l’Unesco, qui espère y redonner vie à des savoir-faire artisanaux phéniciens oubliés. Sept ateliers de joaillerie, verre soufflé, poterie ou couture ont ainsi été créés, animés par des Libanais de la région issus de milieux défavorisés, dans des petites maisonnettes colorées, d'inspiration phénicienne. Respectueuses de l'environnement et réalisées avec des matériaux de construction locaux (terre, argile, pierre naturelle), elles sont dotées d'un système de collecte et de traitement des eaux pluviales et de panneaux solaires.
Enfant, Maha el-Khalil entendait son père, Kazem el-Khalil, ancien député de la ville, répéter que Tyr était un trésor architectural et historique qu'il fallait réhabiliter et exploiter. « Avec les Ateliers, je voulais que la ville se souvienne de ce qu'elle a été. L'histoire et le patrimoine sont des ressources plus précieuses que le pétrole, disait mon père. Celui-ci se raréfie, mais le patrimoine et l'histoire prennent de la valeur à mesure que le temps passe. C'est un bien commun, à l'usage de toute la population et non pas d'une minorité. »
Dès 1972, Maha el-Khalil organise le Festival international de Tyr pour créer une dynamique de développement durable. Elle reconstitue même les courses de chars romains avec des répliques du char de Ben-Hur dans l'hippodrome de la ville. Pendant la guerre civile, alors que Tyr subit l'invasion israélienne, elle multiplie les requêtes auprès d'institutions internationales pour faire reconnaître le statut exceptionnel de la ville. Unesco, Parlement européen, Sénat américain, Ligue des États arabes ou Chambre des lords, tous s'accordent sur la nécessité de préserver cette ville de plus de 6 000 ans, dans laquelle huit civilisations se sont succédé et dont 10 % seulement des vestiges auraient été mis à jour. Mais pour inscrire Tyr sur la liste du patrimoine mondial, le pays devait ratifier la Convention de La Haye. « Pour des raisons inexplicables, le Liban n'avait pas signé cet accord, se souvient Maha el-Khalil. À cette époque, pendant la guerre, le Parlement ne se réunissait pas. Je suis donc allée en voiture au domicile de chacun des députés pour leur faire signer la convention. » En 1984, la ville est enfin inscrite sur la liste du patrimoine mondial de l'Unesco avec Byblos, Baalbeck et Anjar.
Après plus de 40 ans passés à mettre en valeur le patrimoine de Tyr, les Ateliers sont un aboutissement pour Maha el-Khalil. Mais le projet a un coût. Environ deux millions de dollars ont été investis grâce à une grande loterie “Un Picasso pour 100 dollars”, mais il faut pouvoir continuer à payer les spécialistes et formateur en artisanat, dont la plupart sont étrangers, les artisans en formation qui n'ont pas de moyens pour subvenir à leurs besoins pendant leur apprentissage et les matières premières. « Nous employons actuellement 48 personnes et nous aimerions doubler ce chiffre en ouvrant trois ateliers supplémentaires », explique Maha el-Khalil.
Pour que les Ateliers deviennent autosuffisants, le lieu s'est doté récemment d'un restaurant pouvant accueillir 150 personnes, réparti en trois espaces, intérieur terrasse et jardin. Il propose trois types de cuisine : libanaise, recettes du Sud-Liban et cuisine phénicienne revisitée. Chaque dimanche, un buffet à 30 dollars est proposé. Trois appartements pour quatre personnes sont également disponibles pour un budget de 150 dollars la nuit. Des chalets et une piscine, avec un accès à une plage privée à cinq minutes en voiture, sont également à l'étude.